Plan académique de developpement de la langue
et de la culture réunionnaises

Octobre 2001
   

I- PREAMBULE

La situation linguistique de l'académie de La Réunion est différente de celle des académies métropolitaines. La langue créole en effet, loin d'être parlée par une minorité de locuteurs, est au contraire le mode d'expression normal et spontané d'une très grande majorité de la population (de 70 à 80 % selon les estimations diverses). Elle constitue donc la langue maternelle de nos élèves et c'est d'emblée qu'il est nécessaire pour l'institution scolaire de la prendre en compte..

Mais la question n'est pas uniquement linguistique. La richesse du créole réunionnais, son utilisation dans la relation première avec la mère et le père, puis dans la communauté de proximité à laquelle l'enfant se sent appartenir, en font plus qu'une langue, l'affirmation forte d'une identité réunionnaise. C'est ce qui explique le désarroi de nombres d'élèves, lorsqu'ils constatent, au quotidien, que le créole n'est que toléré à l'école, voire refusé, et qu'au mieux le passage d'une langue à l'autre ne sert qu'à asseoir leur apprentissage du français. Cette situation scolaire jette le discrédit sur leur expression en créole et de ce fait ils se perçoivent comme inférieurs puisqu'ils vivent leur langue comme dévalorisée et limitée à l'expression domestique. Il importe de sortir de cette situation en affirmant de la manière la plus nette l'égale dignité des langues et des cultures au sein de la Nation. La dignité des individus passe par le respect de leur identité personnelle et collective, donc par la reconnaissance de leur langue.

Faut-il rappeler que l'école n'a pas seulement mission de faire acquérir des savoirs, et des savoir-faire, mais aussi d'éduquer et de faire adhérer aux valeurs de la République: liberté, égalité, fraternité ?

La défense de ces valeurs essentielles ne passe plus par l'uniformisation contrainte de la langue, comme il a pu sembler dans le passé. Elles acquièrent au contraire une dimension nouvelle et plus grande dans la prise en compte réelle des richesses qu'apporte la diversité des langues et des cultures.

Reconnaître la langue, c'est non seulement l'utiliser pour le premier accueil des tout petits, c'est aussi l'étudier, l'enseigner comme toutes les langues, donc l'écrire, c'est enfin assurer un enseignement en créole et non plus uniquement du créole. C'est aussi, inséparable de la reconnaissance de la langue, l'étude de la culture réunionnaise, d'hier et d'aujourd'hui, au travers de la diversité de ses origines et de la multiplicité des apports qui l'ont constituée.

Ainsi, dans la continuité de la commission académique des langues et cultures régionales, le Conseil académique de la langue et de la culture réunionnaises propose un plan d'action pour l'enseignement de la langue créole et de la culture réunionnaise, fondé sur l'existant et tenant compte de la diversité des opinions et des attentes plurielles de la société. Il réaffirme que cet enseignement se fonde sur une adhésion des parents et des élèves, et la démarche résolue et volontariste des institutions et de leurs personnels.

Selon les dispositions du décret portant création du conseil académique, celui-ci est consulté sur les conditions du développement de l'enseignement des langues et cultures régionales dans le cadre de l'élaboration d'un plan pluriannuel.

De l'indispensable sensibilisation à l'enseignement par immersion et à l'enseignement optionnel, en passant par l'enseignement bilingue, toutes les possibilités ont été envisagées par les textes réglementaires. Il importe donc d'en assurer la mise en œuvre académique, partant de l'existant pour atteindre les objectifs définis plus haut.

II- LE CADRE

1) HISTORIQUE

Nous ne partons pas de rien. Depuis les origines, nombreux sont les auteurs réunionnais qui ont montré leur intérêt pour la langue créole. Mais, à partir des années 70-80, dans un contexte institutionnel et politique d'ignorance et même de refus explicite du fait culturel et linguistique réunionnais, nombres d'expériences et de projets ont été menés en milieu scolaire et dans les associations, malgré l'absence de cadre juridique.

