Ayiti

Deux histoire s'entrecroisent

La réincarnation d'une seule et même héroïne

Barikad vs Le destin de Caroline

Marie Flore DOMOND

Le destin de Caroline

Pour parler de coïncidence, il ne devrait pas y avoir aucun lien possible entre deux événements. Or, les ressemblances de la version du film: LE DESTIN DE CAROLINE réalisé par Jean Herby Lafaille et le récit de BARIKAD, le long métrage signé de Richard Senécal qui l’a précédé, sont tellement frappantes qu’on ne saurait taire les nombreuses remarques. Surtout quand tous les éléments sont réunis pour démontrer la refonte de l’idée originale. D’ailleurs les symboles scéniques à elles seules suffisent pour justifier cette affirmation.

Quoi qu’il en soit, je ne compte pas élargir aucune espèce d’arbitrage suite à cette constatation. J'agis de préférence en fonction du citoyen chasseur d’idées, et des efforts méritants. Dans le domaine de la création, quand on avance que «les grands esprits se rencontrent» cela sous-entend le haut risque d’une adjonction littéraire. Autrement dit, on parle de la zone non protégée de l’extension probable d’une idée authentique. D’un autre côté, un véritable créateur ne saurait évoluer dans une ambiance de paranoïa. Toutefois, entre la méfiance et la naïveté, il existe un juste milieu qu’est la prudence.

Les notes d’archives révèlent qu’il a fallu quinze ans pour finaliser et concrétiser le projet du film Barikad. Sans oublier les liens professionnels qui se sont tissés entre les principaux tenants de l’industrie. Dans ce contexte, une alliance d’idées est fort possible. Les droits d’auteurs se revendiquent lorsque le signataire d’une œuvre se sent léser et duper. Pour percer le mystère conceptuel des deux produits, il faudrait chercher à savoir le niveau d’association, de collaboration qui existe entre les trois scénaristes. Ce rapport triangulaire devient crucial, car de toute évidence, la toile de fond des deux films prend forme de deux cellules dans un noyau.

Marie Esther l’aine Accidat, a-t-elle eu recours aux co-auteurs de Barikad, Jean René Aubourg et Ronald Ledain pour souffler une âme sensiblement similaire sur son personnage, Caroline? A qui revient véritablement l’exclusivité? Dans la foulée de cette pratique courante priorise t-on le droit commun à celui du droit d’auteur individuel? En laissant aux intimés le loisir de débattre sur ses interrogations, j’en profite pour saisir la portée de deux scénarios. Et ensuite fixer l’adaptation la mieux réussie en effectuant une analyse parallèle.

L’ART DE SAISIR UNE OCCASION OU L’EXPLOITATION DE L’ART

Le destin de Caroline et Barikad sont des preuves tangibles et supplémentaires de la floraison du cinéma haïtien. Il n’en demeure pas moins que les spectateurs avisés verront nettement qu’il a été au profit d’une nouvelle édition à partir de Barikad, un produit scénarisé conjointement par Jean René Aubourg et Ronald Ledain. Il faut l’avouer cependant, la manoeuvre répond tout à fait aux normes satisfaisantes des auditoires. Il est un fait certain que face à la version: Le destin de Caroline, l’amoncellement du film Barikad a laissé le public sur son appétit. Sa suite devrait constituer la vraie destination du message concluant de l’auteur. Ce qui n’a pas été le cas. En raison du motif de l’œuvre inachevée, on est forcé de considérer le produit comme étant demeuré au stade primitif, représentant les traits accessoires.

Les concepteurs du Destin de Caroline ont donc repris les substances de l’adaptation précédente ( Barikad). Il ont utilisé les principes de transformation et ont simplement ajusté d’autres éléments indépendants sans s’éloigner du modèle initial. L’idée de faire peau neuve au personnage principal a donné un résultat satisfaisant puisque l’histoire démontre un meilleur dénouement tragique, finement ciselé. Pourtant le début de l’intrigue du film Barikad promettait énormément.

Capter l’attention du public avec des scènes inusités par l’éloquence des sentiments déclarés d’un jeune homme, Thierry pour la borne Tidoudoune ou Odénie, servante qui travaille à la résidence familiale donnait un élan subjectif, une approche à la rêverie; l’empreinte d’une géniale simplicité. Or, dans l’attente de la splendeur du vide du protagoniste qui part à la recherche de l’élu de son cœur, Le destin de Caroline perce l’écran par sa réplique insolite et parvient à atteindre la corde sensible du cœur des spectateurs ravis. Que voulez-vous, la lenteur des uns, justifie l’opportunité des autres.

C’est grâce à cette confortable appréciation du genre: «Quelle belle réalisation qu’est Le destin de Caroline» émanant de plusieurs, que j’ai porté la curiosité de le visionner. Avis aux âmes sensibles, Kleenex et mouchoir sont à prévoir vers les séquences finales.

Aux grands maux, les grands moyens dit-on. L’industrie du cinéma haïtien a changé de vitesse ainsi que de cap surtout dans le traitement des sujets. Les critiques devront s’adapter à cette situation. L’heure de vérité a sonné. Il faut traiter des choses différentes de manière différente. Avant de procéder à d’autres examens des deux films, remettons l’histoire dans son contexte. Je le répète, l’histoire car, il suffisait de dénaturer quelque peu les personnages, modifier l’unité du temps et l’unité des lieux ensuite réussir à manipuler l’émoi des spectateurs par des effets dramatiques plus forts et le tour était joué !

BARIKAD de Richard Senécal BARIKAD de Richard Senécal
BARIKAD de Richard Senécal.

