ESPACE CRÉOLE N°9

Revue du GEREC

 

Commerce négrier et langues de l'Afrique de l'ouest au dix-septième siècle<

Trois petits dictionnaires bilingues des langues de la Côte d'Or et de Juda <

 

par Sabina COLLET-SEDOLA

 


SOMMAIRE

Introduction
I.
Les sites de la traite
1.
Le Sénégal
2.
Le Pays de Galawar et Côte de Malaguette
3.
La "Côte d'Ivoire et Côte de Quaqua", du Cap des Palmes au Cap des Trois-Pointes
4.
La "Côte d'Or" entre le Cap des Trois-Pointes et la Rivière de Volta
5.
Les "Royaumes d'Ardra et de Juda"
6.
Les "Royaumes de Bénin et d'Aweri", entre le Bénin et le Cap Formosa
7.
Les "Côtes de Loango et d'Angola"
II.
Les langues des sites de la traite
III.
Les rapports entre les traitants français et les chefs indigènes
IV. Les contacts linguistiques
V. Les Européens et les langues africaines
VI. Appendice
1. 1731: R.PERE LABAT
2. 1793: PAUL ERDMAN ISERT
3. 1803: P. LABARTHE
VII. Lexique isolé
   


INTRODUCTION

Notre propos ce n'est pas de parler de la traite négrière, même si c'est précisément l'Europe marchande d'esclaves qui constitue le fondement de ces notes. Ce qui nous intéresse, c'est d'indiquer quelles étaient les langues européennes connues ou parlées au XVIIe et au XVIIIV siècle dans cette longue frange du littoral africain qui répondait au nom de Côte de Guinée. Nous voudrions également mettre en évidence l'effort accompli par les marchands, voyageurs et fonctionnaires européens de l'Ancien Régime pour acquérir quelques notions de langues d'Afrique de l'Ouest.
Cette étude se rapporte essentiellement à quatre relations de voyages publiées ou rédigées au XVIIIV siècle: l'anonyme Voyage aux Côtes de Guinée et en Amérique (Amsterdam, 1719), le Voyage du Chevalier des Marchais en Guinée, isles voisines et à Cayenne (Amsterdam, 1731) du R.P. Labat, le récit intitulé, Voyages en Guinée et dans les îles Caraïbes en Amérique (Paris, 1793) du médecin-inspecteur danois Paul Erdman Isert et le Voyage à la Côte de Guinée (Paris, 1803) de P. Labarthe.
Sauf le premier, tous les ouvrages cités renferment un petit dictionnaire bilingue ou plurilingue, français-langues africaines1.

La Côte de Guinée

Il n'est pas facile d'être précis quant à la signification du terme "Côte de Guinée". Parfois les déclarations des capitaines utilisent le mot "Guinée" pour désigner toute la côte, de la rivière Sierra Leone jusqu'au Cap Lopez. D'autres comprennent aussi le Sénégal et d'autres y ajoutent les royaumes de Louangue et d'Angola, jusqu'à inclure la rivière du Congo. Durant le premier siècle de l'expansion portugaise, la côte occidentale d'Afrique s'appelait Guinée", depuis le Sahara jusqu'au Cap, ce qui explique que les Portugais nommaient "Haute Guinée" la partie comprise entre le Sahara et le Sierra Leone, "Basse Guinée", l'enfoncement que l'Atlantique pousse jusqu'au delta du Niger.
La "Haute Guinée" était au XVIe siècle une dénomination sans limites précises. Nous savons que les Portugais longeaient le littoral avec leurs navires depuis Arguin jusqu'à leur marché d'El Mina sur la Côte d'Or. De nombreuses localités conservent dans leurs noms, la marque de cette origine: Canaries, Açores, Sierra Leone, Cap Monte, Cap Mesurado, Xavier, Porto Novo, etc. Cependant, toutes les tribus indigènes demeuraient indépendantes, vivant suivant les temps et les occasions, en bons ou mauvais rapports avec les marins, les commerçants, les aventuriers venus d'Europe.
Pour notre part, avec le terme "Côte de Guinée", nous désignerons le long trajet maritime qui se faisait à la voile du Cap Blanc au fleuve Congo.

