Ayiti

Le développement d'Haïti est possible !

Jean Erich René
 

 

Le développement économique est lié à un phénomène historique associé au mode de production et d'organisation du monde occidental. A la faveur de la Révolution Industrielle déclenchée par le machinisme et la mécanisation subséquente de la production, la Grande Bretagne, la France, l`Allemagne ont connu une croissance élevée sur une longue période. Ensuite les pays de l`OCDE ou Organisation de Coopération de Développement Économique ont marché sur leurs brisées. Le sous-développement a donc été constaté, peu de temps après le développement.

L'économiste brésilien Celso Furtado considère le sous-développement comme un retard de développement. Donc tous les pays du monde peuvent aspirer au développement économique à un moment déterminé de leurs histoires. N'ayant pas les mêmes antécédents historiques, ni les mêmes structures sociales, logiquement les approches économiques sont différentes. Il serait illusoire de croire que le développement économique d`Haïti serait l'oeuvre de béotiens ou le fruit du hasard. Ce serait faire preuve d`angélisme de se remettre aux Institutions Internationales ou aux étrangers pour nous indiquer la voie du développement. N'écoutons pas ces tristes sirènes qui annoncent la mort d'Haïti. L'avenir nous appartient.

Nous prenons l'engagement d'annoncer solennellement à qui veut l'entendre :

IL N'EXISTE PAS DE MODELE DE DEVELOPPEMENT SIMPLE.

Il faut d'abord une théorie de développement pour passer ensuite à la pratique. Sans la pensée que vaut l'action? On ne peut pas franchir le cap du développement avec une conception de petits boutiquiers, de contrebandiers ou de flibustiers qui font tout pour échapper au filet du fisc en encourageant la corruption. Sans le savoir, le savoir-faire et une vision macroéconomique, impossible de mettre en marche cette machine très complexe et assurer son fonctionnement.

Nous applaudissons le choix de la Chine comme modèle. Mais, attention! Les NPI ou Nouveaux Pays Industrialisés tels que les 4 dragons d'Asie ont adopté des modèles économiques très complexes. Leurs élites ont conjugué leurs efforts pour concevoir et exécuter le modèle qui convient afin de les intégrer dans le concert des Nations avancées. La République dominicaine voisine d'Haïti, a fait une percée aussi extraordinaire dans le domaine économique. Pourquoi pas Haïti?

Le développement exige des connaissances très pointues. Haïti est plongée dans une crise économique qui laisse plus d'un pantois. Même certains leaders politiques qui pourtant aspirent au pouvoir ne sont pas bien imbus de la marche à suivre. Au moment où l'on tente de nous faire croire que tout est perdu, de brillantes opportunités s'offrent à nous. A cette phase des débats nous ne pouvons pas nous contenter de discourir sans apporter les preuves. Il n'y a pas de place pour l'émotion. L'effort indigène, il est vrai, est indispensable. C'est à nous autres Haïtiens, Haïtiennes de mettre une sourdine à nos luttes intestines, nos querelles byzantines et de révoquer définitivement ce mauvais penchant d'ironiser, de dénigrer et de discréditer nos compatriotes afin de poser et de résoudre l'équation du développement économique d'Haïti, dans le cadre d'un modèle endogène ou mixte. Personne ne le fera à notre place.

Il est un fait certain que l'industrialisation demeure la voie cardinale pour arriver au développement économique. Mieux que l'Agriculture, elle permet une croissance rapide, exponentielle en dégageant une plus-value plus élevée. Cependant compte tenu de certaines contraintes liées à notre histoire de peuple colonisé, asservi, avec un pourcentage d'analphabétisme accablant, nous devons supporter le lourd fardeau de nos héritages historiques et promouvoir notre croissance économique à partir de nos traditions culturelles. Comme l'a si bien démontré Jorgenson dans son modèle de croissance des pays sous-développés, en raison de ce dualisme qui caractérise l'économie haïtienne, on peut tirer de l'agriculture les ressources nécessaires à notre industrialisation et par ricochet à notre développement économique. Il n'est pas prudent de dépendre seulement des capitaux étrangers pour promouvoir notre développement économique.

Où trouver l'argent nécessaire à l'investissement que requiert notre industrialisation?

