Galerie de peinture mauricienne
Galri lapintir morisyen

Eliacin François
(1841-1878)

Emmanuel Richon

Eliacin François

Enregistré en tant que “propriétaire et négociant”, Eliacin François fait tout d’abord partie de l’Histoire de la municipalité de Port-Louis.

Il s’inscrit directement dans le sillage d’Hippolyte Lemière, ce dernier ayant été le premier maire issu de la population de couleur.

Eliacin François

Il fut élu en 1868 et 1869. S’étant adonné très jeune au commerce, il acquit rapidement une belle fortune et eut l’idée de créer sa propre maison de commerce qu’il dirigea habilement. En 1868, les affaires de la municipalité se trouvaient dans une situation très précaire et l’on peut dire que la capitale ne manqua pas de maires dévoués et compétents pour contrecarrer un déclin pour autant inéluctable.

Depuis 1850, les différents édiles furent sans cesse contraints de lutter contre différentes calamités toutes plus graves les unes que les autres. Le choléra, qui emporta même Louis Léchelle, le premier maire, qui tentait courageusement d’endiguer le fléau. Cette épidémie à peine éradiquée, une seconde, plus terrible encore, s’abattit à nouveau sur la capitale. Hippolyte Lemière, excellent négociant lui-aussi, parvint à redresser les finances pourtant au plus bas. Malheureusement, comble de malchance, d’autres épidémies plus graves encore, cette fois de malaria, empêchèrent tout redressement durable.

Quant à Eliacin François, qui tenta de lutter avec un mal dont on ignorait tout, cela grâce aux moyens du bord, il eut encore à redoubler d’efforts lorsqu’un violent cyclone ravagea totalement la capitale le 12 mars 1868. Le mairat d’E. François s’avère donc capital car c’est de cette date que s’entame un déclin port-louisien au profit des Plaines Wilhems, la prospérité réelle, engendrée par l’élan d’un Louis Léchelle, fut donc d’une durée limitée. De 1851 à 1861, la population urbaine a passé, malgré les épidémies de choléra, de 49'909 à 74'128 habitants. Augmentation considérable si on la compare à celle correspondant à la période allant de 1817 à 1830 où, d’après le Baron d’Unienville, elle passa de 24'839 à 27'277 habitants. Le chiffre de 1861 correspond à un pic après lequel s’amorce un déclin inéluctable. Evidemment, cet accroissement considérable résulte de l’arrivée massive d’immigrants indiens dans le cadre du coolie trade.

Ces modifications démographiques eurent un impact à tous les niveaux et d’abord sur le plan épidémiologique puisque le choléra et la malaria furent la conséquence directe d’arrivées massives insuffisamment contrôlées.

Eliacin François

L’entassement de la population dans les faubourgs de la capitale devint rapidement un problème d’envergure. Certes, l’état sanitaire de Port-Louis avait toujours laissé à désirer, mais un tel accroissement de la population ne fit qu’aggraver les choses. En 1864, d’après un rapport officiel, il n’y avait dans toute la capitale que douze urinoirs publics et 5196 fosses d’aisance, pour une population dépassant les 75'000 habitants, ce qui signifie grosso-modo, qu’en tout et pour tout, un quart seulement des masses d’excréments était traité. Auguste Toussaint, dans un ouvrage consacré à la capitale Port-Louis, deux siècles d’Histoire, résume bien la situation correspondant aux années 1865-70, celles des mairats d’E. François ou d’H. Lemière: «Tous ces facteurs, auxquels venaient s’ajouter la chaleur du climat, le déboisement, les inondations, les fouilles pratiquées pour le chemin de fer et le gaz, étaient bien propres à favoriser le développement de la moindre contagion. Aussi verrons nous bientôt le choléra et la fièvre exercer dans la capitale des ravages particulièrement étendus. En quelques années, Port-Louis perdit plus d’un tiers de sa population et vit diminuer considérablement son prestige.» (p.345)

L’épidémie de 1866-68 mérite qu’on lui fasse une place à part dans l’ensemble des calamités qui affligèrent Port-Louis durant toute son histoire. Son caractère mystérieux parvint à démoraliser toute la population de la ville, la malaria étant alors inconnue ou pire, incomprise.

