Maîtriser les langues internationales,
développer la langue nationale… et honorer les langues ancestrales
 

Le titre pourrait légitimement être perçu comme un slogan ou une directive de propagande politique en quête de fins intéressées. Si tel est le cas, on le comprendra aisément dans la mesure où, de par notre histoire et sans doute celle la plus récente, on a été souvent amené à énoncer ou entendre ce genre de message très caractéristique. Mais dans le contexte spécifique de la mondialisation, et surtout dans la trame de l'heureuse initiative Pa Bliye Nou Rasinn, il pourrait aussi tout simplement être appréhendé comme une prise de position sociopolitique désintéressée de n'importe quel citoyen mauricien patriote, souhaitant apporter sa contribution quant aux enjeux fondamentaux de la langue et de la communi cation dans le monde moderne. On veut, en effet, trouver dans ce titre, un mot d'ordre phare qui a vo cation d'encourager massivement nos compatriotes à une action utile et nationale contribuant au bon développement de notre pays.

Dans les faits toutefois, il faut bien constater que l'essence de cette idée est mise en œuvre d'une manière ou d'une autre car chacun de nous et, en particulier, les divers responsables du pays ont pu mesurer depuis très longtemps son importance majeure. L'idée a fait graduellement son chemin; il s'agit maintenant de la conceptualiser afin de permettre de passer à une action volontaire et éclairée: dans quelle direction va-t-on, pour quelles raisons et par quels moyens? En d'autres termes, il y a lieu d'accentuer la tendance actuelle en vue de mieux accompagner le changement nécessaire dans ce domaine. Et sur le plan de la psychologie individuelle et nationale, la démarche se prête à aboutir à la naissance d'une conviction forte de chaque citoyen pour œuvrer dans ce sens et, par conséquent, contribuer à l'essor national.

Néanmoins, il serait inutile de vouloir affirmer encore aujourd'hui cette importante vérité selon laquelle la langue est un moyen de communi cation, indispensable au bon développement d'une société et, par suite, de la personne humaine. Nous avons d'excellents linguistes, d'éminents journalistes et sociologues ou d'ardents combattants à Maurice pour avoir fait et pouvoir toujours nous faire la pédagogie autour de la question de langue en tant qu'instrument de développement de notre société. Qu'ils en soient remerciés et vivement encouragés ici dans l'accomplissement de leurs tâches.

Actualité constante

En ce qui concerne la présente réflexion, elle s'inscrit également dans cette démarche contributive aux progrès de la nation mauricienne. Il est plus qu'évident que le sujet n'est pas d'une actualité brûlante car au-delà de tout, nos préoccupations majeures demeurent nos problèmes économiques avec leurs conséquences néfastes et nuisibles pour l'ensemble des Mauriciens, notamment ceux qui sont les plus vulnérables financièrement. Mais, de par sa nature permanente, la question de la langue et de la communication en général est assurément d'une actualité constante. En effet, de nos jours, qui peut avancer, sans paradoxe, que la maîtrise écrite et orale des langues par nos concitoyens n'est pas nécessaire pour nos divers échanges politiques et diplomatiques, économiques et commerciaux ou sociaux et culturels tant à l'intérieur du pays qu'à l'échelon régional et international?

On ne le dira sans doute jamais assez: la maîtrise des langues est la clé d'ouverture de toutes les sources des connaissances académiques, techniques et professionnelles. Face à cette évidence, il est dès lors nécessaire d'expliciter le triple énoncé constituant le présent titre afin d'être en mesure de justifier sa mise en appli cation.

Les langues internationales

Si l'on prend comme référence de base les six langues officielles de l'Organisation des Nations Unies - à savoir l'arabe, l'anglais, le chinois, l'espagnol, le français et le russe -, l'on constate évidemment que notre île possède de longue date, les deux langues qui ont été et sont toujours intensivement utilisées à travers le monde. Notre condition historique nous a légué ces deux héritages suffisamment précieux pour que l'on puisse se permettre d'en faire bon usage. Nul ne pourra contester, de nos jours, le fait selon lequel la maîtrise des langues anglaise et française est crucialement indispensable à tous les niveaux de fonctionnement interne et externe de notre pays.

