Ayiti

Pourquoi tant de candidats?

Jean Erich René
 

Trou de fer Réunion
Notre existence s'écoule comme la rivière... Photo F.P.


Le cri est général : 54 candidats et 45 Partis Politiques, ces chiffres sont évocateurs de la borlette. Avec une telle prolifération de candidatures il sera certes malaisé pour les électeurs de faire un choix rationnel. Même le CEP ne sera pas en mesure d'imprimer autant d'effigies sur un seul bulletin de vote. Quels que soient les symboles ou les icônes, le problème d'espace se pose. La Présidence est-elle la seule voie pour apporter sa pierre à la reconstruction du pays? Peut-on vraiment croire en la sincérité de nos candidats? Qu'ont-ils déjà entrepris dans le passé en faveur de la masse pour nourrir de si grandes ambitions? Des slogans de toutes saveurs sont lancées pour détourner l'attention des électeurs: "Nou pap vote pov". Certains micros-trottoirs sont trompeurs et visent à violer la conscience du peuple en inoculant à dessein le venin de la discrimination économique.

En diffusant sur les ondes une propagande aussi diffamatoire que sectaire, une infime probabilité est accordée aux candidats de la classe moyenne généralement pauvre. A quelle catégorie économique appartiennent les journalistes? Dans un pays où 20% de la population détiennent 80% de la richesse nationale, c'est une insulte à la misère des autres. Ils doivent comprendre le complot qui se trame pour les maintenir définitivement dans les liens de la pauvreté qui d'ailleurs ne vient jamais seule. Elle est plutôt la conséquence d'une mauvaise distribution de la richesse nationale. Une telle devise est plutôt le reflet de la sécheresse d'idées de certains retardataires de la scène politique haïtienne. Ils veulent mettre des bouchées doubles mais leurs interventions maladroites ne font que les perdre davantage. Une telle conjoncture électorale nous rappelle l'échec du très populaire Agronome Industriel Louis Déjoie pour avoir traité le Peuple au cours d'un meeting aux Gonaïves de: Gros Orteil. Il avait signé son arrêt de mort.

Pourquoi le fauteuil présidentiel attire tant de candidats? Le peuple quoique analphabète est doté d'un gros bon sens qui lui permet de flairer la senteur des projets macabres que conçoivent certains de nos candidats en visant la Présidence. La vie psychique de certains d'entre nous est affectée de certaines blessures qui sont parfois difficiles à cicatriser.

Nous avons eu la grande surprise d'observer une bicyclette accrochée au plafond de la maison de notre professeur de Littérature Haïtienne, pourtant un écrivain haïtien très illustre. C'est alors qu'il nous a fait comprendre qu'il veut combler sa convoitise d'enfance. Il avait toujours envie d'avoir une bicyclette mais ses parents n'étaient pas en mesure de lui en procurer une. A l'âge adulte il veut se guérir de son passé malheureux. Il y a un processus de réparation sociale qui est en cours silencieusement dans la tête de bon nombre d'Haïtiens et d'Haïtiennes. Etre à la fois riche et célèbre c'est le motif qui sous-tend leurs ambitions. En Haïti la politique demeure sans conteste l'industrie la plus florissante. Dans l'espace de 5 ans on peut devenir multimillionnaire. Aucune branche de production connue ne peut concurrencer la Présidence. Des hommes qui n'avaient ni sou ni maille, pas une maison pour leurs dépôts de candidature deviennent bref, soudain, tout à coup, richissimes. Voilà le nectar qui attire tant d'abeilles au point de constituer une ruche bourdonnante autour du fauteuil présidentiel. Ils veulent seulement butiner le suc de ce juteux poste. Il est à noter qu'en dépit de leurs crimes et de leurs vols aucun président haïtien n'a jamais été traîné jusqu'à présent devant les Tribunaux. Donc ils ont le goût d'y revenir sans aucune crainte.

Les industriels qui participent à cette course présidentielle, en taxant les candidats de la classe moyenne de pauvres, sont plutôt sollicités par leurs tendances exhibitionnistes et mégalos. Selon l'échelle de Maslow ils veulent satisfaire leurs besoins d'estime. En dépit de leurs richesses matérielles il y a un manque à combler. Ils identifient leur réussite à la capacité de faire parler d'eux. Ils sont en quête de reconnaissance surtout lorsque leurs fortunes ne les ont pas tirés de l'ombre. Attirer l'attention des medias et devenir le centre des préoccupations de tout le monde procure une satisfaction personnelle qui grandit l'homme. Pourquoi ne se portent-ils pas candidats comme Gouverneur du Texas où ils ont investi des millions de dollars et donné déjà des milliers d'emplois. En Haïti où ils n'ont encore implanté une seule usine, aucune unité de production, ils font preuve d'un opportunisme indécent en promettant 100’000 jobs directs et des centaines de milliers de jobs indirects. Ils sont mieux connus à Mansfield que dans l'Artibonite, l’ouest le Sud, la Grande Anse et le Nord d'Haïti. Certains de nos candidats sont aussi l'objet d'une projection parentale. A la naissance du bébé, sa grand'mère lui avait prédit un destin de Président. Souvent c'est le loa familial qui au cours de ses oracles lui réserve un brillant avenir qu'on assimile à la Présidence. Selon les croyances populaires l'enfant prédestiné aux grandes fonctions est né coiffé c'est à dire avec une portion des membranes fœtales sur sa tête.

