AYITI

Le co-fondateur du group Yakengué

Steeve Kyatt

se prononce sur l'attitude des jeunes de sa génération

Par Marie Flore DOMOND
 

Steeve  Kyatt

Steeve Kyatt

En pleine période de remise en question, le jeune artiste Steeve Kyatt dévoile pourquoi de nombreux jeunes de sa génération, malgré leur talent, se heurtent presque toujours à un écran de fumée sans atteindre la rampe reconnaissante de leur effort. Tandis que d'autres, incapables de partager universellement cette jouissance, prennent la voie de la facilité en confectionnant un univers synthétique, artificiel de l'anticonformiste pour ensuite sombrer dans le fiasco de leur chute.

Que de barrières, de déboires, d'embrouillement qui perdurent observe-t-il! Téméraire comme un seul homme, il fait parti de ceux qui s'accrochent plus que jamais à leur souffle sonore, leur inspiration, leur rêve sacré, présage d'une étincelle lumineuse à leur épanouissement personnel. Gare à celui qui oserait diffamer sur la nature de L'Art en présence de l'interlocuteur. Ce dernier est formel: «un artiste est un personnage qui possède un don exceptionnel qui fait de lui un être unique et original» exclame-t-il. Selon lui, l'humain peut être égoïste entre autres choses. Quant à l'Art, la maîtrise, l'habileté ce sont des valeurs inviolables. A la manière de ses répliques, une grande part de l'entretien a pris l'allure d'un débat. Me voici devant un redoutable représentant déployant toute la force de son opiniâtreté. Le co-fondateur du groupe YAKENGUÉ, n'a pas froid aux yeux. Heureusement que je l'attendais de pieds fermes.

A première vue, vous paraissez être un jeune homme exigeant, de peu de compromis face à ses convictions, intransigeant et déterminé. Est-ce le profil psychologique exact de votre personnalité monsieur Steeve?

Tout à fait! Je suis très, très exigeant envers moi-même et envers les autres. Souvent les gens me trouvent trop exigeant. Mais pour moi, c'est un atout pour ma réussite et pour tout ce que j'entreprends; parce qu'un artiste a besoin de l'être avec tous les gens qu'il travaille.

Vous dites un atout, êtes-vous conscient que cela peut-être tout aussi bien un handicap qui vous empêche de trouver des collaborateurs assez facilement?

Il est vrai que cela peut-être difficile mais surmontable. Je connais d'autres artistes très exigeants. Michael Jackson, entre autres est un perfectionniste.

Vous faites partie de la nouvelle génération, quelle est votre conception de la relève dans une société aussi cosmopolite, pluraliste comme le Québec?

Je pense qu'on devrait donner plus d'opportunité aux jeunes.

A quel niveau devrait-on manifester cette opportunité?

A tous les niveaux. Il faut dire qu'ici c'est bien différent qu'ailleurs. La majorité des jeunes sont incapables de s'orienter et ne savent pas où ils vont. On constate bien des carences chez les jeunes. Je ne suis pas très optimiste, je dirai même que j'ai peur de la société de demain. A mon avis, les jeunes ne sont ni éduqués ni assez dévoués pour pouvoir assumer la relève idéale. Les autorités mandatées du système de l'éducation devraient refaire leur devoir. Il serait préférable d'investir davantage à l'instruction par exemple. Un enseignement qui miserait plus sur l'orientation et la direction des jeunes dans leur projet, leur objectif.

Pensez-vous sincèrement que seul l'État est en cause?

Nous vivons dans une société trop permissive où il y a trop de laisser aller. Les jeunes brûlent les étapes. Madame Domond, vous admettez qu'il faut savoir marcher avant de pouvoir courir. Alors c'est le même principe qui devrait s'appliquer pour les jeunes. Il existe d'autres complices de ce phénomène. Toutes ces tendances, ces vagues commerciales y sont pour quelque chose. Prenons l'exemple d'une jeune adolescente de quatorze ans qui s'imagine avoir vingt-cinq ans. Elle va agir en conséquence; et arrivée à un certain âge, Sans formation, il est fort probable qu'elle échoue dans ses projets. C'est compréhensible. Je crois qu'il ne faut surtout pas confondre la notion de liberté et libertinage. La liberté enseigne ce que l'on ne doit pas faire. Or, le libertinage exprime le je m'enfoutisme.

Parlez-vous des jeunes de façon générale? Personnellement, je connais des jeunes très disciplinés qui font études de haut niveau, des jeunes qui s'appliquent.