Il est bien connu que tout notre système institutionnel et politique, notre système juridique et judiciaire, notre système de l'administration centrale et régionale, notre système économique et notre système éducatif sont exclusivement ou principalement exprimés au travers de la langue anglaise. L'ensemble de nos professionnels en provenance du Royaume Uni, de l'Inde, des Etats-Unis d'Amérique, du Canada, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l'Afrique du Sud, de la Chine, de la Russie ou de Singapour sont formés dans cette langue. Même ceux qui sont formés en France ou dans d'autres pays francophones doivent être familiers à la langue anglaise. De ce point de vue, il est à relever qu'en France également, où tout est mis en œuvre pour protéger, défendre et promouvoir la langue française justement par rapport à la prédominance de l'anglais dans le cadre de la construction de l'Union européenne et de la mondialisation, la maîtrise de la langue anglaise est devenue presque indispensable, en particulier, sur le plan professionnel. La suprématie de la langue anglaise sur le plan international est indéniable. C'est un état de fait qui certes, peut être librement et diversement apprécié.

S'agissant de notre économie interne, il serait encore inutile de convaincre tout un chacun de l'importance de la langue anglaise. Maintenant que le pays investit lourdement dans la New Information Technology, on prend davantage conscience de la bonne utilisation de l'anglais, mais aussi du français, pour atteindre certains de nos objectifs économiques. La même idée se transpose directement sur la restructuration hautement suggérée de notre industrie du textile ou celle du tourisme. La portée de notre aptitude à pouvoir maîtriser l'anglais est capitale pour nos enjeux nationaux et donc déterminante pour l'avenir de notre île.

Parallèlement à la prédominance de l'anglais, la place et l'importance de la langue française tant à Maurice que dans le monde ne sont plus à démontrer. Les Mauriciens sont depuis toujours familiers à la beauté et l'efficacité de cette langue. Le monde de la francophonie occupe une part importante sur l'échiquier international. L'Organisation Internationale de la Francophonie regroupe une cinquantaine d'Etats qui s'étalent sur l'Afrique centrale, l'Afrique de l'Est et l'Océan Indien, l'Afrique de l'Ouest, l'Afrique du Nord et le Moyen Orient, le Canada et les Caraïbes, l'Asie et le Pacifique, et l'Europe Centrale et l'Europe de l'Est. Le rayonnement de la langue française est également un fait marquant. Ici encore, l'utilisation du français est d'un apport décisif relativement aux enjeux économiques, commerciaux, technologiques et diplomatiques de notre pays. Les responsables de l'Etat, à divers niveaux, l'ensemble des dirigeants politiques et ceux du secteur privé ont globalement conscience de la pertinence de la question de la maîtrise des langues anglaise et française pour le développement de notre pays.

Apprentissage

Le principe général qui régit cette situation de langage dans le monde est que l'on doit impérativement maîtriser la langue ou les langues les plus utilisées dans les échanges régionaux et internationaux. Si dans le monde de demain, une langue particulière affirme sa suprématie, il sera nécessaire d'y investir, ce qui présuppose que l'on doit avant tout détecter la tendance dans ce domaine afin d'en prendre de l'avance pour pouvoir être en mesure de faire face aux réalités à venir.

