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Haïti Elections: Le compte à rebours vers l’échec ?

Nancy Roc

Nancy Roc
Nancy Roc : journaliste
Photo : courtoisie du reseauhem

Moins d’un mois avant le premier tour prévu des élections en Haïti, force est de reconnaître que la situation sur le terrain ne favorise en aucune façon la tenue de ces dernières tant en matière de sécurité que du point de vue logistique.

Ces deux dernières semaines, la tension a sensiblement augmenté avec une recrudescence de kidnappings qui touche les simples citoyens autant que les journalistes. Le kidnapping de notre collaborateur Watson Désir confirme nos craintes quant aux menaces pesant sur la presse haïtienne et l’on est en droit de se demander ce qui adviendra de celle-ci dans le futur entre les journalistes tués ou exilés pour cause d’insécurité. Signalons que selon les témoignages des personnes kidnappées puis libérées après rançon, les bandits opèrent en plein jour et en présence des troupes jordaniennes de la MINUSTAH à Cité Soleil. Depuis la recrudescence des cas de violences dans la région métropolitaine, ces dernières semaines, plus d'une quarantaine de personnes ont été kidnappées.

Les promesses du Chef de la police, Mario Andrésol, d’assurer la sécurité lors du prochain scrutin risquent donc de se transformer en vœux pieux. Le cas de Toussaint Maxan, 54 ans qui, en allant chercher sa carte d’identification nationale, a rendu l’âme en suffoquant dans un bureau électoral de Carrefour est également significatif: s’il s’avère vrai qu’une bousculade des forces de l’ordre aurait été à l’origine de ce décès, qu’est-ce qui attend les électeurs le jour du scrutin? Même inquiétude du côté de la MINUSTAH: le 8 septembre dernier, le porte parole militaire de la mission onusienne El Ouafi Boulbars avait déclaré lors d’une conférence de presse que «dans un proche avenir, le problème de Cité Soleil sera résolu d’une manière ou d’une autre».

Cette semaine, la MINUSTAH s’est rétractée par la voix de son chef de Mission Juan Gabriel Valdès. «Il ne faudrait pas s’attendre à une solution à la violence à Cité Soleil (nord de la capitale) avant les élections», a-t-il déclaré le 6 décembre en précisant «qu’on ne saurait demander à une force étrangère de régler du jour au lendemain un problème qui date d’une centaine d’années ». Par ailleurs, le même jour, l’inspectrice générale de la Police Nationale d’Haïti, Mme Gessy Cameau Coicou, a déploré dans un communiqué un grave incident survenu la veille dans la zone de Cazeau (banlieue nord de la capitale) quand des soldats du contingent jordanien de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti ont délibérément ouvert le feu sur une patrouille de la police haïtienne. Mme Coicou a souhaité pour la énième fois une meilleure compréhension et surtout une meilleure collaboration entre les policiers de la PNH et les soldats de l’ONU mais force est de reconnaître que cette collaboration s’est révélée chaotique tout au long de la transition et l’on se demande pourquoi cette Mission des Nations Unies porte le nom de Mission pour la Stabilisation d’Haïti!

Les tirs aux abords du Palais National le mercredi 7 décembre sont venus enfoncé le clou. Un blessé grave, des vitres de véhicules brisées et au moins une arrestation, c’est le bilan d’une intervention policière à la mi-journée mercredi aux abords du Palais National, pour disperser une manifestation de plusieurs dizaines de personnes en soutien à des policiers arrêtés pour leur responsabilité présumée dans la mort de plusieurs personnes le 20 août dernier à Martissant (banlieue sud de la capitale). Si la sécurité ne peut pas être assurée devant le Palais National, comment le sera-t-elle dans les coins reculés du pays le jour des élections? Cette question est d’autant plus préoccupante suite aux affirmations du juge de paix de Belle-Anse, Josué Pierre, qui a dénoncé le 27 novembre aux autorités concernées un groupe de candidats qui se déplacent ou fréquentent des hommes armés pour terroriser les partisans de leurs adversaires.

«C’est dangereux, et j’attire votre attention là-dessus» a déclaré le juge qui a demandé à la police du sud-est et à la MINUSTAH de prendre les mesures nécessaires pour identifier et maîtriser ces candidats et traquer ces individus armés. Enfin, les déclarations du chef du Programme désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) de la mission onusienne ne peut que préoccuper les Haïtiens. Il a reconnu cette semaine l'impossibilité de mener un processus de désarmement classique en Haïti en raison de la détérioration du climat d'insécurité. Desmond Molloy a affirmé que si les militaires démobilisés ont intégré le programme DDR, la majorité des membres des groupes armés restent attachés aux actes de violence qui sont pour la plupart financés par des partis politiques. Dans l'intervalle, les bandits continuent de terroriser la population en kidnappant et en tuant de paisibles citoyens en toute impunité. Vive la stabilisation d’Haïti!

