Humanités créoles

 

 Après un débat sur les Humanités créoles

 
Daniel BARRETEAU
 
 
Ce mardi 1er juin 2003, vient de se dérouler un débat sur ATV au sujet des «Humanités créoles» avec, autour de la table, notamment, l'Inspecteur qui a été à l'origine de la polémique, M. Alaric, un linguiste, Jean Bernabé, un sociologue, Michel Louis, et un spécialiste de l'environnement, M. Nosel. La composition de ce groupe n'était évidemment pas sans influer sur les enjeux et la qualité des discussions.

Ce que je retiendrai, de manière totalement subjective:

  • Les conditions de la proposition de création d'un enseignement obligatoire des humanités créoles, dans le primaire, s'apparentent à un «coup d'État» monté par les «généraux» de l'Education. Que cette proposition émanât de «simples» chercheurs ou d'universitaires, et la proposition serait passée complètement inaperçue. Mais, en l'occurrence, il s'agit d'Inspecteurs de l'Education nationale qui se sont clairement affichés, sans discussion préalable avec leur hiérarchie. La fonction qu'ils occupent les obligeait sans doute à la réserve.
  • La proposition a pris une grande importance du fait de l'opposition de la hiérarchie de l'Education nationale. Du coup, suite à la démission de l'Inspecteur de son poste de «Doyen des inspecteurs», l'affaire des humanités créole est devenue une affaire quasiment nationale. Les politiques ne sont pas loin puisque des élus du Conseil régional et du Conseil général ont pris position.
  • L'enjeu se situe à plusieurs niveaux: mettre l'échec scolaire au devant de la scène n'est pas pour satisfaire l'institution, sinon le corps enseignant dans son ensemble. Mais, ainsi que l'a fortement marqué Michel Louis, établir une relation de causalité entre l'échec scolaire et la non-reconnaissance des réalités environnementales paraît être de nature purement hypothétique. Ainsi que cela est apparu dans le débat, c'est la qualité de la relation entre l'enseignant et ses élèves qui est fondamentale dans l'éducation et dans l'enseignement et non pas seulement la matière enseignée.
  • La notion d'enseignement «obligatoire» nous fait revenir quelque vingt ans en arrière, avec l'échec du Recteur Juminer. Les parents, les enseignants et les élèves martiniquais ne sont probablement pas disposés, aujourd'hui pas plus qu'hier, à ce que la langue et la culture créoles entrent effectivement, de manière obligatoire, dans l'enseignement de tous les élèves fréquentant l'école en Martinique. Un inspecteur a souligné le fait que les élèves accrochent beaucoup plus lorsqu'on leur parle du Pôle Nord et de l'Egypte que de la Martinique ! Il y a bien là un phénomène de société, un véritable choix politique : il est donc bien naturel que des tensions se font jour sur des questions aussi brûlantes. Ne serait-ce que réserver deux heures par semaine pour un enseignement «régional», ce serait se couper de l'idéal de l'enseignement laïc et républicain qui fait l'essence même de notre Education nationale.
  • Le côté extrêmement «évasif» des propositions faites par M. Alaric – qui mériteraient, certes, un large débat mais les autorités académiques seront-elles disposées à s'engager dans ce débat qui leur a été imposé par un des leurs? - heurte, à juste titre, tous ceux qui ont tenté, depuis des années, d'introduire le créole à l'école, d'une manière professionnelle. Cela semble remettre en cause les expériences acquises et les acquis récents (CAPES de créole).
  • Pour les thuriféraires de ce projet, il est sans doute concevable d'imaginer un enseignement des «humanités créoles» en s'appuyant essentiellement sur les aspects culturels et environnementaux. En sous-entendu, les aspects linguistiques de la créolité ne seraient peut-être pas primordiaux. La position des linguistes du GEREC-F est fort claire là-dessus : il est inconcevable d'imaginer un enseignement de la culture créole sans inclure un enseignement de la langue, faute de quoi l'on tomberait dans un folklorisme sans véritable fondement.
  • La reconnaissance de la «spécificité martiniquaise», la «régionalisation» de l'éducation entraîne, fatalement, une réaction de rejet de la part d'une structure encore très centralisée et sourcilleuse du maintien de toutes ses compétences. D'où la critique immédiate de «communautarisme».
  • Le spécialiste de l'environnement s'étonnait de la méconnaissance de leur milieu par les élèves et même par les enseignants. Mais cette ignorance n'est pas propre à la Martinique. On pourrait faire la même remarque dans tous les coins de la France. Les jeunes vivant de plus en plus dans des milieux urbains ou urbanisés, dans des environnements plus «virtuels» que réels, ont perdu tout contact direct avec la nature. Les parents sont extrêmement peu nombreux à partager des connaissances avec leurs propres enfants.
  • En dehors des maladresses des autorités académiques dans cette «affaire», on voit bien qu'il y a dans ce débat un vrai sujet de société, avec des positions et des intérêts fort divergents. Il est central et capital de réfléchir, d'une part, sur ce qui constitue les causes profondes de l'échec scolaire (si celui-ci est bien avéré) et, d'autre part, sur la volonté (ou non) des Martiniquais à s'intéresser à leur langue et à leur culture et à s'investir délibérément dans ce sens. De fait, malgré les avancées que l'on a constatées (avec le CAPES de créole), il faut bien admettre que ce n'est pas l'enseignement du créole comme LV3 dans le secondaire ni la possibilité de choisir entre une langue étrangère et la langue créole dans le primaire, qui feront faire un bond significatif à l'enseignement du créole. Maintenant, dès que l'on parle d'enseignement obligatoire, on se heurte à de fortes résistances. C'est pourtant, à notre sens, la seule voie pour que la langue et la culture créoles puissent véritablement trouver une place significative et dynamique dans la société martiniquaise (et antillaise).