Je vais vous dire une bonne chose, cette catégorie de jeunes dont vous faites mention sont de immigrants. Ironie du sort, ils sont carrément marginalisés par rapport à la forte majorité qui suivent des mauvais modèles et qui sont influençables. Il y a peu de jeunes qui sont nés ici sans discrimination de race qui réussissent vraiment. Les mauvais plis de la surconsommation, de la facilité, le sens surdéveloppé du matérialisme que reflète la télévision sont très néfastes pour les jeunes. Ils veulent à tout prix expérimenter la façade de vie de leurs idoles sans tenir compte de leur parcours véritable. C'est absurde. La plupart des Stars, des vedettes ont eux aussi à répondre des échecs de leurs admirateurs.

Dans le même ordre d'idée, avez-vous un album en cour de production ? Si oui, pour quand prévoyez-vous le lancement?

J'ai beaucoup de composition. Je prépare un démo pour approcher les compagnies de disques. Très bientôt, j'aurai un single sur les ondes et un clip juste pour lancer ma carrière solo. Je vise la scène internationale. Je souhaite être pris en charge par une grosse compagnie de productions ou de distributions. Je compte poursuivre également avec le groupe Yakengué dont je suis un des deux membres fondateurs.

Le 2 janvier 2003, j'ai assisté à un de vos spectacles. Vous aviez une approche très traditionnelle en ce temps là; ce fut impressionnant, je l'avoue. Avez-vous évolué depuis?

Absolument! Je ne suis plus le seul chanteur du groupe. Nous sommes entrain de rassembler beaucoup de jeunes talents. Nous tentons de dynamiser nos activités. Depuis un an et demi, le groupe a participé au Festival de Jazz et au Festival Nuits d'Afrique, ce qui nous a permis l'élargir le cercle des accolades avec bien d'autres artistes. Et nous avons plusieurs autres projets de spectacles. J'ai choisi le style pop comme mode d'expression. Par contre, je reste un artiste polyvalent.

En parlant d'autres Artistes, la co-relation entre les artistes se manifeste de quelle manière?

Je pense qu'un artiste a besoin d'être ouvert. Dans le vrai sens du thème, on ne peut pas aller à l'Université de Montréal pour devenir artiste. On peut parfaire son art, mais on est né artiste. L'artiste doit avoir une priorité, à savoir concrétiser ses rêves; parce qu'un artiste est un rêveur qui rêve de changer, d'apporter quelque chose de nouveau. Entre artistes c'est comme vivre dans un rêve.

Si on se réveillait un peu pour parler de la réalité cauchemardesque de la plupart des artistes de la communauté haïtienne. Vous et moi savons pertinemment que certains artistes manifestent leur égoïsme à vue d'œil dans des circonstances où il ne fallait pas agir ainsi. Qu'en dites-vous?

Dans ces cas précis comme vous dites, c'est l'humain qui agit sur l'artiste. Chaque artiste développe quelque chose d'exceptionnelle. L'artiste qui n'est pas conscient de cet état de chose ressemble plus à un politicien. Le discours égocentrique du genre «c'est moi qui règne, c'est moi avant tout, personne d'autre» c'est plutôt le caractère d'un politicien.

Vous essayez de me dire qu'un artiste ne saurait être individualiste?

Justement, parce qu'un artiste dépend de son entourage. C'est un missionnaire. Et dans sa mission à lui, il y a des gens qui doivent l'accompagner comme Jésus-Christ. Comme Bob Marley qui était entouré des gens qui savaient que cet homme devrait atteindre un objectif. L'artiste est avant tout un leader qui sait rassembler son monde, et ensuite le monde. Il faut faire la différence entre les biznessmans et les vrais artistes.

Vous me parlez de manière très rationnelle, alors que l'artiste est reconnu pour être très émotif, fragile et capricieux. Vous n'en avez pas l'air!

Je me considère comme un artiste messager. Donc, il serait absurde que je sois capricieux.

Si vous vous considérez comme un artiste messager, c'est que vous avez une perception de plusieurs catégories d'artistes n'est-ce-pas?

Certainement, il y a des artistes de loisir pour amuser et faire rire le public. Le messager est là pour conscientiser, sensibiliser les gens. Le message peut être très varié. Personnellement, je suis un artiste polyvalent, je peux tout aussi bien livrer un message sur les rapports sentimentaux, social, drôle ou révolutionnaire.

Dois-je comprendre que vous êtes un artiste engagé?