2) LES TEXTES

Dans son article 34, la Loi d'orientation pour l'Outre Mer du 13 décembre 2000 dispose que les langues régionales en usage dans les départements d'Outre Mer font partie du patrimoine linguistique de la nation et qu'elle "bénéficie du renforcement des politiques en faveur des langues régionales afin d'en faciliter l'usage. Bénéficiant d'une reconnaissance législative, le créole réunionnais devient une langue régionale à part entière. Désormais, comme l'a souligné le ministre de l'éducation nationale, les nouvelles mesures prises pour le développement de l'enseignement des langues régionales constituent une «mise en œuvre de fait des engagements de la Charte européenne sur les langues minoritaires que la France n'a pu ratifier, malgré la bonne volonté gouvernementale». Le plan de développement du Conseil Académique de la Langue et de la Culture Réunionnaises ne peut donc que s'inscrire dans le droit fil de la politique européenne visant notamment «à systématiser, améliorer ou promouvoir l'enseignement des langues régionales dans toutes les filières éducatives». Il convient de préciser les principaux cadres juridiques ou textes d'orientation de référence dudit plan :

a) Textes internationaux :

b) Textes européens :

  • Charte européenne des langues régionales ou minoritaires : notamment l'article 8 consacré à l'enseignement, pour les alinéas retenus dans le cadre de la signature de la dite convention.
  • Conventions, Résolutions, Recommandations…émanant du Conseil de l'Europe, du Parlement européen, de la Commission européenne concernant le domaine culturel et linguistique.

c) Textes nationaux :

Ce nouveau dispositif réglementaire s'applique donc de plein droit, dans sa lettre et dans son esprit, au créole réunionnais mais il pourra être proposé au Ministère de l'Education Nationale toutes mesures réglementaires nécessaires pour la prise en compte réelle de son statut de langue première.

Le conseil académique s'inscrit pleinement dans les deux orientations précisées par le Ministre de l'Education Nationale : «respecter les cultures régionales et favoriser leur épanouissement» afin de promouvoir «l'égalité des chances.» Il convient également de préciser, en conformité avec l'article 7(c) de la Charte européenne des langues régionales, que la seule reconnaissance du créole réunionnais n'est pas une condition suffisante et qu'il est nécessaire que l'institution éducative mène une action résolue de promotion de ladite langue.

3) FINALITES DE L'ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE ET DE LA CULTURE REUNIONNAISES

L'enseignement de la langue et de la culture réunionnaises, discipline à part entière ayant sa valeur intrinsèque, permet par une approche pluridisciplinaire de faire découvrir, accepter et reconnaître par l'Ecole la diversité et la richesse du patrimoine culturel et linguistique réunionnais. «La création littéraire et artistique, individuelle et artistique, doit trouver à l'école la place qui lui revient. Contes, légendes, traditions orales ou littérature écrite, chansons, musique et danses, arts de décorer, de meubler et de bâtir..., autant de points d'appui, autant d'activités simples et naturelles qui, mieux que toutes les autres, contribuent à rendre sensible et intelligible l'identité régionale. L'identité régionale, c'est aussi un faisceau d'habitudes, de comportements, de rites sociaux: c'est une réponse, chaque fois originale, à des questionnements permanents qui ont trait à la vie familiale, à la nourriture, au travail et à l'habitat, et qui débordent sur les croyances et sur l'imaginaire.» (circulaire n°83-547 du 30 décembre 1983)

Cet enseignement, intégré dans les horaires (plages ordinaires de l'emploi du temps) et programmes nationaux, assure également la transmission des valeurs de la civilisation créole réunionnaise et ne saurait donc constituer uniquement un moyen ou un outil de lutte contre l'échec scolaire. Afin qu'il ne procède pas d'une démarche folklorisante ou utilitariste, il est donc fondamental d'en préciser les finalités :