Les premiers découvreurs et trafiquants

On a beaucoup discuté au sujet de la nationalité des premiers hommes qui osèrent s'aventurer le long des côtes de l'Afrique Occidentale. Les véritables découvreurs semblent avoir été les Espagnols et les Italiens. Lorsque le Normand Jean de Béthencourt fit la conquête des Canaries en 1402, il déclara avoir utilisé la relation de voyage d'un moine faisant partie d'une expédition espagnole qui avait reconnu l'embouchure du fleuve Sénégal vers 12302.
En 1291, les frères Ugolino et Vadino Vivaldi, hardis marchands génois, entreprirent un périple qui, selon l'affirmation de l'historien A. Giustiniani, devait les porter "all'India verso Ponente". Nous savons qu'ils s'aventurèrent bien au delà des Colonnes d'Hercule et qu'ils longèrent les côtes de l'Afrique Occidentale. Des chroniques médiévales dignes de foi rapportent que leurs navires firent naufrage entre le Sénégal et la Gambie. En 1325, le fils de Ugolino Vivaldi partit à la recherche de son père mais son aventure échoua également. Beaucoup d'hypothèses furent émises pour expliquer la disparition de ces audacieux navigateurs; aucune d'elles ne parvient à nous satisfaire3.
Il est certain que nos connaissances au sujet de ces premiers voyages sont pauvres, car les marchands et les navigateurs de l'époque préparaient leurs entreprises longuement et dans le plus grand secret, par crainte d'éveiller la jalousie d'éventuels concurrents.
Une des probables conséquences de l'expédition des frères Vivaldi fut la redécouverte des îles Canaries, anciennement appelées "Iles Fortunées". A cet égard, nous disposons du témoignage de l'humaniste italien Francesco Petrarca qui en fit une allusion explicite dans De Rebus familiaribus (1337) et dans De Vita solitaria (1346). Petrarca se rapportait à une expédition militaire gênoise qui avait eu lieu dans ces îles au début du XIVe siècle4.
Bien que déjà connues par les Grecs et par les Latins, les Canaries continuaient à représenter pour les Européens du Moyen Age, un monde mythique et inaccessible. Le mérite de les avoir restituées au monde civilisé revient à Lanzarotto Marocello (ou Malocello), intrépide navigateur issu d'une illustre famille gênoise. Marocello avait appris l'existence de ces terres par des marins de Cherbourg qui affirmaient les avoir visitées. Son voyage se situe vers 1325. Nous savons qu'il occupa et donna son nom à une des îles, ce qui constitue le point de départ de l'histoire de l'archipel5.
Giovanni Boccacio est l'auteur d'une relation qui nous permet d'apprécier l'étendue des connaissances qu'on pouvait avoir au Moyen Age des Iles Canaries. Dans De Canaria et de insulis reliquis ultra Hispaniam in oceano noviter repertis, l'humaniste italien nous parle de l'expédition entreprise en 1341 par le Gênois Nicoloso da Recco et par le Florentin Angiolino del Tegghia dei Corbizzi. Il s'agit de la plus ancienne relation de voyage maritime de la littérature italienne. Son intérêt réside non seulement dans le texte écrit par l'un des plus prestigieux auteurs du Moyen Age, mais aussi dans son contenu, description ample et très détaillée de l'expédition et des îles visitées. Boccaccio rassembla dans son ouvrage les informations données par Nicoloso da Recco aux marchands florentins de Séville et transmises ensuite par ceux-ci aux marchands de Florence. L'expédition comptait trois navires et l'équipage était composé de Gênois, Florentins et Espagnols. Les navires quittèrent le port de Lisbonne en 1341. Bien qu'incomplète, la relation de Boccaccio renferme un grand nombre d'informations à caractères géographique, nautique, géologique, ethnologique, glottologique, dont l'intérêt put longtemps rivaliser avec les témoignages directs écrits sur ces îles au cours des siècles suivants6.
En 1402, Béthencourt colonisa l'archipel. A partir de cette date, l'émigration normande fut florissante jusqu'à la fin du XVe siècle7.
Les Açores semblent avoir été connues depuis l'antiquité. Des pièces de monnaie puniques y furent retrouvées, ce qui démontre le passage des Phéniciens. Les îles figurent aussi dans deux portulans, l'un florentin et l'autre catalan, datés approximativement de 1351 et 13758. La découverte officielle de l'archipel revient cependant aux Portugais qui reconnurent ce territoire en 1431, à l'occasion d'une expédition recommandée par Gonzalo Velho Cabral et ordonnée par l'infant Henri le Navigateur9. Les Açores furent colonisées en 1439 par les Portugais, auxquels s'ajoutèrent par la suite de nombreux émigrés flamands10.
Les historiens contemporains attribuent la découverte des îles du Cap Vert au vénitien Alvise Cadamosto. Entre 1454 et 1456, au service d'Henri le Navigateur, Cadamosto semble être parvenu jusqu'aux côtes de l'actuelle Guinée Portugaise et avoir visité les Bissagos. A l'exception du navigateur génois Antonietto Usodimare, les géographes de l'époque ne font aucune allusion à ces découvertes. Ceci nous permet de douter de leur totale véridicité, d'autant plus qu'au XVe siècle, on considérait que le véritable découvreur du Cap Vert avait été le navigateur gênois Antonio da Noli. Celui-ci fut, en tout cas, le premier colonisateur de l'archipel11.
Ces découvertes marquent le début de nombreux voyages qui suivirent et qui furent relatés dans le Chronica do descobrimiento e conquista da Guiné de Gomez Eanes de Azurara (1410-1474), le chroniste officiel du roi du Portugal.
Dans les écrits de Christophe Colomb, il y a plusieurs allusions à la côte de Guinée. Bartolomé de la Casas, dans le chapitre IV de son Historia de las Indias, affirme que le célèbre navigateur, lorsqu'il était au service de Jean II du Portugal, avait décidé de visiter lui-même ces lointaines contrées "d'Etiopia" dont lui parlaient sans cesse les marins portugais. Dans le journal de bord du premier voyage, à la date du 9 janvier 1493, Colomb affirme avoir été "in Guinea sulla costa della Manegueta". En évoquant ce pays, il avait dit aussi que "in nessuna di queste contrade non si trovano porti cosi buoni". Nous savons que l'amiral s'était rendu à San Jorge de El Mina vers 1482-83, et qu'au retour, il avait visité les îles du Cap Vert12.
Les expéditions françaises qui doublèrent le Cap Bojador et qui nous sont connues, se situent dans la deuxième moitié du XVe siècle.