Cependant, il y a lieu d'évoquer à ce stade, une question majeure d'ordre psychologique et historiquement inhérente à l'apprentissage des langues internationales anglaise et française à Maurice. En effet, de par notre histoire, nombreux sont les Mauriciennes et Mauriciens qui ont une excellente maîtrise des langues anglaise ou française, dont bien évidemment l'honneur leur revient, souvent en raison de l'effort fourni. Il n'en demeure pas moins que, du fait du phénomène d'identification au modèle colonial, le "complexe colonial" de supériorité ou d'infériorité, inévitablement ancré dans le pays, se manifeste encore aujourd'hui mais, de par l'affirmation évolutive de la société mauricienne, se purge progressivement de génération en génération. Dans cette perspective, il serait certainement légitime d'avancer avec force: "Soyons sans complexe, décomplexons-nous vis-à-vis de notre capacité ou incapacité de lire, de comprendre, d'écrire ou de parler les langues étrangères, en particulier les langues anglaise et française." On comprendra bien mieux la nature du problème lorsqu'on réalise qu'on n'a pas le même complexe face à d'autres langues étrangères pratiquées chez nous. Il y aura certainement consensus si l'on affirme que ceux qui n'arrivent pas à maîtriser l'anglais ou le français, doivent être sans honte et gêne, et ceux qui y arrivent, ne doivent surtout pas être hautains, arrogants et méprisants envers ceux qui n'y parviennent pas. On se laissera raisonnablement porté à croire que de tels comportements, attitudes et approches sont destructeurs pour notre pays. Il est sans doute préférable que les Mauriciennes et Mauriciens très compétents en anglais ou français soient davantage heureux de pouvoir partager et transmettre aux autres Mauriciens leurs techniques d'apprentissage de ces langues.

Ceux qui ont voyagé ou vécu à l'étranger savent par expérience que, par exemple, en Angleterre, en France, aux Etats-Unis, au Canada ou encore en Australie, les gens sont, en règle générale, très contents ou impressionnés lorsque les étrangers parlent leurs langues mais ne les méprisent jamais s'ils n'y parviennent pas. A Maurice même, on n'est pas intolérant lorsqu'un étranger ne parle pas bien notre langue nationale, le mauricien. Bien au contraire, on trouve souvent un certain charme et amusement dans cette manière maladroite de s'exprimer. Pourquoi alors ne devrait-on pas être tolérant envers nos propres compatriotes qui n'arrivent pas à s'exprimer convenablement en anglais ou français lesquels, évidemment, ne sont pas nos langues maternelles?

Pourquoi certains d'entre nous les considèrent-ils avec mépris parce qu'ils ne savent s'exprimer qu'en kreol, notre langue nationale?

La langue nationale

Développer notre langue nationale, le kreol, le kreol mauricien ou le mauricien tout simplement, implique la recherche de moyens pour "promouvoir son développement". On ne convaincra plus personne désormais, surtout ceux qui s'y opposent encore, après plus de trente ans de débats, de la nécessité impérieuse d'utiliser notre langue maternelle et nationale dans notre pays indépendant. Des études, les unes plus remarquables que les autres, fondées sur les travaux des spécialistes linguistes et pédagogues de reconnaissance internationale, ont été faites à Maurice pour avancer de manière scientifique, les atouts de l'usage de la langue maternelle et nationale dans la construction de notre République.

Relativement à cette édification nationale, certaines anciennes traces négatives disparaissent moins vite. Le "complexe colonial" fait qu'on se méprise et qu'on regarde avec dédain notre propre moyen d'expression. On se sent "grossier" lorsqu'on s'exprime en kreol parce que la "finesse" venait des colons dont nombreux étaient, on le sait, très méprisants. Ici encore, on est amené à affirmer avec vigueur: "Soyons sans complexe et soyons fiers de nous exprimer dans notre langue maternelle et nationale, le mauricien. " La finesse ou la grossièreté ne se révèle pas en fonction de la langue que l'on utilise car on peut être fin ou grossier en français, anglais, mauricien ou toute autre langue, mais plutôt se manifeste en rapport avec le choix des mots, le ton, l'attitude et le comportement que l'on a lorsqu'on s'exprime et ce, dans n'importe quelle langue. Force est d'observer quand même que le changement de mentalité en termes d'acceptation de nous-mêmes en tant que Mauriciens et, par la suite, de notre langue, a grandement pris de l'ampleur depuis l'indépendance de notre île. Aujourd'hui, on est indubitablement très nombreux à être fiers et satisfaits de pouvoir librement s'exprimer dans notre langue maternelle et nationale car le complexe colonial s'amenuise et inversement, la confiance dans les bienfaits de l'utilisation du Mauricien pour le développement de notre pays, s'accroît. Sous cet angle, il faut bien savoir qu'au niveau juridique, la liberté d'expression autorisée dans le cadre de la loi, est un de nos droits fondamentaux garantis par notre Constitution, loi suprême de notre Etat de droit, indépendant, républicain et souverain.