Dès son jeune âge cette pensée imprègne son imaginaire profond et il n'attend que le moment opportun pour éclater. Toute la confusion dérive de ce narcissisme qui affecte la plupart de nos compatriotes. Leurs désirs d'embellir leurs images et de paraître au devant de la scène dominent leurs personnalités. En Haïti le sport ni la musique n'offrent aucune occasion de grande célébrité. Les gloires intellectuelles sont posthumes. La voie d'accès la plus facile et la plus noble c'est la politique.

Dans ces joutes électorales, nous devons refuser toutes réactions épidermiques visant à nous confondre. Notre salut ne viendra nullement de la couleur de la peau du dirigeant. La bissectrice du pouvoir en Haïti, au cours des campagnes électorales, prend toujours le sens de certains préjugés mesquins. Cette plateforme est souvent utilisée par des candidats complexés, sans port ni abri. Ce n'est pas avec la quantité de mélanine qu'on a sous l'épiderme ni un bâton magique que nous allons développer Haïti mais avec des hommes compétents et expérimentés. Nous ne voulons faire le procès d'aucun candidat mais certains d'entre eux n'ont rien dans leurs valises. Nous avons passé toute l'année à débattre de la question de la qualification des candidats et l'impérieuse obligation de prendre connaissance de leurs feuilles de route avant de les admettre. Avec une fiche technique définissant comme critères d'inscription du candidat: son dévouement pour la cause nationale, sa formation académique, son expérience professionnelle etc... on n'aurait pas eu tous ces candidats. Peut-on voter ceux qui s'érigent en donneurs de leçons politiques et économiques mais qui méprisent et insultent les pauvres en leur demandant de ne pas voter pour les pauvres. Les plus grands corrupteurs se recrutent dans leurs camps. La corruption en Haïti ne date pas d'aujourd'hui. Elle émane de leurs gênes et de leur culture de Flibustier. Le Procès de la Consolidation peut aisément nous indiquer que les Pères des accusateurs d'aujourd’hui furent les accusés d'hier. Ils ont entretenu la corruption au cours des ans et en profitent encore aujourd'hui en prenant un ton plutôt moralisateur.

Votre fortune vous l'avez gagné où et comment Par l'exploitation éhontée de nos frères de l'arrière pays. C'est pourquoi ils sont si pauvres. On connaît l'histoire de la fortune de Mrs A, B,......M etc. dont l'investissement initial et le Capital sont les produits du vol, de la rapine, de la contrebande, de la drogue, du kidnapping, de l'exploitation et de la concussion etc. Ce ne sont pas des modèles à suivre. Ne venez pas nous vendre ce contrat social chimérique qui n'existe que dans vos rêves et que vous avez dressé comme un écran de fumée pour nous troubler la vue.
Nous n'en sommes pas dupes!

Dans ce raz de marée de candidats qui envahissent la scène politique haïtienne on ne peut pas distinguer la Droite de la Gauche, pas même le Centre. Tout se confond en une masse informe et inerte. Nous avons du mal à saisir la conviction de certains hommes de Gauche. Théoriquement ils devraient prendre position contre le Capitalisme et la Politique néolibérale. Curieux paradoxe, certains socialistes cherchent la collaboration de la Bourgeoisie haïtienne, porteuse du virus du sous-développement d'Haïti et de son clivage social. Certaines alliances hétéroclites nous surprennent. Même dans un monde de rêve, au cours des années 1990 personne n'aurait pensé à une alliance Prosper Avril Auguste Mesyeux. En 1991, à moins qu'on soit Nostradamus pour prédire que Marc Bazin qui était le challenger de Lavalas serait aujourd'hui le Candidat de Lavalas! Il faut être né couleuvre pour se prêter à une telle reptation.

Dans ces conditions il devient difficile et même nuisible de voter. On va déposer son bulletin de vote pour ou contre qui ou quoi? C'est quoi l'objectif? On ne vote pas un homme aux élections mais l'espoir qu'il incarne et que l'on peut facilement concrétiser par l'idéologie qu'il prône. Comment peut-on prendre connaissance du schème de pensées de 54 candidats dont la plupart sont subitement arrivés sur l'échiquier politique sans aucune carte de visite ni sans un bout de papier pour justifier leurs présences. Il y en a dont les noms sont entendus pour la première fois. Par conséquent ils n'évoquent aucun souvenir même lointain.

Le CEP a-t-il les coudées franches? La Communauté Internationale par le truchement du Premier Ministre Latortue éprouve de grandes inquiétudes sur la capacité du CEP à réaliser des élections crédibles et honnêtes. La femme de César ne doit pas être soupçonnée! Des élections truquées arrosées de propos profanateurs, menteurs, mystificateurs contre les "Pauvres" en l'occurrence les Candidats de la Classe Moyenne, et savamment orchestrés par les Medias loin d'apporter une solution vont compliquer davantage la situation. La pauvreté de certains de nos candidats est pourtant un gage de leur honnêteté. Ils refusent de s'enrichir comme certains Bourgeois salauds et salopes au détriment de la cause nationale.

Pourquoi tant de candidats inconscients, égoïstes, incompétents et inconséquents ? S'ils refusent de comprendre l'enjeu des prochaines élections déjà gagnées statistiquement et frauduleusement à la cause d'une minorité, en se regroupant sous une même bannière, ils seront tous perdants.

 

Jean Erich René
septembre 2005