Nous savons qu'Eustache de la Fosse entreprit un voyage à la Côte de Guinée entre 1479 et 148013. De retour en Europe, ses récits contribuèrent à diffuser la croyance, déjà répandue par Antonio da Noli, que les oeufs des tortues géantes, qui venaient pondre aux îles du Cap Vert, avaient la vertu de guérir de la lèpre. En 1483, peu de temps avant sa mort, le roi Louis XII, affligé par une terrible maladie qui résistait aux traitements des médecins et se croyant lépreux, prêta foi aux dires d'un marin normand revenu guéri des côtes d'Afrique. Dans l'espoir d'essayer à son tour le remède merveilleux, il envoya deux vaisseaux de Honfleur aux îles du Cap Vert. Cinq ans après, en 1488, le navigateur dieppois Cousin, entreprit un voyage commercial au même archipel, dont une île, celle de Mayo, était alors la propriété d'un "français nommé Jean-Baptiste14".
A la même époque, le roi du Portugal Jean II, avait confié à Diego Cao, le commandement d'une expédition, la première longue série, dont le but était de rechercher une route maritime vers les Indes par le sud de l'Afrique. Il y a un détail caractéristique des voyages de Cao qui prouve la détermination du Portugal d'affirmer sa souveraineté sur toute la côte d'Afrique. On lui fournit des "padroes", sorte de stèles portant des inscriptions en latin, en portugais et en arabe, qu'il avait mission de dresser aux points remarquables de la côte à mesure de leur découverte. Cao en érigea une, en 1483, à l'embouchure du Congo et une autre au point le plus méridional de son voyage, c'est-à-dire sur le Cap Cross. Dans ce périple de l'Afrique, les Portugais s'attachèrent moins à la pénétration et à la colonisation qu'à la création d'escales, de points de ravitaillement et de commerce. Ils avaient la coutume de laisser dans les terres qu'ils venaient de découvrir, du bétail d'Europe qui s'y multiplia et constitua des réserves de vivres frais; ils installèrent, dans des sites des côtes opportunément choisis, des ports où leurs navires pouvaient se réparer et leurs équipages se refaire. Dans ces escales, peu à peu s'instaurèrent les premiers échanges de produits indigènes. Ce commerce se révéla immédiatement très avantageux pour les Portugais, car les Africains ignoraient totalement la valeur des produits européens. Leur goût les poussait à choisir les objets de clinquant et l'eau de vie; ils avaient un besoin impérieux d'armes et d'outils. Ces échanges furent rapidement relégués derrière la traite des esclaves quand, au milieu du XVe siècle, les navigateurs portugais amenèrent à Lisbonne des captifs nègres et les vendirent. On vit dans la traite une fructueuse source de revenus et l'esclavage se développa rapidement. Les marchés d'esclaves s'étendirent à l'Espagne, qui en usa d'abord chez elle puis en créa dans ses îles dès le début du XVIe siècle. Peu après, l'usage fut adopté par la France, l'Angleterre, la Hollande, le Danemark.
Au XVIe siècle, vers 1525, des marchands français furent signalés à Sao Tomé par un navigateur portugais dont Ramusio a publié la relation15. A la même époque, les Dieppois Jean et Raoul Parmentier visitèrent la côte d'Afrique depuis le Cap Vert jusqu'au Cap Lopez. Ils constatèrent que les Français étaient très favorablement accueillis, tant par les "seigneurs du pays" que par les indigènes qui les préféraient aux Portugais. L'un de leurs centres commerciaux était alors à Berkou, sur la Côte d'Or, entre Cormentin et Accra16.
Le roi du Portugal comprit très vite les avantages qu'il pouvait tirer de la situation. Se fondant sur un privilège qui lui avait été octroyé par des bulles papales, l'investissant de l'autorité souveraine sur les pays fréquentés par les marins de son royaume, il prétendit réserver à ses nationaux le monopole du commerce avec l'Afrique. Malgré la promesse faite par François Ier qu'aucun de ses vaisseaux ne dépasserait plus désormais les îles du Cap Vert dans la direction du Sud, les navires français continuèrent à fréquenter les côtes africaines. Des réclamations réitérées furent adressées par Jean III au roi de France et celui-ci déclara que c'était contrairement à ses ordres que les navigateurs français allaient commercer dans les possessions portugaises. Malgré les diverses mesures prises contre ces navigateurs, les capitaines marchands n'interrompirent pas pour autant leurs voyages dans ces régions.
A partir du milieu du XVIe siècle, les Anglais commencèrent à manifester une activité croissante sur l'Atlantique et à disputer aux Portugais la suprématie commerciale. Vers 1585, ils furent imités en cela, de façon encore plus énergique, par les Hollandais. Malgré la concurrence, les voyages des navires marchands français continuèrent à être fréquents. Rien que pour la période allant de 1574 à 1583, on a relevé sur les registres notariaux de la seule ville de Honfleur, trente armements de vaisseaux à destination du Cap Vert, de la "Guinée" (Sénégambie et Sierra Leone), de la côte des Graines, de la côte de Bonnes Gens (Côte d'Ivoire), de la Mine (Côte d'Or). Parfois, les navires français poussaient plus loin en direction du Congo.
Il est certain que depuis le milieu du XVe siècle, les entreprises commerciales françaises aux côtes occidentales d'Afrique avaient été fortement contrecarrées par l'activité des navigateurs portugais. Lorsque, en 1580, le Portugal tomba sous la souveraineté de l'Espagne, il perdit ses titres à l'exclusivité souveraine des terres lointaines que lui avait octroyées la papauté. Cela permit aux Français de développer plus aisément leurs activités commerciales; à la fin du XVe siècle, leurs vaisseaux croisaient fréquemment sur les côtes du Congo. Les chroniqueurs portugais rapportent de nombreuses incursions faites par les Français dans leurs colonies, allant jusqu'à mettre en péril la domination de cette nation.
Peu à peu, sous l'influence combinée de visées politiques, d'ambitions commerciales et de tentatives de christianisation des Noirs, les différents pays européens commencèrent à implanter en Afrique des embryons de colonies. Cependant, très tôt, se déclenchèrent entre elles des disputes pour la possession définitive de ces établissements.
Dès le début du XVIIe siècle, de petites places commerciales furent établies par les Français en divers points de la côte occidentale d'Afrique. En 1609, Balthazar Moucheron de Dieppe créa un comptoir au Gabon. En 1612, le chevalier de Briqueville, noble normand et le Rouennais Augustin de Beaulieu, installèrent un éphémère poste d'échange à l'embouchure de la Gambie. Mais c'est surtout au Sénégal, fréquenté assidûment depuis trois siècles, que les Français cherchèrent à implanter leurs centres commerciaux. Sous l'impulsion de Richelieu d'abord et de Colbert ensuite, l'oeuvre coloniale de la France dans l'ouest africain, jusque là laissée à la seule initiative privée, allait se changer en entreprise nationale.