Suggestions

Cependant, la plénitude de l'expression dans notre langue maternelle et nationale est-elle totalement assurée? Il est clair que du point de vue de la technique linguistique, le problème de graphie du mauricien n'a pas encore trouvé de solution définitive et formelle, quand bien même plusieurs suggestions ont été faites à cet effet. On sait toutefois qu'une langue prend son temps pour bien asseoir ses caractéristiques essentielles, en particulier dans un pays encore trop jeune, et on sait aussi qu'à terme, la graphie idéale s'installera naturellement. Mais l'idée capitale à mettre en avant ici est que nos efforts pour développer notre langue nationale nous avantagent immensément à faire l'apprentissage des langues étrangères en vue d'acquérir des connaissances qui y sont exprimées. Dans plusieurs pays, y compris à Maurice, cette pratique prend de l'ampleur et les difficultés de compréhension et d'assimilation pour nos jeunes enfants s'estompent et contribuent à rendre par là même leurs scolarités et études plus attrayantes et agréables. En ce début du vingt et unième siècle, la démonstration de la vertu pédagogique d'enseigner aux enfants par le biais de leur langue maternelle n'est plus à faire. Pour l'essentiel toutefois, on s'accorde à affirmer en bonne logique que l'on ne peut enseigner un inconnu par l'intermédiaire du même inconnu. La langue maternelle que connaît naturellement un enfant est la voie idéale qui lui permet de comprendre et d'assimiler correctement l'enseignement d'une langue étrangère. Il s'agit là d'un acquis scientifique pédagogique incontestable, mondialement connu et reconnu.

Dans ce contexte précis, la place qu'occupe et qu'occupera la langue mauricienne dans le cadre de l'ensemble des langues pratiquées dans la société mauricienne est une des problématiques pertinentes mises en avant par nos linguistes. Assurément, la pratique apporte progressivement des éléments de réponse. Déjà depuis longtemps, l'adhésion massive à l'utilisation de notre langue dans des occasions où avant elle était interdite, demeure un fait indéniable. Notre langue conquiert lentement mais sûrement des domaines restés longtemps hermétiques. Mais alors on peut s'interroger, à juste titre, quant à la compatibilité entre le désir de maîtriser les langues internationales et celui de promouvoir la langue nationale. A vrai dire, la question ne se pose pas forcément en ces termes car dans les faits et depuis plus d'un siècle, ces langues coexistent, et il s'avère que leurs existences et utilisation ne sont absolument pas contradictoires. Chacune trouve son évolution dans le cadre du fonctionnement de la société mauricienne. Par conséquent, le problème se situe à un autre niveau mais nécessairement en rapport avec la pratique utile et prédominante des langues anglaise et française : quel statut veut-on conférer à notre langue mauricienne dans la réalité des langues internationales utilement pratiquées à Maurice?

Perception

Formulé en ces termes, il est évident qu'il s'agit simultanément de continuer à valoriser les langues anglaise et française et de rehausser l'importance de la langue mauricienne dans notre société. En définitive, on comprend que le problème s'exprime d'une double manière relativement à l'anglais et le français. D'un côté, il y a la perception que l'on s'est historiquement faite de notre langue nationale sur la base de l'existence du complexe colonial. De l'autre côté, et toujours en relation avec l'anglais et le français, la langue mauricienne souffre, a priori, d'un manquement technique majeur traduit par l'absence d'abord d'une graphie mais ensuite, d'un consensus autour de cette même graphie. Dans son expression théorique, le problème est donc à la fois psychologique et technique. Quant au premier aspect, on a vu et on est à même de constater que ce complexe se dissolve au fil du temps. Quant au deuxième trait, on n'en est plus au stade ni de l'acceptation de l'utilisation de notre langue nationale, ni de sa représentation écrite qui sont tous les deux acquis, mais dans la recherche d'une graphie acceptable.