LE GÉNIE DE TOUS LES TEMPS

L’histoire est fidèle au fameux, disons plutôt au fabuleux conte de CENDRILLON de l’auteur français, Charles Perrault. Cet illustre personnage est le maître penseur de sept jolis contes vieux comme le monde et qui ravit encore les cœurs des petits comme des grands de génération en génération. Savez-vous qu’il existe plus de troiscent (300) variantes de l’histoire de Cendrillon. Et que cette magie féerique influence si bien les créateurs, qu’ils puisent inlassablement dans le célèbre conte populaire écrit en 1667 pour en tirer des récits libres. Alors quoi de plus normal que l’imaginaire haïtien fasse la sienne; opère à son tour et produit le Cendrillon des temps modernes.

Mais on a beau renouvelé l’histoire, on y retrouve des constances irréductibles. Des tendances non éphémères telles: la vertu de la tâche domestique. L’actrice principale est toujours sympathique. Elle est recrée selon leur imagination et leur sensibilité. La formule d’introduction qui est de placer le protagoniste de premier rand dans un contexte d’innocence, de méchanceté en le faisant miroiter un devenir amoureux pouvant être sécuritaire mais très périlleux, en rattachant à son existence d’une assistance surhumaine, une force bienveillante qui lui vient en aide.

Chose frappante par contre, la soustraction ou l’élimination de alliance surnaturelle dans les deux productions. Sauf, que dans une scène de séduction, le Dr Valéry déclare à sa promise, Caroline: «Tu n’as qu’à me dire oui, et tout va changer pour toi comme par enchantement.» Dans une autre réplique, on entend les railleries humiliantes de la comédienne, Melissa qui avance à sa victime: «Elle se prend pour une princesse et pense que le Dr Valéry est le prince charmant qui viendra la délivrer. Il lui manque la couronne maman.» On mise surtout sur le concret et l’idéal.

Entre parenthèse, ce n’est pas sans raison que toutes les mises en scène évoquent la situation de la belle-mère et de ses filles méchantes. Elle s’explique par le complexe d’ÉLECTRE. Selon la légende grecque. Une sordide histoire s’est passée à Troie. Pour venger son père, Électre a forcé son frère à tuer l’amant de sa mère ainsi que sa propre mère. Comportement qui relève d’un amour jaloux, exclusif au père. Un stade enfantin dans l’évolution sentimental.

LES DIFFÉRENCES FONDAMENTALES ENREGISTRÉES

Pour ce qui est des variations: Barikad retient l’idée d’une jeune paysanne analphabète et timide venue en ville qui occupe un emploi de bonne moyennant un salaire dans une famille aisée sous la recommandation de sa tante.

Caroline, elle, a été adopté dès l’âge de six ans avec l’accord de sa mère mendiante. Elle est une domestique maltraitée mais qui a fait des études de deuxième cycle. De bon goût, éveillée, elle atteint rapidement la place d’honneur dans le cœur d’un jeune médecin en visite à la résidence.

Alors que dans Barikad, c’est le fils qui est épris de l’héroïne. Suite à des complications inhérentes à cette relation discordante, elle s’enfuit.

Tandis que Caroline a été expulsée par la maîtresse de maison prise en défaut de ses manigances par Hugues, son mari. Il reste à savoir si elle triomphera sur l’adversité et remportera la victoire envers ses redoutables opposantes. Le public languit toujours de l’enchaînement de l’histoire de Barikad qui a su diffuser une intensité uniforme de l’aventure éconimico-socio-amoureuse.

LES POINTS COMMUNS :

Les deux créatures sont chargées des tâches les plus viles et souffrent tout avec patience. Elles sont dotées d’une bonté singulière. Leur présence, leur prestance et toutes les autres qualités qu’elles possèdent rendent les mères respectives et leur fille encore plus haïssables. Distinctement, les braves filles relèvent chacune, même mal vêtues, d’une beauté et d’une civilité supérieure à leurs tyrannes qui sont toujours tirées à quatre épingles.

De tempérament hautain, les mères respectives font tout ce qui est en leur pouvoir pour inculquer leur humeur massacrante à leur progéniture de sexe féminin. Dans les deux versions, heureusement que les pères ne sont pas totalement sous l’emprise de leur épouse et que les fils ne se complaisent pas dans des actes de malhonnêteté.

SIGNIFIER UN MESSAGE AVEC HUMOUR

Le coup de cœur dans Le destin de Caroline est la schématisation dynamique à travers la littérature populaire orale. Le charme fou d’un personnage de soutien en particulier: Vincent qui s’entête à entretenir des dialogues dans la langue de Molière avec le médecin visiteur, Dr Valery. Ce dernier le qualifie d’ailleurs de phénomène pour toutes ses aberrations dans l’expression d’un langage créole francisé communément appelé français marron de l’autre qui lui écorchent à chaque fois les oreilles. Parler français n’est pas exploité dans l’angle de l’apprentissage progressif qui conduit vers la maîtrise de toute langue, mais carrément un signe évident d’intelligence dont il faut à tout prix en faire la démonstration. Je me porte garante de cette trouvaille divertissante qui n’est qu’un clin d’œil sur la réalité quotidienne des citoyens. Dans l’ensemble, les répliques sont fluides, policées et élégantes. L’autre repère important, c’est que le concepteur revendique probablement le coin régional où il évolue, il lui donne sa teinte favorite en mettant en relief la logique du développement local.

Très amusant n’est-ce pas ! Vous avez à présent en pièces détachées plusieurs éléments de deux long métrages : Barikad et Le destin de Caroline. Vous comprendrez que le but visé n’est pas seulement de vous faire étalage des l’intrigues principales mais de vous fournir des éléments pouvant vous permettre de mieux pénétrer l’univers des personnages et l’envers du décor des scénarios.