  • Reconnaître et donner à l'identité culturelle réunionnaise, élément du patrimoine commun de l'humanité, la place qui lui revient de droit dans le système éducatif à la Réunion.
  • Donner aux jeunes Réunionnais à travers leurs traditions, leur langue, et la créativité de leur culture le sentiment d'une dignité égale, d'une confiance et d'une fierté retrouvées.
  • Favoriser la promotion des valeurs réunionnaises fondées sur l'humanisme, la tolérance, la responsabilité et la dignité afin qu'elles participent à l'émergence d'une démocratie participative et citoyenne.
  • Contribuer, par l'intégration du fait réunionnais dans le cursus éducatif, à la construction d'un développement humain et économique durable.
  • Permettre à l'élève de progressivement enrichir sa connaissance de la culture réunionnaise et sa maîtrise de la langue tout au long de son cursus scolaire.
  • Promouvoir l'enseignement de la langue et de la culture réunionnaises dans toutes les filières éducatives et ce, de l'école maternelle à la formation des adultes.
  • Permettre un meilleur ancrage de l'Ecole dans son environnement socioculturel afin de permettre le renforcement et l'enrichissement des liens entre les divers partenaires éducatifs et, en particulier, entre les parents, leurs enfants et les enseignants.
  • Favoriser l'esprit d'ouverture au monde en développant notamment les relations et les échanges avec les pays de l'Océan Indien, les espaces créolophones et francophone.

III- PLAN D'ACTION

1) Il s'agit des actions à mettre en œuvre prioritairement pour l'année scolaire 2001-2002

Le décret du 31 juillet assigne au conseil la mission de suivi de l'enseignement de la langue et de la culture, tout comme il est consulté sur les conditions de son développement. Le présent Plan de développement s'inscrit dans le cadre fixé par ce décret.

Le Conseil académique doit donc examiner ce qui se fait déjà, proposer les formations initiales et continues adéquates, envisager les contenus et les démarches pédagogiques propres aux différents niveaux d'enseignement, étudier les différentes modalités de cet enseignement, enfin et surtout informer le plus largement possible tous les acteurs et partenaires du système éducatif, autant pour pouvoir lever les préventions et préjugés que pour respecter l'exigence de l'adhésion des élèves et de leurs parents.

Comme l'évaluation du travail effectué en classe ne peut être que du seul ressort des structures pédagogiques, le conseil académique décide de créer en son sein trois groupes techniques spécialisés qui pourront s'adjoindre les experts dont ils souhaiteront la compétence. Les travaux de ces groupes seront soumis au Conseil académique qui, les reprenant à son compte, pourra les proposer aux instances statutaires (conseil académique de l'éducation nationale et comité technique paritaire académique), conformément au décret.

2) Ces groupes sont les suivants :

  • Information : Ce groupe a pour objectif d'organiser l'information sous toutes les formes possibles des membres de l'éducation nationale (corps d'inspection, chefs d'établissement, enseignants, etc.), des parents d'élèves, des associations, des élus et de l'ensemble de la population.
  • Formation : L'objectif de ce groupe est de proposer les contenus et modalités des actions de formation initiale et continue des enseignants, aux différents niveaux du système éducatif, de la maternelle à l'université.
  • Contenus et démarches : Ce groupe a une vocation pédagogique affirmée. Il doit envisager les différents niveaux d'enseignement de la langue créole réunionnaise, de l'école maternelle au lycée, de même que les diverses modalités, de l'immersion à l'option, et donc également les démarches variées, de l'atelier expérimental à l'enseignement d'une discipline en créole. Il devra également réfléchir à la définition de la culture créole aujourd'hui, pour éviter les dérives passéistes ou folkloristes. Il devra faire des propositions concrètes en terme de programme. Compte tenu de l'ampleur du travail à effectuer pour atteindre ces objectifs, il pourra organiser en son sein des sous groupes plus spécialisés, selon le niveau : enseignement maternel, premier degré, collège, lycée ou selon le type de démarche.

Les travaux des trois commissions permettront la mise au point d'un calendrier précis de développement de l'enseignement de la langue et de la culture réunionnaises pour les années à venir. selon deux axes principaux :

  • d'une part un effort particulièrement important en direction de l'enseignement maternel et élémentaire (où se nouent les premières difficultés conduisant à la diglossie) afin de mettre en place les bases d'un véritable bilinguisme ;
  • d'autre part en généralisant les options en collège et en lycée et en ouvrant les premières classes bilingues, ou du moins des classes fonctionnant sur le modèle des sections européennes et orientales, c'est à dire avec un enseignement disciplinaire en langue créole.

Durant la mise en œuvre de ce plan, il sera indispensable de continuer l'information des parents d'élèves, des chefs d'établissement et des enseignants, sur la nécessité absolue de prendre en compte la langue et la culture créoles dans le développement de tout projet pédagogique.