A titre de première conséquence, force est d'observer que la progression, sur une trentaine d'années, de notre langue dans notre société est d'une dimension hautement qualitative. La différence majeure se fera donc par un changement quantitatif parce que, du point de vue de la technique linguistique, la langue mauricienne obéit aux mêmes caractéristiques fondamentales que celles de la langue anglaise ou française. A l'instar de l'anglais ou du français, le mauricien peut être parfaitement parlé, lu ou écrit. Ainsi, au fur et à mesure qu'il y aura une plus grande acceptation de la part de nos compatriotes dénués de tout complexe colonial, du rôle de notre langue nationale comme un des éléments déterminants de notre identité nationale, une prise de conscience de ses vertus d'ordre pédagogique et un consensus général autour de sa graphie, la question de sa place dans notre société ne se posera plus dans les termes précédemment formulés. Il sera alors question de la faire évoluer sur les bases qu'elle s'est données. L'épanouissement de la langue mauricienne est donc assuré. Déjà, la littérature proprement mauricienne et les traductions de certains textes en mauricien connaissent des développements intéressants et prometteurs.

De ce qui précède, force est de constater que par une évolution lente mais inévitable de notre perception mentale et intellectuelle de notre propre langue maternelle et nationale, on finira par lui donner le statut qui doit lui revenir au sein de notre société. Et dans une optique pédagogique mais aussi au regard d'une politique générale de l'enseignement des langues dans notre pays, le lien est aisé pour permettre de comprendre que promouvoir la langue nationale permet, en fait, de pouvoir mieux maîtriser les langues internationales et honorer les langues ancestrales.

Maîtriser les langues internationales, développer la langue nationale…
… et honorer les langues ancestrales

Pour des raisons culturelles, c'est-à-dire celles qui recherchent des éléments qui permettent d'affirmer son identité face à sa propre histoire et sa situation présente, on a toujours éprouvé, d'une manière ou d'une autre, le besoin profond de se rattacher, entre autres, aux langues que parlaient nos ancêtres. Nombreux sont ceux qui ont disserté de manière positive sur la question pour que l'on y revienne. Toujours est-il utile de rappeler qu'honorer nos langues ancestrales relève d'un sage devoir de mémoire et de continuité vis-à-vis de nos aïeux qui ont fait notre histoire dans le quotidien. Honorer, dans ce contexte, signifie rendre hommage à leur courage et leur vaillance. L'effort de mémoire nous autorise à mesurer surtout les divers progrès accomplis dans tous les domaines concernés et contribue, par conséquent, à nous donner davantage de confiance à la fois dans le présent et l'avenir, face à toute difficulté apparente ou réelle. D'avance on est gagnant car nos ancêtres ont connu des situations nettement plus difficiles que nous mais, dans l'ensemble, par le travail, ils ont fini par triompher.

Quant à la responsabilité de continuité, elle comporte au moins deux atouts. D'une part, elle conforte notre identité culturelle dans le contexte riche et flamboyant de notre culture nationale mauricienne. D'autre part, elle contribue d'une façon directe ou indirecte, dans le cadre de la mondialisation, à une meilleure possibilité de négocier nos besoins culturels, commerciaux ou professionnels dans les pays d'origine de nos langues ancestrales. Il est difficilement concevable que chacun de ces pays ne soit pas sensible à la présence d'une partie de "sa diaspora" sur la terre mauricienne. Nos relations passées et présentes avec chacun d'eux témoignent de cet état de choses. Notre souhait d'apprendre nos langues ancestrales et leur maîtrise éventuelle ne peuvent que contribuer à renforcer la nature qualitative de ces rapports et ce, pour nos biens communs.