Une production agricole haïtienne techniquement rationnelle sera économiquement rentable et peut largement contribuer au démarrage de notre industrie. Dans les conditions actuelles, l'inférence statistique accorde à la production agricole haïtiennes un coefficient angulaire de

y2 = 0,21 TM

tandis que nous aurions dû atteindre un maximum de consommation de

y+ = 0,59 TM

ce qui nous donne un rapport

y2/y+ = 0,37 < 1

Ce gap est plus ou moins comblé par l'importation qui augmente de jour en jour. Voici le point de blocage du développement économique d'Haïti! Pour lever cette indétermination et résoudre le problème il nous faut passer à une production agricole par tête y+> 0,59. Ainsi nous pouvons obtenir une plus-value et dégager l'épargne nécessaire à notre industrialisation. D.W.Jorgenson in "The developement of a dual economy", a formalisé ce surplus au moyen d'une fonction ayant la forme suivante:

s = y - y+   (équation 2)

où s = la lettre initiale du mot anglais saving = épargne. C'est la plus-value agricole y = la production globale ou PNB ou encore revenu total y+ = la production nécessaire à la consommation de la population selon sa taille.

Il faut deux conditions essentielles pour le développement économique d'Haïti:

  1. Un contrôle strict du mouvement de la population haïtienne.
  2. Une accumulation constante et continue du capital pour une croissance rapide et durable.

Analysons ensemble et de manière scientifique, ces deux variables explicatives en intégrant certaines contraintes ou bris blancs non négligeables comme le vaudou et l'insécurité sous le symbole (eyt):

1.- Mouvement de la population

Il faut à tout prix, éviter un déplacement massif et spontané de la population agricole. A partir du moment où l'industrialisation est amorcée par le biais de l'épargne agricole, la population totale d'Haïti représentée par P sera divisée en deux parties: une population agricole que nous symbolisons par A et une population industrielle ou manufacturière que nous symbolisons par M de telle sorte que: P = A + M

L'industrialisation va entraîner une diminution de la population agricole A et une augmentation subséquente de la population industrielle M. Cette migration ne doit pas se faire dans un climat d'exode sans quoi le processus de développement sera handicapé. Il faut une diminution relative de A et une augmentation relative de M. En d'autres termes il faut éviter une régression absolue de la population agricole et favoriser une régression relative proportionnellement à la capacité d`absorption du secteur industriel. Nous tombons en parfaite adéquation avec le modèle de développement à deux secteurs de Lewis. Pour éviter tout chambardement de nos structures sociales, la transformation du profil de la population globale d'Haïti qui assurera le transfert de notre économie de subsistance à l'économie capitaliste doit se faire suivant une vitesse donnée par la formule suivante:

y.A = y+.P

On peut écrire :

A/P = y/y   (équation 2)

Dans l'équation 1, tirons y+

On obtient:

y+ = y - s

Remplaçons y+ par sa valeur dans l'équation 2 on obtient:

A/P = y / y - s / y

ou encore

A/P = 1 - s / y   (équation 3)

L'équation 3 définit de manière concrète, la vitesse de transformation du profil de la population haïtienne pour un développement harmonieux et durable. La condition du développement économique d`Haïti liée à la croissance de sa population A/P sera réalisée quand le surplus agricole s/y croit selon une exponentielle qui entraîne la croissance correspondante de la population industrielle selon le même taux. Par exemple, actuellement le rapport A/P pour Haïti est égal à 85%. Nous savons que y+ = 0,59 pour qu'il y ait plus-value de l'agriculture et épargne il faut un y > 0,59.

Par hypothèse si y = 0,21 au temps t0 il deviendrait au temps t+1:

y = 0,63

c'est à dire grâce à une meilleure technologie on aurait pu tripler la production agricole qui au temps t0était y = 0,21 et dépasser la barre de 0,59. Dans ce cas on aurait obtenu une plus-value de:

s = y - y+ = 0,63 - 0,59 = 0,04.

La vitesse de transformation de la population globale haïtienne peut être calculée comme suit:

A/P= 1-s / y = 1 - 0,04 / 0,63 = 0,63-0,04 / 0,63 = 0,936

Avec une plus-value de 0,04 le passage admissible ou souhaitable de la population agricole à la population industrielle sera 5,44. On aura donc une diminution relative de la population agricole qui comptera désormais pour 79,56 % de la population totale.

