le 27 Septembre 2003

Dany Bébel-Gisler

nous a quittés...
 

Thea sinensis
Arbre à thé d'Asie, sous le microclimat du Tessin, Suisse !
Thea sinensis (Theaceae). Photo F. P.
Dya

Chers collègues,

C'est vraiment une triste nouvelle, la mort de Mme Gisler que j'ai eu la chance de rencontrer à Toulouse en début de cette année. Du retour de l'université de Leiden, je lis le magazine Amina et je tombe sur cette affreuse nouvelle.

Le monde noir et le monde créole perd une figure de proue de la quête de la dignité humaine. Cette personne fort sincère et très perspicace manquera certainement à l'Afrique et a l'univers antillais.

Cécile Dolisane-Ebosse

Dya

En 1990, j'étais élève en 1ère au Lycée d'Enseignement Général et de Technologie Agricole de Baie-Mahault, et Madame Dany Bébel-Gisler nous fut présentée par notre professeur de socio-culturel.

Grande joie, immense bonheur, de voir l'énergie qui se dégageait de cette femme. Pendant environ 1h30 elle nous a parlé de son travail au sein de l'association Bwadoubout et également de ses travaux de recherche.

Jod la an tris paskè, an ka rann mwen kont kè an on fanm fo kité nou, é an pa santi kè jénès an nou ké vé goumé kon li té ka goumé...

Nou ké toujou sonjé'w Dany...
Olivyé CAREME
 

Dya
Lavi-a djol anba

J'ai participé à un colloque autour du créole à l'île de la Réunion il y a quelques années. Dany était présente. Nous étions invités par l'association Ankraké. Dany m'a vraiment émerveillé ces jours-là, je la découvrais sous un autre jour. Elle a charmé tout le monde par son assurance, ses connaissances et sa détermination. An fanm doubout.

De plus Dany a préfacé un livre publié aux Éditions LAFONTAINE. Le livre «un trésor, le fruit à pain doux». Sa préface s'intitule: Dé twa ti pawòl pou wouvè kozé a.

Elle a d'ailleurs reçu l'auteur: Mme M.Françoise LAMY dans son école Bwadoubout en Guadeloupe. Étant chercheure elle-même, elle s'était intéressée à ce travail.

Dany trasé an chimen ba nou, pa kité vié zeb pousé adan. Mèsi Dany.

«Nul ne meurt tant qu'une mémoire s'en souvient.»
Jala

Jala, c'est mon nom d'auteur.
Éditrice, conteuse, marionnettiste.
Jeannine LAFONTAINE, responsable des Éditions LAFONTAINE que j'ai créées en 1994.
Militante pour sa culture antillaise.
 

Dya

J'ai eu la chance et le privilège d'avoir cette grande dame comme prof au CERC, il y a maintenant un peu plus de 10 ans, en DEA Caraîbe Amérique latine. J'ai été littéralement fasciné par tant de dévouement, de conviction et de simplicité réunis en un seul être humain. C'était vraiment une grande écrivaine, une grande chercheuse, une grande militante.

De plus, j'ai appris aujourd'hui que c'était en fait la cousine germaine d'une cousine de ma mère.
Fos é kouraj à sa famille et ses proches et tous ceux qu'elle a considérés comme tels. Je pense aux enfants de "Bwadoubout" dont elle nous parlait sans cesse, pour nous motiver, dans notre "recherche-action", terme sociologique qui prenait toute sa valeur dans sa bouche, car c'était avant tout une chercheuse de terrain qui n'hésitait pas à mouiller ses belles robes africaines pour reconstruire le pays. ¨Pour elle, la parole n'avait aucune valeur si elle n'était accompagnée d'une action. Elle était pragmatique par excellence.

Hier soir, j'ai retrouvé dans mes archives la Charte Européenne des langues régionales ou minoritaires qu'elle nous avait distribuée, Charte que le Président François Mitterand avait refusé de ratifier. Je crois qu'elle n'a jamais pu accepter ce refus venant d'un homme qu'elle devait sûrement admirer, au fond d'elle-même.

Repose en paix, Dany ! «La langue créole, force jugulée» ne t'oubliera jamais.

Edmon Wouso,
Marigalant

Dya
Dany Bebel-Gisler honorait haut et fort à la fois ses origines africaines et notre langue créole. Fière de s'habiller de tissus qui lui allaient parfaitement, elle se disait «gwadafricaine», rendant ainsi hommage à ses ancêtres et à tout ce qui a pu être conservé en terre antillaise du continent de ses origines.

Son dévouement à l'émancipation de l'âme des descendants de l'ignoble esclavage afro-destructeur et à la reconnaissance de l'identité créole du Guadeloupéen occupait pleinement son temps et son énergie.

Partie, il nous reste son exemple, ses livres, son enseignement, et son œuvre à poursuivre. La langue déjugulée, à nous de la faire gicler. Chacune des composantes de la civilisation antillaise d'une part, et tous ensemble, enfants créoles d'autre part, nous gagnerons à suivre cet exemple de fière fidélité aux origines spécifiques, et de courageux combat pour l'unité dans la protection de la diversité.