Dans cette optique, il est à noter que l'enseignement de nos différentes langues ancestrales est déjà assuré à travers l'île tant officiellement qu'informellement. Mais il importe surtout de savoir dans quel esprit cette formation est dispensée. Il va de soi que toute initiative dans ce domaine ne doit avoir qu'une motivation profonde et unique le renforcement de l'unité nationale pour un meilleur développement du pays. Pour cette raison, quand bien même cet apprentissage reste facultatif, il est fortement souhaitable qu'il soit également ouvert à tous, plus précisément à tous ceux qui y manifestent un intérêt. Et il importe davantage que cette ouverture ne soit pas théorique mais bien réelle.

Echanges

Concrètement, cela implique qu'un Mauricien qui éprouve le besoin d'apprendre une langue ancestrale différente de la sienne doit pouvoir avoir l'occasion de le faire. Les responsables de ces enseignements doivent scrupuleusement veiller à lui donner sa chance et assurer effectivement sa formation. Toutefois, pour les Mauriciennes et les Mauriciens dont la langue ancestrale ne peut être facilement retracée ou pratiquée, des échanges peuvent être faits, par exemple, au travers des langues anglaise ou française, ou toute autre langue de leur choix. En tout état de cause, l'ensemble des langues ancestrales mauriciennes appartient au patrimoine culturel linguistique national; chaque Mauricienne et chaque Mauricien y ont droit et doivent être encouragés à l'exercer dans le cadre d'un choix relativement large.

Le recensement de nos langues ancestrales tourne généralement autour des langues suivantes: hindi, bhojpuri, télégou, marathi, gujarati, tamoul, ourdou, arabe et mandarin. Ainsi sont concernés les pays tels que l'Inde et ses différentes régions, le Pakistan et les pays arabes, et la Chine. Nos possibilités d'ouverture sur ces pays, notamment l'Inde et la Chine, deux puissances économiques montantes et incontournables sur l'échiquier international, sont donc importantes.

Chacun de nous est libre d'apprendre une langue étrangère pour son plaisir personnel. Mais dans le cadre d'une politique nationale de l'enseignement des langues, les enjeux économiques, culturels ou politiques doivent être précisés afin qu'on soit en mesure de mieux convaincre et motiver nos concitoyens de s'y engager et, par conséquent, d'en assurer le succès. Notre politique nationale de langage devrait s'inscrire dans une géostratégie triangulaire régionale dans l'océan Indien comprenant l'Inde, Madagascar, l'Afrique du Sud et l'Australie. Elle devrait également s'inscrire dans une autre stratégie mondiale incluant l'Inde, la Chine et les pays de l'Asie du sud-est, les pays arabes et le Brésil, tout en renforçant nos liens traditionnels avec l'Afrique, l'Europe et l'Amérique du Nord, et en ayant à l'esprit des possibilités d'ouverture vers d'autres pays aptes à assurer la réciprocité des besoins dans le respect de la sûreté de l'Etat et de la sécurité du pays.

La mondialisation redessine progressivement la nouvelle cartographie économique du monde. Nos responsables politiques, nos techniciens du service public, nos responsables du secteur privé et les forces vives de notre société, par une imagination fertile, sauront certainement tirer avantage des nouvelles donnes planétaires. Notre faculté de maîtriser un minimum de trois langues, dont l'anglais et le français, constitue un élément majeur de notre capital humain pour contribuer à pourvoir à nos besoins de base dans un monde de plus en plus régi par la concurrence. Dans tous les cas, notre potentiel langagier nous sera toujours utile pour le développement de notre société. Notre bilinguisme ou multilinguisme est le fondement de la réussite de nombreux Mauriciens à l'étranger mais aussi à Maurice.

Tout le monde sait qu'on est une petite île, à peine visible sur la carte du monde, mais rien ne nous interdit de penser grand; c'est et ce sera la condition de notre grandeur: telle pensée, tel pays. Ainsi peut être la portée à Maurice d'une politique de langues dans sa mise en appli cation.