Oui, je m'engage à parler d'amour, des drames la vie quotidienne, des tragédies sociales, familiales, amicales. De dénoncer les oppresseurs et les imposteurs, des faux messies. Victor Hugo avait dit : «Ceux qui vivent sont ceux qui luttent.» Je considère ma lutte constante. Je suis un gars passionné et franc dans ma manière d'être. Je crois que l'amour n'est jamais coupable de même que l'artiste n'est pas égoïste.

Puisque vous insistez, je suis forcer de vous affirmer encore une fois que l'artiste est quand même complice de son égoïsme. L'art qui incarne le personnage fait de lui une seule et même personne. On ne peut pas dissocie l'artiste de l'humain dans un tel cas.

Pour ma part, je persiste à vous dire qu'un artiste doit partager son don, son émotion, son imagination, sa sensibilité en cherchant à plaire, même s'il ne peut pas plaire à tout le monde. Il est là pour quelque chose à chanter, à dire, à écrire, à peindre, à dessiner, à sculpter. Il peut être arrogant, tendre, positif, pessimiste, sage, généreux comme Jésus-Christ.

Vous faites souvent allusion à Jésus-Christ, est-ce un personnage qui vous façonne?

Oh oui, Il me façonne depuis ma tendre enfance. Aussi loin que je puisse me rappeler, quand j'avais peur, je prononçais le nom de Jésus et je retrouvais aussitôt la force nécessaire pour vaincre ma crainte.

Dois-je déduire que vous êtes une personne hautement religieuse?

Non, je suis plutôt croyant. J'ai la foi en mes prédécesseurs: Moïse, Jacob, Abraham, Jésus, plus près de nous Bob Marley sont mes modèles indéfectibles et précieux. Plus particulièrement, Jésus qui a dit: «Il ne faut pas jeter vos perles au Pousseaux car ils ne savent pas ce qu'il faut faire avec des perles.» Je suis en quête de sagesse. Cela me procure une certaine sérénité que je n'avais pas au paravent. Je ne prête pas foi à ceux qui tiennent la bible d'une main en prêchant l'évangile et qui tiennent une bombe de l'autre pour tuer son prochain. J'ai composé une chanson qui s'appelle HOSANA qui signifie rassembler les gens autours de soi.

Depuis quand le côté artistique s'est manifesté en vous?

Très jeune, je chantais, je dansais et réunissais beaucoup de gens autour de moi, j'interprétais des chansons que j'entendais à la radio. J'ai commençais à écrire à onze ans.

Disons, un artiste très expressif

Justement, si je ne dis pas ce que je ressens, je crois que je pourrais exploser. Je suis du genre spontané et je renonce à la programmation d'avance. Je suis guidé par les yeux du cœur. Je regarde de l'intérieur en guise des apparences. Je me dirige vers la profondeur. Je crois surtout à la pureté et la perfection de l'amour.

N'est-ce-pas crédule de croire à la sublimité de l'Amour dans la société actuelle?

Le pouvoir extraordinaire de l'artiste est de véhiculer son message, il n'a pas d'emprise ni sur l'orientation ni la réception voire l'interprétation que chacun pourrait donner au message.

Comme Adam et Ève dans le jardin d'Eden
Je te ferai mienne
T'auras la fièvre, la fièvre d'aimer.
                Et si on savait
Et si on savait ce que l'autre n'a jamais pu dire
Si on savait, qu'un jour on allait tous pourrir
On s'aimerait jusqu'a n'en plus finir.

(Extrait d'une pièce)

Wyclef au centre  Steeve à droite

Wyclef au centre Steeve à droite.

Vous avez déjà foulé la scène en compagnie de plusieurs artistes d'origine étrangère. Quelle différence établissez-vous entre leur public et le vôtre ?

Le public haïtien n'exprime pas directement ses sentiments auprès de l'artiste. Tout récemment, au Festival d'été de Québec, j'étais l'invité du groupe Muzion, après ma prestation, Wyclef lui-même est venu me félicité ainsi que les membres de Muzion. Cela faisait chaud au cœur de voir les cinquante mille de spectateurs enflammés, passionnés. Je n'ai senti aucune barrière. Parmi eux, il y avait une infime part de supporteurs haïtiens. Le grand public avait soif de nous entendre. Ce fut une expérience mémorable. J'avoue avoir senti une piqûre de célébrité.

Êtes-vous personnellement convaincu que vous êtes un artiste performant, convaincant pour envisager la célébrité?

Je vous le répète, artiste se doit d'être exceptionnel.

Vous venez de touchez un point sensible à mes observations en mentionnant le mot barrière. Ne croyez-vous vivre un quelconque effet d'exclusion au sein de la communauté d'accueil?