De l’autre côté de la frontière, une situation de haute tension règne depuis quelques jours alors que cette année a été marquée par la déportation massive de réfugiés Haïtiens et des incidents majeurs entraînant des morts de compatriotes. Cette semaine, des dizaines de familles haïtiennes fuyaient le nord du pays afin d’échapper à la vague de violences qui s’abat sur les ressortissants Haïtiens, suite à l’assassinat d’un usurier dominicain par de présumés compatriotes dans une ferme caféière de El Encantado de Villa Trina, le village du nord de la République Dominicaine. Malgré l’offensive de charme du chancelier Carlos Morales Troncoso qui a affirmé en fin de semaine que "les deux peuples sont condamnés à vivre ensemble et dans l’harmonie" et que la République Dominicaine observerait une pause dans la déportation d’Haïtiens illégaux, force est de constater que la xénophobie envers les Haïtiens augmente et constitue un dossier d’autant plus sensible que les autorités du gouvernement de transition observent un silence accablant sur cette brûlante question.

Quant au processus électoral, ne nous étonnons pas que la date du 8 janvier soit reculée une nouvelle fois malgré la joie incompréhensible et pour le moins naïve exprimée par le Premier ministre à son retour de Vienne. En effet, de source sûre et proche du CEP, nous apprenions que la journée du 7 décembre a été – pour reprendre les termes de notre source- ‘’la journée de toutes les découvertes’’. Le directeur Général du CEP, M. Jacques Bernard aurait quitté une réunion entre le CEP, la MINUSTAH et l’OEA en claquant la porte devant le manque de coopération de la communauté internationale. Selon notre source, «il est très possible que la date du 8 janvier soit encore renvoyée car il y a des structures qui n’ont pas été mises en place». L’OEA n’aurait pas respecté ses engagements concernant les listes électorales: «ces dernières ne sont pas classées par départements et par commune»  nous a déclaré cette source qui affirme aussi que le CEP accuse un déficit de 10 millions de gourdes pour arriver aux élections et que 16 millions de dollars américains dépensés par le PNUD n’ont toujours pas été justifiés auprès des bailleurs de fonds qui, par conséquent, se montrent réticents à décaisser le reste du financement du processus électoral.

Par ailleurs, selon nos informations, le PNUD a choisi l’OEA pour l’impression des listes électorales qui devrait être exécutée par la firme mexicaine DIGIMARC. Ce choix, qui aurait été basé sur le souhait d’économiser un million de dollars, risque de coûter cher au processus et à ces acteurs car, selon nos sources, cette compagnie ne sera pas prête à remettre les listes dans les délais prévus. Du côté de M. Réginald Boulos qui, au grand dam de la communauté haïtienne a remporté le bid pour l’impression des bulletins de vote, tout serait presque prêt sauf les bulletins de vote pour les députés mais M. Boulos aurait donné l’assurance que ces derniers seront délivrés le 15 décembre prochain. Enfin, les centres de vote posent toujours un problème grave: certains électeurs ont reçu des cartes sans l’autocollant exigé derrière la carte et pourraient ne pas pouvoir voter le jour du scrutin; d’autre part, de nombreux électeurs des provinces- le Cap par exemple- qui s’étaient enregistrés à Port-au-Prince en l’absence, à l’époque, de bureaux d’inscription dans la deuxième ville du pays, ne pourront voter qu’à Port-au-Prince s’ils n’ont pas donné une adresse au Cap haïtien. Tous ces exemples illustrent bien les problèmes logistiques majeurs qui entachent un processus électoral truffé de mensonges publics et de déclarations péremptoires de la communauté internationale et du gouvernement de Gérard Latortue.

«A l’impossible nous sommes tenus», aime clamer le Premier ministre mais son manque de vision, ses précipitations et son ambition mal venue ont non seulement entraîné l’échec de cette transition mais elles risquent aussi de nous imposer une démocratie ‘’bouyi vidé’’ (une démocratie de faux semblant) à travers une mascarade électorale dont le pays aura à payer le lourd tribut pendant les cinq prochaines années.

Nancy Roc, Montréal le 9 décembre 2005.