Maîtriser les langues internationales, développer la langue nationale…
… et honorer les langues ancestrales

La mise en application. Du point de vue interne de la société mauricienne, on s'accordera sans doute presque tous à dire que la bonne maîtrise des langues par une grande majorité de nos compatriotes, aura une influence nettement favorable sur son fonctionnement quotidien. Du point de vue externe, seuls nos représentants désignés et théoriquement les plus capables, auront la fonction majeure de négocier dans les échanges régionaux et internationaux. En rapport à cette double optique, il est certainement souhaitable que les Mauriciens puissent faire part de leurs opinions sur des sujets qui les intéressent. Ce sera l'occasion de leurs participations démocratiques aux débats nationaux, potentiellement aptes à faire émerger d'excellentes idées sur la réalisation des projets précis. En toute hypothèse, le mieux notre population est formée, le meilleur sera le fonctionnement de notre société et la meilleure sera sa représentation.

Par quels moyens pourrait-on atteindre les objectifs précités? Quelle que soit la difficulté de la situation, il faut bien commencer quelque part pour arriver à des solutions concrètes. Une première idée s'impose ici: il ne s'agit pas, a priori, de concevoir de grandes planifications nécessitant des moyens financiers substantiels pour arriver à ces fins. Les choses sont nettement plus simples. Il s'agit plutôt de commencer par bien exploiter ce que l'on a déjà, d'utiliser au mieux ce que l'on possède. Dans la réalité, cela signifie que chacun de nous doit agir là où il peut avec les moyens disponibles. De ce point de vue, les perspectives s'éclaircissent et les possibilités d'actions deviennent multiples.

Nos moyens locaux sont effectivement nombreux et importants. L'utilisation maximale de nos possibilités réelles constitue ainsi le véritable point de départ du succès de notre entreprise en la matière.

A ce titre, quelques actions concrètes dont certaines sont déjà en cours d'exécution, devraient être encadrées de manière consciente et méthodique dans la perspective suivante. Une politique active allant au-delà de l'idée indispensable de l'unité nationale dans la diversité, devrait être dégagée pour mettre en œuvre une autre selon laquelle l'enseignement des langues recouvre aussi des enjeux économiques déterminants pour le développement de la société mauricienne. En effet, l'histoire de l'humanité nous apprend avec insistance, surtout durant la dernière période, que l'économie, sous quelque forme que ce soit, est la base matérielle de toute survie. Pas d'économie, pas de vie, pourrait-on dire. Mais l'initiative dans ce domaine peut également relever du secteur privé ou être personnelle.

Les responsables et enseignants des différents cycles de notre système éducatif jouent ici un rôle d'avant-garde car ils ont avant tout comme vocation et responsabilité de se former pour mieux former les autres pour le bon développement de notre île. Dans un contexte de taux d'échec durable et important au Certificate of Primary Education, c'est-à-dire la base même dans laquelle évoluent les futurs responsables de notre pays, les encouragements de nos pédagogues pour l'ensemble de nos concitoyens et nos jeunes en particulier, sont impératifs car ils trouvent là une des justes causes de leurs missions professionnelles, à savoir, mettre fin à ce fait brutal et alarmant de notre société. Chaque enseignant au niveau préprimaire, primaire, secondaire, universitaire ou professionnel a, à l'évidence, un rôle prépondérant dans le développement de l'expression écrite et orale des différentes langues enseignées à Maurice.

Apport vital

Les médias écrits et parlés, outre leur rôle principal d'information et de détente, ont de tout temps eu un effet conséquent dans la formation des langues. Toute initiative de leur part selon leurs moyens, en faveur d'une prise en charge de cette formation sera d'un apport vital pour notre pays. A cet égard et de manière plus large, il est de commune observation que les moyens technologiques du monde de la communication tels qu'Internet, la téléphonie, la radio ou la télévision progressent de manière fulgurante, mais force est de constater que la langue en demeure l'élément inchangeable; il reste le moyen des moyens. L'utilisation efficiente des nouvelles technologies de communi cation présuppose donc la maîtrise des langues.