I . LES SITES DE LA TRAITE

D'après le mémoire adressé à Choiseul en 1762 par le général du commerce de Nantes et si nous tenons compte des intérêts commerciaux de l'époque, il est possible de subdiviser la Côte de Guinée en sept parties échelonnées sur environ 3500 km. Le mémoire distingue les régions suivantes:

1. Le Sénégal

Il comprenait la partie du littoral située entre le Cap Blanc et la rivière Sierra Leone. Le texte souligne que cette côte était alors interdite à la traite française par suite du privilège de la Compagnie des Indes17. Les Anglais possédaient un comptoir en Gambie et des factories à Joal et à Cattajar. Ils avaient l'autorisation de faire la traite dans la rivière de Casamance et le monopole des échanges sur la rivière de Sierra Leone. La Compagnie des Indes tenait garnison à Gorée. Pour les Français, l'île n'était alors qu'un centre de ravitaillement, de relâche et de radoub, et un entrepôt de marchandises.

2. Le Pays de Galawar et Côte de Malaguette

L'étendue de cette côte, connue sous le nom de "Maniguette" ou des "Graines", est comprise entre la rivière Sierra Leone et le Cap des Palmes. Elle correspond approximativement aux territoires appelés maintenant Sierra Leone et Libéria. La traite était plus particulièrement florissante entre la rivière Sierra Leone et le Cap Monte. Les Anglais, qui ne possédaient pas de comptoirs dans cette région, pertubaient le commerce français, notamment près de la rivière de Sherbro et aux îles Bananes. Les centres les plus actifs étaient Sangoin et Maniguette. La côte était considérée comme dangereuse. De Petit Sestre au Cap des Palmes, il fallait "s'abstenir d'aller à terre et avoir l'attention que la chaloupe soit bien armée", car les indigènes étaient agressifs, anthropophages et attaquaient les équipages. Les Français ne possédaient pas de comptoirs dans cette région.

3. La "Côte d'Ivoire et Côte de Quaqua", du Cap des Palmes au Cap des Trois-Pointes

Le littoral connu sous cette dénomination correspond approximativement à l'actuelle Côte d'Ivoire et à une partie du Ghana. Les principaux marchés étaient Cavaillé (à l'embouchure de la rivière Cavally), Thabo (Tabou), Berbi (Grand Béreby), Saint-André (Sassandra), Cap La Ho (Grand Lahou), Jack La Ho (Jacqueville), Issini (Assinié), Cap Apollon (Appolonia), Axim.
Sur pratiquement tout ce territoire, la traite était le monopole des Hollandais, qui possédaient un fort très important à Axim.

4. La "Côte d'Or" entre le Cap des Trois-Pointes et la Rivière de Volta

Sur cette partie du littoral se trouvaient groupés les principaux centres de la traite négrière et le plus grand nombre de comptoirs européens. L'effort d'organisation commerciale accompli par les différentes nations fut méthodique et tout à fait considérable. D'après les descriptions des capitaines-marchands et des voyageurs, nous savons que les Hollandais, les Anglais et les Danois possédaient de nombreux entrepôts fortifiés dont voici les noms les plus connus:
Acoda (holl.), Discove (angl.), Botro (holl.), Tacorary (holl.), Seconde (un fort angl., un holl.), Saint-George de la Mine (holl. Résidence du Gouverneur Général de ce pays), Cap Horse (angl.), Morée (holl.), Anamabou (angl.), Kormentin (holl.), Amokou (franç.), Tamtamquery (angl.), Apam (holl.), Sinpam (angl.), Bercoë (holl.), Akra (un fort holl., un angl.), Christianbourg (danois), Fort James (angl.), Creveceour (holl.), Friedericsbourg (danois).
Amokou était le seul établissement français de la côte. Ailleurs, les marchands nationaux devaient traiter directement avec les gouvernements des différents forts. Les Français avaient réussi à gagner la sympathie des souverains indigènes à Anamabou mais, menacés de représailles par les Anglais, ces derniers cessèrent les échanges. Le commerce libre était rendu encore plus difficile du fait que les nations rivales avaient établi des comptoirs intermédiaires qui remplissaient en quelque sorte les intervalles entre les forts. La concurrence était devenu sans merci.