L’hôpital civil de 270 lits à l’époque, s’avéra rapidement insuffisant et l’on dut improviser trois autres hôpitaux de fortune dans l’urgence. Le nombre de décès fut si grand, que le gouvernement dut se résoudre à ordonner la fermeture temporaire du cimetière de l’Ouest et de celui de Roche-Bois et procéder à l’acquisition d’un terrain conséquent à Bois-Marchand, dans lequel furent ensevelis tous les morts. 22'381 décès, chiffre incroyable pour la seule année 1867. De cette épidémie datent les premières migrations définitives vers les Plaines Wilhems, régions réputées plus saines et désormais rendues accessibles par l’installation de la nouvelle ligne ferroviaire.

Eliacin François

Enfin, le cyclone du 10 au 12 mars 1868 acheva de détruire le semblant de richesse qui demeurait de la capitale: 59 magasins et boutiques, 411 corps de logis, 477 maisons et 1319 baraques dans lesquelles vivaient les immigrants, furent détruits par la force des rafales.

C’est dans ce contexte qu’un maire comme Eliacin François dut faire face à toutes ces calamités, la ville ne pouvant véritablement pas être assainie, les réparations des dégâts monopolisant l’ensemble des dépenses. C’est pendant son mairat, qu’ironie du destin, Eliacin François eut à recevoir de la métropole le premier blason officiel de l’île où s’inscrivit la célèbre devise «stella clavisque maris indici». Le pavillon fut hissé à Port-Louis lors de la visite du Prince Alfred.

Le mairat d’Eliacin François est également important car il s’inscrit au cœur de l’Histoire globale de l’île et témoigne de la montée en puissance de la population des gens de couleur, qui sut jouer et composer un temps avec l’autorité britannique en place, cette dernière s’avérant elle-même intéressée à jouer une carte lui permettant de lutter contre les riches planteurs blancs francophiles, esclavagistes et susceptibles de rébellion. A la montée en puissance d’un Adrien d’Epinay tenant tête à l’occupant et parvenant même à lui arracher nombre d’avantages, dont les deux millions de Livres sterling de «compensation», liés à l’abolition, dont la liberté de la presse et la création du célèbre Cernéen, organe d’expression de la communauté blanche d’origine française, dont la création de la municipalité de Port-Louis, fait pendant durant la décennie suivante, la prise de conscience par la communauté des gens de couleur de ses intérêts propres.

Du coup, le mairat d’Eliacin François, tout comme celui d’Hippolyte Lemière, qui le précéda, témoigne bien d’un mouvement, celui du journal La Sentinelle et de son rédacteur, Rémy Ollier, cette élection mairale s’inscrit dans ce contexte.

Eliacin François Eliacin François
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C’est en 1843 que débute ce courant, lorsqu’un journaliste quelconque s’improvisant critique de théâtre, critiqua dans Le Mauricien, la pièce Anthony, d’Alexandre Dumas, en mettant en exergue une «immoralité» qualifiée de «congénitale» et attribuée à l’auteur, lui-même considéré comme mulâtre.

Pour Rémy Ollier, c’en était trop; après avoir vainement tenté d’user d’un droit de réponse bien légitime, celui-ci fonda La Sentinelle, journal qui ne tarda pas à devenir un tri-hebdomadaire et qui lui permit de mener son combat.

A la mort du fondateur de La Sentinelle, disparu trop tôt à l’âge de vingt-sept ans, la succession fut assurée par son ami, Emile Vaudagne. Ardent anglophile, c’est lui qui lança aussitôt sa malheureuse pétition en faveur de la suppression du français dans les tribunaux. Il insista également pour obtenir la nomination d’un homme de couleur au Conseil du Gouvernement, demande exaucée en mai 1846 par la nomination d’Hippolyte Lemière. A noter aussi que La Sentinelle et tous les édiles se rattachant à ce mouvement d’idées, se prononcèrent régulièrement contre l’immigration massive des laboureurs indiens, qui, selon eux, portait préjudice à la main d’ œuvre créole libre.

E. Vaudagne mourut de la variole durant l’épidémie de 1856. Jusqu’en 1863, La Sentinelle périclita quelque peu et c’est alors qu’Hippolyte Lemière et Eliacin François, tous deux futurs maires, résolurent ensemble de constituer une société par actions afin d’acquérir le journal. Ainsi, avant d’être des édiles, nos deux maires furent des gestionnaires avisés qui permirent d’ailleurs au journal de devenir quotidien.