Aux temps t+2, t+3, t+n., avec la plus-value du secteur agricole ajoutée à la plus-value de l'industrie on pourra dresser un calendrier approprié d'intégration progressive et sans heurt de la population agricole à la population industrielle. Cette mutation se fera dans le cadre du modèle de croissance endogène de Jorgenson.

2.- L`accumulation du capital.

Le développement industriel, une fois amorcé, doit pouvoir assurer une croissance continue de son capital pour être viable. Toute augmentation du PNB si elle n'est pas durable aboutira à un accroissement économique mais non à une croissance économique. Le développement économique a comme corollaire obligé une augmentation soutenue du PNB à travers le temps. Il faut que la croissance du PNB soit durable afin d'imprimer les changements mentaux et sociaux indispensables pour affranchir le peuple haïtien de ce frein psychologique qui vise à le maintenir dans les liens du sous-développement et de ses fâcheuses conséquences.

Jorgenson formalise l'accumulation du capital en faisant appel à la fonction de production Cobb-Douglas:

X = M 1- αKα eyt   (équation 4)

X = production totale du secteur industriel

M = force de travail des ouvriers industriels

K = capital

α = productivité du travail

y = taux de croissance de la population

Pour calculer la production pro capita x (lisez petit x) on divise la population industrielle X (lisez grand X) par le nombre d'ouvriers embauchés M. On obtient:

x = X / M   (équation 5)

Pour calculer le capital par tête k (lisez petit k), on divise le capital total K(lisez grand K) par le nombre d'ouvriers embauchés M

k = K / M   (équation 6)

Dans l`équation 5, si nous remplaçons X par sa valeur donnée par l`équation 4 on obtient:

x = X / M = M1- α Kα eyt / M

[1 / M = M-1]

D'où :

x = M1- α Kα eyt M-1

[M1- α. M-1 = M - α]

D'où :

x = M - α Kα eyt

[M - α = 1/M- α]

D'où :

x = Kαeyt / Mα

Si:

k = K / M donc Kα / Mα = kα

D'où:

x = kα eyt   (équation 7)

Pour calculer la variation du capital par tête x, il faut prendre l`inverse de cette fonction à base naturelle en faisant appel au logarithme népérien.

lnx = αlnk + ylne

[lne = 1]

d'où :

lnx = αlnk + y

Le différentiel de x est :

dx/x = y + αdk/k

x'/x= y + αk'/k

La productivité par tête x'/x dépend du taux de croissance du progrès technique y dans le secteur industriel et du taux de croissance du capital k'/k compte tenu de α.

Le transfert de la population agricole A vers la population industrielle ou manufacturière M se fera sous la pression inévitable de la différence du taux de salaire dans les deux secteurs. Le salaire dans le secteur industriel est égal à la productivité marginale. Reprenons la fonction Cobb-Douglas pour calculer la variation possible du salaire symbolisé par w (la lettre initiale du mot anglais wage = salaire):

Soit X= M1- αKα eyt la production totale du secteur industriel

dX/dM = (1- α)M(1-1- α)Kα eyt

dX/dM= (1- c)M(-α )Kα eyt

[M - α = 1/Mα]

D'où:

dX/dM= (1- M-α)Kα /Mα eyt

[x = Kα /Mα eyt]

D'où:

dX/dM= (1- α)    x = w ou salaire (équation 8)

Selon l'équation 8, le salaire w dépend de la productivité marginale c'est à dire du rendement de chaque travailleur compte tenu de la performance de la technologie utilisée? La masse des salaires qui seront distribués par l`économie haïtienne, ouvriers agricoles et industriels confondus, sera égale à:

wM +uwA =(1- α)X + qY

wM = salaire des ouvriers de l`industrie

uwA= salaire des ouvriers agricoles. u représente le facteur de conversion des salaires agricoles en salaires industriels

(1- α)X = la production industrielle

qY = la production agricole. q représente le facteur de conversion de la production agricole en production industrielle.