5. Les "Royaumes d'Ardra et de Juda"

Ils se situaient entre la rivière Volta et Badagry. Ce littoral, qui correspond au Togo et au Bénin, était connu sous la dénomination de " Côte des esclaves ". D'après l'opinion des marchands de l'époque, c'est ici qu'on achetait les meilleurs esclaves et que les droits perçus par les rois indigènes étaient les moins élevés. Les Français et les Anglais avaient établi un fort à Juda, où il y avait aussi un comptoir portugais. Les principaux centres se nommaient: Queta, Petit Popo, Grand Popo, Juda, Cotonis, Porte-Nove et Badagry. Les Danois possédaient deux points d'échange à Königstein, près d'Ada et à Princestein, près de Quetta.

6. Les "Royaumes de Bénin et d'Aweri", entre le Bénin et le Cap Formosa

Sur cette côte, faisant partie actuellement du Nigéria, les échanges commerciaux et la traite étaient beaucoup moins importants, car on considérait que les esclaves étaient de qualité inférieure. Les pots-de-vin ou "coutumes", payés aux courtiers et aux vendeurs, étaient beaucoup plus faibles que partout ailleurs. Les marchands français très gênés par la concurrence des Anglais.

7. Les "Côtes de Loango et d'Angola"

Le littoral compris entre Cap Formosa et la rivière du Congo, actuellement faisant partie du territoire connu sous les noms de Cameroun, Gabon et Cabinda, possédait trois centres commerciaux très actifs: Malimbe (Mayumba), Louangue (Loango), Cabinde (Cabinda). Les captifs étaient abondants mais de médiocre qualité et les "coutumes" très chères18.
Considérant ces subdivisions, nous pouvons conclure que pour les voyageurs et marchands du XVIIIe siècle, la côte africaine apparaissait comme une suite de royaumes indigènes indépendants. Les trafiquants européens n'y avaient accès et ne pouvaient établir de postes d'échanges qu'avec la permission des souverains locaux. Le Mémoire de 1762 nous dit: "les forts établis à la côte de Guinée ne sont que des comptoirs fortifiés... Ces forts n'importent point avec l'idée d'une souveraineté territoriale, du moins au delà de leur enceinte. Les nègres sont les maîtres du pays". L'importance de ces places commerciales était en tout cas très inégale: il y avait des lieux où les navires ne s'arrêtaient que très peu, se contentant d'attendre, dans une rade bien abritée, les chargements d'esclaves qui leur étaient livrés par des caravanes descendues de l'intérieur par les trafiquants africains spécialisés dans ce type de commerce. Dans d'autres lieux, l'échange de captifs et de marchandises d'importation était très organisé et se faisait à grande échelle dans des comptoirs prospères et très bien organisés.

II. LES LANGUES DES SITES DE LA TRAITE

Le fleuve Sénégal constitue la ligne qui sépare idéalement les peuples de la Mauritanie, de la langue berbère, de ceux s'exprimant en langues négro-africaines. Au sud du fleuve, sur la côte et à l'intérieur, prédomine le wolof. Aux environs de Thiès et au Joal, on rencontre des tribus parlant des dialectes assez différenciés, dont le plus important est le "sin". Le "dyola", avec ses nombreuses ramifications dialectales, est parlé sur les deux rives de la Casamance. Au sud de celle-ci domine la langue des Peuls, peuple de pasteurs sédentaires ou nomadisants, dont l'influence linguistique s'étend jusqu'à la Guinée Portugaise. Autour de Conakry est parlé le "soso", langue apparentée aux dialectes "mandés", appartenant aux envahisseurs venus de l'intérieur. Sur la côte de l'actuelle Sierra Leone, on parle la langue des Sherbros, en usage aussi au Libéria dans une forme différenciée.
D'après Maurice Delafosse, on dénombre en Côte d'Ivoire, cinq groupes linguistiques principaux: les langues "kwakwa" ou lagunaires, très différenciées les unes des autres, mais ayant des termes d'usage communs à plusieurs d'entre elles; les langues "kroues", parlées depuis Lahou à l'est jusqu'à l'embouchure de Lofa à l'ouest. Parmi celles-ci, le sous-groupe "bété" est en usage à Sassandra et le sous-groupe "bakoué" est parlé jusqu'au Libéria; l' "agni" est la langue prédominante des Achantis, peuple établi le long du littoral, qui va de la Côte d'Ivoire au Ghana. On dénombre aussi les langues du groupe "mandé", évoquées plus haut et enfin les idiomes du groupe voltaïque, en usage dans le nord du pays19.
La Côte d'Or, le Togo et le Bénin possèdent des langues appartenant à la même famille, respectivement le "tchi" et ses dialectes ("ga" et "fanti"), l' "éwé" et le "fon".
Sur la côte du Nigéria, on parle différents dialectes que Delafosse a réunis sous l'appellation "Bas-Nigérien". Ils feraient partie de la langue la plus ancienne de l'Afrique occidentale.
Sur le littoral camerounais et gabonais, on rencontre des dialectes de type "bantou", comme le "douala" et la langue des Fangs, fragmentée à son tour en plusieurs dialectes.

Les sabirs, les langues secrètes et la langue non parlée.

