Lettre ouverte
à

Patrick de Carolis

Président de France Télévisions
 

Fort-de-France, le 14 février 2006

Monsieur le Président,

Vous arrivez dans notre pays trois semaines après la décision du Président de la République, Jacques Chirac, de saisir le Conseil Constitutionnel en vue de l'abrogation de l'article 4 de la loi de la honte qui soulignait le rôle positif de la colonisation outre-mer.

L'abrogation est effective, dans notre pays, les esprits se sont apaisés.

L'abrogation est effective avec en prime la date du 10 mai retenue pour se «souvenir des esclaves et commémorer l'abolition de l'esclavage».

La mobilisation de nos populations a donc porté ses fruits. C'est pour suivre l'exemple de celles et ceux qui ont choisi de ne pas accepter l'inacceptable que nous, organisations syndicales, vous interpellons sur la situation de RFO et singulièrement sur celle de la station Martinique.

Si l'article 4 de la loi de la honte a été abrogé, elle n'a en rien changé l'esprit colonial qui a toujours guidé les dirigeants successifs de notre société.

Esprit colonial, quand les budgets ne nous permettent pas d'offrir à nos populations une radio et une télévision respectueuses de notre culture, de notre langue, de notre réalité.

Esprit colonial, quand notre langue est quasi absente de nos antepnes, où elle apparaît dans un jeu méprisant de ou «wè'y ou pa wè'y»! Jamais des moyens n'ont été donnés pour offrir aux Martiniquais un joumal et des émissions en créole de qualité.

Dans notre pays où une famille sur quatre est touchée par le problème de la toxicomanie, quelle est la place réservée à notre jeunesse dans nos programmes?

Esprit colonial, quand les archives radio et télé de RFO, une partie non négligeable de notre mémoire, ne sont pas préservées, stockées depuis des années dans un container exposé aux caprices du temps.

Nous ne voulons plus nous taire, nous avons lu Aimé Césaire qui nous interpelle «Quand cesseras-tu d'être le jouet sombre au carnaval des autres»?

Esprit colonial, quand pour résoudre le problème français des minorités visibles, France Ô est inventée pour éviter la visibilité des français d'ailleurs sur les chaînes nationales françaises.

Esprit colonial, quand pour financer la télévision du ghetto, France 0, les budgets des stations d'outre-mer sont ponctionnés, ceci au détriment de la production locale.

Esprit colonial, quand la mobilité, cet autre leurre, ne concerne que les déplacements du Nord vers le Sud.

La France dans sa grande générosité, a rassemblé ses anciennes colonies dans des «DOM-TOM» . Mais les femmes et hommes de ces «DOM-TOM» à RFO, ne peuvent se rencontrer, échanger, dans le cadre de la mobilité réservée en priorité à la «Métropole».

Esprit colonial, quand dans nos pays où le chômage avoisine les 30% la précarité touche tant de nosjeunes collègues à RFO?

Des collègues qui à cause de la couleur de leur peau et de leur accent n'ont d'autres choix que de travailler au pays.

Nous avons bien compris qu'avec Audrey PULVAR, le quota de couleur sur les chaînes publiques est atteint.

Pour quelques doux rêveurs, l'intégration dans France Télévisions était porteuse d'espoir.

Force est de constater qu'un an plus tard, le groupe nous considère comme un boulet à traîner. «Les danseuses de la France» ne sont pas loin!

Monsieur le Président, au moment où vous vous apprêtez à aller serrer la main d'Aimé Césaire, le nègre fondamental, gardien de notre dignité, de notre résistance, (et pour cela interdit de nos antennes jusqu'à l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand), nous vous souhaitons la bienvenue et vous invitons à regarder notre pays tel qu'il est.

Un pays fort de femmes et d'hommes qui ont bâti une Martinique libérée de l'esclavage depuis seulement 158 ans. Dans un brassage culturel nourri de tolérance, ces femmes et hommes de Martinique ne quémandent pas quelques sous de la France. Debout, la population de Martinique exige le respect.

Respect de son identité, respect de sa culture, respect de son histoire. Télé et Radio Martinique ne peuvent s'inscrire que dans cette exigence.

Monsieur le Président, vous comprendrez donc que nos organisations syndicales seront vigilantes quant aux réponses que vous apporterez lors de ce premier voyage en terre martiniquaise.

Monsieur le Président, vous comprendrez donc que nos organisations syndicales seront vigilantes quant aux réponses que vous apporterez lors de ce premier voyage en terre martiniquaise.
 

Signatures

 
 
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