Pour satisfaire la deuxième condition du développement économique d`Haïti c'est à dire une accumulation du capital suivant une augmentation continue et irréversible du taux de croissance, il faut:

dk/k= k' = I - nk

I = investissement

n = le taux de dépréciation du capital

L`industrie haïtienne doit dégager suffisamment de surplus pour financer son investissement afin de supporter les frais de remplacement et d`augmentation du capital. K Dans ce cas la production industrielle doit couvrir à la fois la consommation et l`investissement nécessaires . D`où:

X = (1- α)x + I

ou encore en tirant I dans la fonction précédente :

On obtient:

I = k' + nk

En le remplacant par sa valeur X devient :

X = (1- α)x + k' +nk   (équation 9)

Selon l`équation 9 l`industrie haïtienne pourra satisfaire la condition 2 du développement économique d`Haïti à savoir: la production industrielle X doit faire les frais de dépenses des salaires des ouvriers de nos manufactures w = (1- α)x (équation 8), plus les frais d`accumulation du capital k' aussi bien que des frais d`amortissement ou de dépréciation du capital nk

Dans l'équation 4 :

X = M (1- α) Kα eyt

Remplaçons X par sa valeur donnée par l`équation 4 dans l`équation 8. On obtient:

M (1- α) Kα eyt = (1- α)M (1 - α) Kα eyt + k' + nk

En tirant:

k' = M (1- α) Kα eyt - (1- α)M(1 - α) Kαeyt - nk

[M(1 - α) Kαeyt- (1- α)M(1 - α) = 0]

D`où :

k' = αeyt Kα M(1- α) - nk   (équation 10)

n = le taux de dépréciation ou d'amortissement du Capital investi.

Avec l`équation 10, on voit clairement que le point critique de stagnation est dépassé. Le secteur industriel connaît une croissance exponentielle et différentielle stable. Donc elle est soutenable et durable. Le secteur industriel haïtien devient autonome avec (α) la productivité du capital et le progrès technique du secteur industriel (y).

Dès le départ nous avons fait un choix politique intelligent afin de promouvoir notre développement économique. Si nous avons opté pour un modèle de croissance endogène pour le développement économique d`Haïti c`est en fonction des avatars du monde capitaliste et des avaries de la politique internationale. La croissance endogène est activée avec nos propres ressources. Nou fè grès kochon wan kwit kochon wan. Cependant nous n'excluons pas l`apport des capitaux étrangers dont le choc pourrait accélérer notre croissance économique. Mais nous pensons qu`il serait trop risqué de faire reposer complètement le développement économique d'Haïti sur l'aide étrangère. Pourquoi?

La croissance exogène c'est à dire, un développement complètement financé par les prêts étrangers nous réserve trop de surprises. Depuis 1980 l'aide financière rentre dans le cadre de la stratégie diplomatique et de la politique extérieure des grandes puissances, nos principaux bailleurs de fonds. On parle d'aide liée c'est à dire de prêts associés aux respects de la démocratie, des droits de l'homme, de l'environnement etc... Les pays du Tiers-monde sont assujettis à des conditions extra-économiques pour le financement de leurs développements. A n'importe quel moment on peut suspendre l'aide et compromettre notre processus de développement.

Paradoxalement, la plupart des pays riches au moment de leur décollage économique n'étaient pas soumis à de telles conditionnalités. Ils se foutaient de la démocratie et des droits de l'homme puisqu'ils ont financé leurs développements avec la plus-value tirée de la colonisation. Ils ont accumulé leurs capitaux grâce à l'esclavage et le pillage du sol et du sous-sol des colonies d'hier, majoritairement les pays dits sous-développés d'aujourd'hui.

Dans le cadre de cette analyse en quête du développement économique d'Haïti, nous ne voulons pas taper sur le système nerveux des G7 qui, qu'on le veuille ou non, détiennent toutes les richesses du monde et tous les secrets de la technologie. Nous ne voulons pas lancer, non plus le procès de plusieurs siècles d'esclavage ni réclamer tout dédommagement susceptible de mettre à notre disposition les capitaux nécessaires pour notre relance économique. Cependant l'aspect politique du développement économique d'Haïti n'est pas à négliger. Dans un contexte mondialisant, nous avons opté sagement pour la croissance endogène avec une ouverture très prudente pour une mutation vers la croissance exogène et le commerce international. Le développement économique d`Haïti appartient donc au domaine du possible mais il doit être conçu et réalisé dans le cadre d`une géométrie euclidienne à 3 dimensions: la politique, l`agriculture et l`économie.

Jean Erich René
mai 2005