Dès les premiers contacts linguistiques avec les peuples de race blanche, les indigènes commencèrent à s'exprimer en sabir, c'est-à-dire en utilisant un mélange de plusieurs apports linguistiques et de différentes transpositions syntaxiques. Cet idiome artificiel était fortement répandu, tant pour parler aux étrangers, en tirant profit, le cas échéant, des connaissances linguistiques réciproques, que pour converser de façon à ne pas être compris par son entourage.
Chez certains peuples se manifesta la coutume d'introduire certaines déformations délibérées dans l'emploi courant de leur langue, comme, par exemple, le procédé consistant à renverser systématiquement les syllabes des mots, en usage chez les Peuls du Fouta Djallon. Ce trait linguistique était répandu, notamment dans l'idiome des chefs et des notables20.

Pour les Africains, les gestes constituaient un moyen de communication tout aussi essentiel que l'articulation phonétique. Par exemple, lorsqu'il s'agissait de compter, les mouvements étaient un élément nécessaire à la compréhension du message, car les indigènes comptaient avec les doigts de la main, en indiquant aussi les orteils21 . Le rôle des gestes était aussi celui d'éviter de formuler des termes tabous liés aux nombres. A côté du langage parlé et gestuel, il convient d'évoquer aussi la communication établie au moyen d'instruments à percussion et la langage sifflé. Le tam-tam pouvait aussi bien servir à émettre des signaux stéréotypés, analogues à ceux des clairons militaires, qu'à transmettre des messages plus élaborés. Cet instrument fondait son pouvoir communicatif sur les modifications de hauteur des sons, qui sont généralement très marqués.
Le langage sifflé, qui se réalise au moyen de sifflets faits avec des cornes d'animaux, était, tout comme celui des tambours, le fruit des variations de hauteurs régulières et codifiées, qui permettaient de communiquer avec aisance les messages les plus divers22.

III. LES RAPPORTS ENTRE LES TRAITANTS FRANCAIS ET LES CHEFS INDIGENES

Au XVIIIe siècle, seul le comptoir du Sénégal, que le "Mémoire" à Choiseul définissait comme un "établissement formé avec l'agrément des naturels, une concession régulière, une véritable colonie", jouissait d'un statut de dépendance bien déterminé. Les autres territoires où s'élevaient des forts et des comptoirs européens n'appartenaient nullement à ces différents pays dont la souveraineté se limitait à l'enceinte de leur édifice. Les véritables maîtres du pays étaient les Africains.
Les différents petits royaumes indigènes se succédant le long de la Côte de Guinée constituaient, à l'époque, des organisations sociales cohérentes et politiquement assez évoluées. Au cours de leurs guerres d'expansion, ces petits états prédateurs se heurtaient souvent aux peuples qui vivaient près de leurs frontières. Ceux-ci étaient capturés comme prisonniers de guerre et ensuite vendus sur les nombreux marchés du centre ou de la périphérie du royaume. La traite se faisait sous le contrôle des différents souverains, autour desquels s'agitaient des fonctionnaires spécialisés, dont certains avaient dans leurs attributions, le règlement des rapports avec les étrangers venus pour engager des transactions commerciales. Ces traités rudimentaires comportaient diverses catégories de paiements: le droit de débarquement et de traite, le paiement à chacune des autorités qui facilitaient le commerce de cadeaux de la main à la main, la commission d'usage au courtier et enfin, le règlement de la marchandise. Le terme générique de "coutumes" désignait les deux premières opérations et celui de "dachy" se rapportait aux présents qu'il fallait donner.
Sous l'ancien régime, les navigateurs-marchands étrangers avaient peu à peu réussi à établir avec les chefs indigènes, des conventions relativement stables, moyennant l'acquittement de commissions généralement assez élevées.
D'habitude, les souverains africains répugnaient à assumer directement les échanges. Entre les rois et les capitaines-marchands s'interposaient un grand nombre de courtiers, aventuriers, rabatteurs, interprètes, noirs, blancs ou mulâtres. Parmi ces derniers, il y avait des hommes d'origine européenne qui avaient choisi de mener une existence marginale en Afrique, évoluant tant bien que mal entre deux civilisations totalement différentes. Ces "traitants" professionnels offraient leurs services aussi bien aux rois africains qu'aux acheteurs venus d'Europe. Dans les relations de voyage, on donne de ces hommes une image peu flatteuse. Avides, rusés, voleurs, menteurs, parlant tous petit-nègre ou "sabir", ils étaient pourtant indispensables dans toute transaction. Lorsqu'ils étaient d'origine européenne, ils s'exprimaient tant dans leur langue nationale que dans une ou plusieurs langues étrangères et africaines.
Dans le journal de bord anonyme écrit par un officier de "l'Affriquain" en 1738, nous lisons à propos de l'achat de vingt-trois esclaves fait aux îles Bananes:

...nous (les) avons eus de trois blancs et d'un mulâtre auxquels je pris les noms... excepté un qui ne s'est point nommé devant moi. Le premier se nomme M. Noty, auquel il est une manière de commis, aussi blanc et anglais. Et le deuxième s'appelle M. Allaire qui parle fort bon français comme les Français même. Et le mulâtre se nomme Karhé qui est un homme qui soutient ces trois Anglais sur ces dites îles pour leur commerce et c'est lui qui est le maître de ces dits endroits23.