Je dirai haut et fort que c'est l'industrie du show bizness qui contrôle l'effet de l'exclusion des artistes d'origine ethnique. Les responsables refusent l'accès aux privilèges à certains aux dépens de leurs compatriotes. Le public quant à lui demeure curieux et réceptifs. Ils apprécient les gens de valeur. On a besoin des médias puissants qui se spécialisent dans leur domaine. Il nous faut des salles de spectacles, une chaîne de télévision qui nous appartient, une grande maison de productions pour les artistes ethniques, des gens qui peuvent investir et ceux qui ont des idées avant-gardistes et non rétrogrades. Et là nous cesseront de végéter. Pour le moment, on se contente de mini festival qui exclut les jeunes. La communauté haïtienne à Montréal, n'évolue pas assez par manque de fierté. La majorité veut tirer profit personnel d'une position, d'une situation. Ce n'est pas ainsi qu'on va se distinguer des autres. Nous devrions apprendre à nous supporter pour d'autres motifs qu'une soirée dansante. Les Italiens le font, pourquoi pas nous! Nous devons appendre à amener la fierté haïtienne plus loin. Nous ne devrions pas attendre que les autres soient au sommet pour s'intéresser à eux, mais les aider à gravir les échelons. Quand Wyclef choisit Ti-Vice dans une de ses activités, il démontre qu'il n'a pas d'intérêt personnel. C'est un acte patriotique. Et tant mieux si c'est rentable.

Que pensez-vous de Wyclef et du groupe Muzion qui évolue à Montréal?

Il est un grand artiste, un personnage positif, un homme de mérite qui a travaillé fort pour atteindre le sommet. Il mérite beaucoup plus d'estime chez ses compatriotes. Il représente le modèle idéal pour les jeunes néo-québécois. Le groupe Muzion pour sa part, s'est imposé dans la Métropole. Dès qu'ils montent sur scène, ce sont des affamés. Muzion possède une voix féminine puissante, Je crois que j'ai été submergé par cette présence autant par sa gentillesse que par son talent. Les jeunes québécois adorent le groupe.

Face aux rapports multiethniques, la culture haïtienne est-elle sous-estimée d'après vous?

J'affirme que non, la culture haïtienne n'est nullement sous-estimée. Ce sont les haïtiens que ne savent pas comment la gérer. Personne ne saura faire la promotion de notre culture mieux que nous. Il faut fournir l'effort de produire des spectacles d'envergure qui engendreront l'intérêt des autres. Beaucoup de gens étaient sceptiques que Wyclef pouvait en arriver là. Il ne manque pas de talent dans la communauté. Je peux citer Marc Coriolan, Daphné Coriolan des artistes qui iront loin si on les supporte de façon assidue. Un festival récurant comme la Fête Créole est gravement moche était gravement moche cette année encore. Qu'on ne vienne pas me dire le contraire. Où sont les invités d'honneur de l'Île Maurice, de la Guadeloupe, de la Dominique, D'Haïti, les danseurs professionnels. On a pas les grands moyens c'est l'argument qu'on va brandir pour justifier une mauvaise organisation! Moi, je parle de qualité et non de la quantité.

Il est tant que les haïtiens cessent de dormir et rêver dans la médiocrité. Si les responsables prenaient pour habitude d'organiser des choses grandioses, ils auraient des moyens. Prenons en exemple, Le Festival de Jazz, le Festival international Nuits d'Afrique, le Festival d'été de Québec, Le Festival de Lanaudière, Les Francofolies de Montréal progressent d'année en année et constituent de véritable vitrine culturelle. C'est cela qu'il nous faut. Est-ce que la Fête Créole ne peut pas inviter Bouyo Amboise, Émeline Michel pour faire changement. Il faut des recherchistes qui vont partout dans le monde à travers les sites Internet pour faire face aux agents afin de nous faire découvrir d'autres artistes. Je suis prêt à parier que si la Fête Créole offre quelque chose de spécial, dans dix ans, elle sera comparable à la grosse machine que génèrent les organisateurs du Festival de Jazz ou de Juste pour rire. C'est un message sans détour que j'envoie aux principales responsables.

Eh bien toute bonne chose a une fin. Je vous remercie Monsieur Steve de m'avoir accordé cet entretien.

Tout le plaisir est pour moi.

Affiche


   

  Wyclef Jean ap chèche yon solisyon lapè pou Ayiti atravè dyalòg par E. W. VEDRINE.