On le comprend, Eliacin François ne devint pas maire par hasard et le journal qu’il contribua à redresser et développer fut en quelque sorte le vivier d’une nouvelle classe politique, qui sut pousser en avant des politiciens de la trempe d’H. Lemière, E. François, plus tard, Charles Henry Leal, mais servit également de tremplin à un écrivain aussi talentueux que Léoville L’Homme. La Sentinelle cessa de paraître en 1888. Symptomatiquement, le pouvoir colonial n’avait d’ailleurs plus besoin de s’assurer ce soutien, la classe oligarchique des planteurs ayant assez vite rallié le pouvoir britannique, le prix du sucre étant assuré d’être calqué sur celui des Antilles anglaises, de plus, compensation substantielle de deux millions de Livres sterlings à l’abolition, les planteurs blancs surent trouver leur avantage au colonialisme anglais.

Le fait qu’Eliacin François l’un des porte-parole de la communauté des Hommes de couleur, successeur d’Hippolyte Lemière, participant et soutien notoire et actif du journal La Sentinelle, fut élu maire de la capitale, n’est pas un hasard, mais témoigne au contraire de cette prise de conscience de classe, tentant en plus de défendre ses intérêts, d’assurer sa représentativité au sein des nouvelles instances représentatives élues, militant plus tard en faveur de la baisse du cens électoral, au détriment de l’oligarchie plantocratique, mais effrayée par l’arrivée massive de nouveaux prolétaires des campagnes, les laboureurs indiens.

Tout ceci n’eut pas lieu sans une certaine tension voire même sans une violence latente, dont l’épisode de la représentation du 10 mars 1857 au théâtre de Port-Louis nous donne aujourd’hui une idée. Elire un maire de couleur n’alla pas sans poser de problèmes à la population blanche de l’époque: des jeunes gens de la population blanche exhibèrent alors un Noir ivre habillé en clown dans la loge du maire lui-même, cela à seule fin de ridiculiser ce dernier, premier homme de couleur élu. On faillit en venir aux mains.

Eliacin François fut un maire respecté et actif, se débattant au beau milieu de tant de fléaux (épidémies, cyclones, ...), qui parvint, non sans mérite, à maintenir la municipalité à flots, ce qui relevait déjà de l’exploit. Par une administration sage, il parvint à améliorer la situation financière de la corporation, ce qui lui valut de pouvoir renouveler son mandat à la fin de sa première année d’administration et même de se faire réélire de 1873 à 1875. A. Toussaint déclare à son sujet que «sa charité était proverbiale; il consacrait», nous dit la chronique, «tous ses émoluements de maire au soulagement des misères de la capitale». Homme de culture, on lui doit également la réorganisation complète de la capitale. A. Guimbeau fut nommé bibliothécaire pour les trois sections. Une salle de lecture fut créée et la bibliothèque, pour la première fois, fut ouverte au public, mais les livres ne pouvaient être prêtés pour être emportés hors de la salle, sauf permission spéciale du maire lui-même.

Sa générosité n'était d'ailleurs pas que proverbiale puisqu'afin de compléter le montant du financement d'un emprunt public destiné à secourir les familles nécessiteuses, Eliacin François n'hésita pas à offrir son allocation mairale, geste qui lui valut un vote de remerciements, proposé par son collègue Basset et unanimement approuvé par le Conseil.

Sa popularité ne devait pas être factice si l'on en juge par ses volontés exprimées le 27 décembre 1869, date où il signifia au Conseil sa volonté de ne plus se représenter: Le Conseil enregistra avec tristesse la déclaration du Maire sortant, dans laquelle, Eliacin François supplia ses collègues de ne pas inclure son nom sur la liste à être soumise au gouverneur, de peur de devoir cette fois refuser la présidence du Conseil que le gouverneur lui aurait sans doute à nouveau proposée.

Ce jour là, malgré la déclaration d'Eliacin François, neuf conseillers devaient encore voter pour lui, dans l'espoir de le convaincre, mais en vain.

Mentionnons enfin que son fils, Eliacin François junior, fut lui-même maire de la capitale de 1893 à 1895.

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