Parmi les " traitants " indigènes, il y en avait beaucoup qui avait séjourné au Portugal, en France ou en Angleterre. Leur connaissance des langues européennes les rendait précieux dans les relations avec les souverains qui ignoraient celle de leurs clients.
En donnant son avis sur la manière la plus avantageuse pour réussir à construire un fort dans le territoire du roi d'Ardres, Labarthe recommanda ceci:

Mais pour avoir la faculté de construire un fort, il faut disposer favorablement les nègres pour nous, ce qui ne peut avoir lieu qu'en donnant des présents.
Dans la distribution de ces présents, on n'oubliera pas surtout Pierre qui a toute la confiance du roi d'Ardres; ce Pierre est un nègre qui a été élevé à Nantes et qui sait passablement lire et écrire.
A cette occasion, je dois dire que l'usage où l'on est de recevoir dans un collège quelques uns de ces nègres, est impolitique: quand ils reviennent sur le sol africain, ils sont considérés par leurs compatriotes, ils deviennent ordinairement les ministres et les confidents des rois de leur pays et il ne faut pas croire que nous ménagions par là des amis utiles: ce sont au contraire des ennemis très dangereux que nous avons armés contre nous, en les éclairant sur leurs intérêts et sur les nôtres qui ne sont pas les mêmes: ils sont accoutumés d'ailleurs à mettre à nos denrées un prix bien au-dessous de celui qu'elles ont à la côte, aussi toutes les difficultés que nous éprouvons à faire la traite, viennent toujours d'eux.
(L., p. 164-165)

Le navigateur anglais G. Snelgrave définit ainsi le rôle des interprètes: " ...Ces interprètes sont des gens libres et naturels du pays, que nous louons par rapport à ce qu'ils parlent bon anglais, pour nous en servir pendant tout le temps que nous restons à la Côte à faire la traite. Ils font office de courtiers, entre nous et les marchands ou négociants noirs24".
Si le rôle d'intermédiaire avait sans doute permis à beaucoup de courtiers de faire facilement fortune, la charge d'interprète du roi n'était pas exempte de dangers bien connus par ceux qui l'exerçaient. En 1670, le sieur d'Elbée fut envoyé par la Compagnie des Indes à la Côte des Esclaves, chargé d'une mission spéciale visant à obtenir des souverains indigènes des privilèges supérieurs à ceux des Portugais, des Anglais et des Hollandais. Il était accompagné par le sieur du Bourg qui devait être préposé au commandement d'un fort à établir dans le territoire du royaume d'Andres. Deux épisodes de l'audience donnée par le roi d'Ardres aux officiers français nous sont ainsi relatés:

D'Elbée fut un moment sans rien dire, pour lui marquer plus de respect, il lui fit son compliment en portugais, que le prince fit expliquer par grandeur; car il entendoit et parloit parfaitement la langue portugaise. Il se servit aussi du même interprète pour dire au sieur d'Elbée qu'il étoit bien aise de son arrivée, qu'il le favoriseroit de tout son pouvoir auprès du Roi son père, et qu'il le remercioit des offres qu'il lui faisoit.

(M., II, p. 236-237)

Le 27 du même mois, le sieur du Bourg eut audience du Roi. Il parut comme Ambassadeur, et en cette qualité, il fut introduit par le Prince, le grand Marabou et les deux Capitaines du commerce et de la cavalerie. Le Roi le fit asseoir sur un lit de coton qui étoit à côté du fauteuil sur lequel il était assis. Il fit son compliment en portugais. Quoique le Roi parlât et entendît en perfection cette langue, il se fit tout expliquer par ses deux interprètes, Matteo et Francisco qui étoient à genoux à ses pieds. La charge d'interprète du roi est considérable; mais il faut que ceux qui l'exercent prennent bien garde à ne pas dire une chose pour une autre, la moindre méprise ou le plus petit mensonge leur coûteroit la tête sur le champ et leurs femmes et enfants deviendroient esclaves du Roi.

(M., II, p. 243)

En ce qui concerne le bilinguisme, le roi d'Ardres ne constituait pas une exception. Comme nous le verrons, les indigènes démontrèrent très tôt une remarquable aptitude à l'assimilation des langues d'Europe, notamment le français et le portugais employés en tant que langues d'approche et d'échange dès le XVe siècle.


IV. LES CONTACTS LINGUISTIQUES

Au début de l'établissement de la traite négrière, il dut être évidemment très difficile de réaliser des contacts directs entre les capitaines européens et les indigènes, à cause des barrières linguistiques quasiment infranchissables. A ce stade, l'affectivité et les gestes jouèrent sans doute un rôle primordial, parvenant parfois à suppléer l'impossibilité d'établir un dialogue. En parlant des moeurs des peuples de la Côte d'Or, le P. Labat relate:

Après l'accouchement, les femmes... vont se laver à la mer ou à la rivière avec leur enfant... Au retour, le père et la mère donnent un nom à leur enfant; s'ils ont reçu quelque bienfait d'un blanc, ils lui font porter son nom.

(M., I, p. 282)

A propos de l'impossibilité de communiquer avec les indigènes de la Côte de Maniguette, il ajoute:

Leur langue est, à ce qu'on prétend, la plus difficile de toute l'Afrique. Il n'y auroit pas de grand inconvénient pour les Européens qui y vont traiter, si on trouvoit des interprètes, mais ils sont très rares. A leur défaut, on a recours aux signes; et la nécessité qui est mère de l'invention y a tellement pourvu qu'il n'y a guère de gens au monde qui se rendent plus intelligibles de cette façon.