Jean-S. Sahaï

Dya
CREOLISTIQUE


DANY BEBEL-GISLER, COMBATTANTE DU CREOLE

La Guadeloupe et le monde de la créolistique viennent de perdre en Dany Bebel-Gisler à la fois une combattante et une scientifique de renom. Terrassé par un arrêt cardiaque, celle qui était chargée de mission pour l’UNESCO pour le projet «La Route de l’Esclave» a mené pendant plus de trente ans un combat difficile pour la reconnaissance de la langue créole dans son île. Elle s’est d’abord fait connaître par son ouvrage, publié dès 1972, «Le créole, force jugulée» dans lequel elle analyse les rapports de force entre créole et français dans une société encore sous le joug d’un jacobinisme culturel et linguistique sans partage. D. Bebel-Gisler met en lumière la domination symbolique que subit, dans tous les domaines de la réalité, mais en particulier celui de l’école, notre langue née dans les Plantations, étouffée dans son développement, niée, rejetée, y compris par ceux-là même dont elle était la seule langue maternelle. Cette domination empêche littéralement l’Antillais de parler autrement qu’à travers la voix de l’Autre, se déportant hors de lui-même, empruntant une identité qui n’est pas la sienne.

Joignant la réflexion scientifique à la pratique, D. Bebel-Gisler ouvrira une école privée au Lamentin (Guadeloupe), «Lékol Bwa-Doubout», dans laquelle elle scolarisera en créole les exclus du système scolaire, cela avec un succès non démenti pendant une bonne dizaine d’années. Avec l’anthropologue haïtien Laënnec Hurbon, elle en viendra à s’intéresser aux immigrés haïtiens vivant en Guadeloupe, personnes doublement rejetées, d’abord par leurs «frères» guadeloupéens, ensuite par l’Etat français. Ils écriront un livre à deux mains en créole qui reste un modèle inégalé à ce jour de fusion des créoles guadeloupéen et haïtien. Ce faisant, Bebel-Gisler et Hurbon ouvraient la voie à la fabrication d’un pan-créole c’est-à-dire d’une langue créole écrite dépassant les singularités insulaires, un peu à la manière de l’arabe littéraire.

Enfin, D. Bebel-Gisler, à travers l’histoire d’une paysanne nommée Léonora, recueillira la parole des sans voix, cela dans leur propre langue, dépassant le cadre du simple «récit de vie» pour aboutir à une nouvelle forme littéraire, un nouveau genre, à la croisée de l’ethnographie, de la psychologie, du roman et de l’histoire. Ce livre, qui connaîtra un succès certain, ouvrira la voie à toute une école d’écriture, à la fois exigeante et populaire.

Les préoccupations du GEREC-F et de D. Bebel-Gisler étaient très proches sans que jamais il n’y eut de collaboration entre eux. La lecture des ouvrages publiés par l’un et l’autre démontre sans discussion aucune qu’il y avait, en dépit de cela, une réelle convergence d’idées, une volonté de sortir la langue et la culture créoles du ghetto dans lequel elles sont confinées depuis trois siècles. La seule vraie différence entre le GEREC-F et D. Bebel-Gisler résidait sans doute dans le fait qu’elle croyait sincèrement que les mouvements nationalistes guadeloupéens pouvaient faire avancer la cause du créole alors que pour le GEREC-F, cette cause doit être le fait de tous les Antillais de quelque obédience politique qu’ils soient, la culture et la langue d’un peuple n’étant pas liées à son statut politique. Ce qui signifie très clairement que, pour le GEREC-F, même si la Martinique et la Guadeloupe restent département-région, redeviennent colonie, se transforment en une nouvelle collectivité territoriale ou deviennent un jour carrément indépendantes, le combat demeura exactement le même.

Nous avons, en effet, l’exemple de dizaine de pays africains, notamment le Sénégal et le Nigeria, qui, une fois devenus indépendants, ont laissé de côté leurs langues et cultures nationales pour se plonger avec délices dans les bras de la Francophonie ou du Commonwealth. Au parlement sénégalais, l’unique député à s’exprimer en wolof (elle ne connaît pas le français) voit ses propos traduits dans l’enceinte de l’assemblée dont l’unique langue de travail est le français. Quant on sait que le wolof était écrit en caractères arabes (wolofal) longtemps avant la colonisation française, qu’avec la colonisation, il a été transcrit en caractères latins, on comprend bien qu’au Sénégal, l’argument antillais selon lequel «Le créole ne s’écrit pas», ne joue pas et pourtant ! Et pourtant!…

Espérons que les ouvrages de D. Bébel-Gisler, notamment «Le créole, force jugulée» seront rapidement réédités et qu’on ne se contentera pas d’éloges funèbres ! Car c’est bien joli d’avoir le collège Vincent Placoly, la rue Vincent Placoly, l’arrêt de bus Vincent Placoly etc…mais aucun livre de cet auteur n’est disponible en librairie depuis sa disparition.

Messieurs les décideurs politiques, nos écrivains et intellectuels n’ont pas vocation à devenir des noms de rue!

Raphaël CONFIANT

Dya


Interview d'Elie Shitalou : Dany Bébel n'était pas l'esclave de la négritude.

Dya
 
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