Toutes nos librairies et nos bibliothèques publiques ou privées, doivent être mises à contribution, par exemple en organisant annuellement des rencontres voire des salons du livre au niveau municipal, régional ou national, pour constamment élargir et élever notre lectorat. L'encouragement d'une envergure nationale à la lecture, à l'expression écrite et orale des langues, visant nos enfants, nos jeunes et nos adultes doit être une de nos préoccupations constantes. Des clubs de lectures favorisant, entre autres, la pratique de la lecture à haute voix, la rédaction ou l'organisation des débats sur des thèmes de leurs choix sont à développer. Les parents lettrés doivent veiller à transmettre à leurs enfants leurs savoirs du fait que la voie familiale, en raison des liens affectifs et des bonnes influences, demeure souvent le meilleur moyen de transmission.

Potentiel humain

En bref, toute initiative qui promeut l'expression écrite et orale d'une langue doit être encouragée. De ce point de vue, le bénévolat joue et jouera un très grand rôle car le partage généreux durant une ou deux heures par semaine, par quinzaine ou sur toute autre périodicité appropriée, de notre savoir aux autres, surtout aux moins chanceux, constitue, à coup sûr, un élément décisif dans l'affermissement de notre unité nationale, dans le développement de notre pays et dans sa capacité de s'adapter au monde nouveau.

"Faire de Maurice une société du savoir, un knowledge hub" est une juste et grande ambition car en l'absence de ressources naturelles déterminantes à l'exemple de nombreuses îles, notre potentiel humain demeure notre seul capital apte à nous servir. On a les moyens de cette ambition et on doit forcément y parvenir car, de toutes les façons, les objectifs à atteindre s'imposeront à nous dans le temps. L'avenir commence ici et maintenant. Mieux vaut donc démarrer immédiatement, progresser graduellement et arriver sûrement. Mais l'acquisition des connaissances passe par la maîtrise des langues.

Les grandes portées de l'apprentissage des langues, on l'observe, sont économiques et commerciales, sociales et culturelles. Dans cet esprit, chaque Mauricienne et chaque Mauricien, indépendamment de leur sensibilité politique ou religieuse, y trouvent leur avantage. Il est, par conséquent, grandement souhaitable qu'il y ait une politique volontaire encadrant l'ensemble de ces enjeux et une attitude consciente de la part de chaque Mauricienne ou Mauricien de bien vouloir la traduire à son niveau personnel en fonction de ses propres moyens. Il est grand temps que l'on réalise qu'on ne peut tout attendre de l'Etat et des autres, que chacun doit pouvoir faire un effort dans ce qu'il croit utile, efficace et positif pour notre pays. L'Etat également doit bien repenser sa responsabilité en la matière et surtout encadrer ou encourager les bonnes initiatives. C'est sans conteste dans cette nouvelle attitude d'effort, d'initiative et de responsabilité que l'on devient les vrais bâtisseurs de notre île. Nombreux sont les Mauriciennes et Mauriciens qui œuvrent avec cette noble motivation. Ils sont de véritables sources d'inspiration pour l'ensemble des Mauriciens, notamment pour la jeune génération.

Tout ce qui précède est sans nul doute profondément gravé dans notre inconscient collectif, chacun d'entre nous le sait d'une manière ou d'une autre, mais des fois il est très utile que certaines évidences soient formellement énoncées ou redites car elles doivent être entendues à maintes reprises pour pouvoir produire toute leur efficacité dans des actions concrètes.

Il est manifeste que la seule maîtrise des langues ne résoudra pas nos problèmes socio-économiques. Mais, sans cette maîtrise, aucun progrès n'est possible; bien qu'insuffisante, elle reste néanmoins indispensable.

Un pays qui ne sait pas s'exprimer est un pays inerte et presque inexistant car il ne pourra jamais se faire entendre. Au contraire, un pays qui a la capacité de s'exprimer, se met en situation de se rendre plus dynamique et vivant car il pourra toujours faire entendre sa voix. L'emploi efficace des langues passe par la maîtrise de leurs expressions écrites et orales. L'écriture et la parole sont un pouvoir latent présent en chacune et chacun de nous; développons-le pour mieux contribuer au bien-être de notre pays.

Nada Rengasamy Savan

CAPA, Ecole de Formation au Barreau (Paris)
Docteur en droit, Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
(à suivre)
 

 
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