(M., I, p. 149)

Le même problème pouvait surgir aussi dans les échanges entre Européens originaires de pays différents. M. De Flotte, lors de son voyage de reconnaissance de la rivière Saint-André, consigna sur son journal:

Le 12 janvier 1787... j'ai mouillé vis-à-vis de la rivière Saint-André... il y avait dans ce mouillage un bâtiment hollandais et une goélette anglaise.
Le 13 janvier, j'ai envoyé un officier vers le capitaine hollandais, pour prendre des éclaircissements sur les naturels du pays, et voulant m'en informer plus particulièrement, je l'ai fait inviter à diner. Il parle fort bien anglais, et nous, nous le parlons fort mal, ce qui n'a pas peu contribué à la difficulté de nous entendre.

(L., p. 220)

Cependant, dans le cadre de ces notes, nous abandonnerons toute autre considération relevant de la communication indirecte ou gestuelle, ainsi que les observations qui se rapportent aux relations linguistiques entre les Européens présents en Afrique. Notre propos est celui de mettre en évidence quelles étaient les langues d'Europe connues ou parlées le long de la Côte de Guinée au XVIIIe siècle et leur respective importance.
Nous connaissons l'existence d'un vocabulaire "françois-guinéen", demeuré manuscrit, qui remonte à 154425. A la fin du XVIe siècle, le Portugais Alvarez d'Almada écrivait que beaucoup de nègres parlaient bien le français et il y en avait parmi eux qui avaient même séjourné en France.
L'empreinte de la langue française fut particulièrement profonde au Sénégal et dans les territoires correspondants à la Côte des Graines, où le souvenir laissé par les marins et marchands normands demeurait encore excellent au XVIIIe siècle. En 1666, le Sieur de Bellefons, contrôleur sur un vaisseau de la Compagnie, se trouvait au Sénégal; le père Labat, qui avait lu la relation de son voyage, nous dit ceci:

Sieur Villant de Bellefons... rapporte que ces peuples lui firent mille caresses, qu'ils l'invitèrent à venir s'établir chez eux, qu'ils lui montrèrent les masures des maisons de la Compagnie de Dieppe; il vit qu'ils parloient encore françois, qu'ils battoient le tambour à la française et que le Roy même lui dit plusieurs fois que lui et tout son peuple souhaitoit avec passion les voir établir dans le pays. Je connais les François, lui dit ce Prince, ils sont vifs à la vérité, et souvent un peu trop, mais ils sont honnêtes gens, de bonne foy, bons amis, on s'y peut fier: c'est ce qui fait que nous les aimons, et que nous les préférons à tous les autres blancs.

(M., I, p. 62-63)

D'après G. Hanotaux, le capitaine de vaisseau anglais Georges Fenner, reconnut qu'en 1556, ses compatriotes étaient obligés d'employer la langue française pour converser avec les indigènes du Cap Vert, dont un certain nombre l'entendait et la parlait convenablement. Dans ces mêmes circonstances, les navigateurs anglais avaient recours aux capitaines français pour trancher leurs différends avec les naturels de la Sénégambie. Hanotaux nous fait savoir aussi qu'en 1635, le Père Alexis, capucin de Saint Lô, était parti de Dieppe et s'était rendu à Roufisque où il avait fondé la première mission française. Il constata que la population de Rufisque parlait une sorte de jargon français assez intelligible et qu'elle proférait en notre langue des grossièretés et des jurons: c'est la preuve de l'ancienneté de nos rapports avec les indigènes de cette région. Le français a été parlé à la baie de France, à l'embouchure de la rivière "Sierralionne", qui séparait les concessions des Compagnies de Sénégal et de Guinée, avant qu'elles fussent réunies dans une seule grande Compagnie des Indes.
Le père Labat dit:

Les Nègres qui habitent les environs de cette baye et bien avant dans les terres, ont conservé pour les François une affection toute particulière. Ils ont appris de leurs ancêtres, les biens qu'ils ont reçus de nos anciens négociants, ils en ont encore aujourd'hui la mémoire toute fraîche, et ne souhaitent rien avec plus de passion que de nous voir reprendre nos anciens établissements. Les vaisseaux français qui y abordent l'expérimentent tous les jours. Ces peuples ne manquent jamais de leur demander s'ils viennent pour s'y établir parmi eux, et quand on leur fait espérer qu'on y viendra, ils disent: bon bon, le pays est à vous, venez, nous sommes amis.
Il ne faut pas s'étonner que je les fasse parler François, ils ont conservé de père en fils la langue françoise, et se font un devoir de l'enseigner à leurs enfants.

(M., I, p. 48)

Le P. Labat nous relate une curieuse anecdote. Lorsque en 1669, le roi de France envoya des trafiquants dans la région du cap de Monte, ceux-ci furent reçus par le suvrain indigène qui " parlait fort bien portugais, il étoit au fait du commerce et le faisoit avec grandeur. Ses enfants, et particulièrement les filles sçavoient la langue françoise et se faisoient honneur de la parler et témoignoient n'aimer que les François". "Le Commandant François ayant joint le Roy, et l'ayant salué et complimenté, le Prince lui donna la main, et sans attendre que l'interprète lui expliquât le discours, il lui répondit en françois d'une manière noble et polie . (M., I, p. 84-85).
Labarthe confirme la sympathie que les peuples de la Côte témoignaient aux Français. En parlant du cap Mesurado, il dit:

Un ancien directeur de nos comptoirs d'Afrique m'a assuré qu'ayant abordé au cap Mesurado, il y avait rencontré des nègres qui entendaient notre langue, et que la nation française y était désirée.

(L., p. 42)

Au sujet de ces populations de la Côte de Maniguette, le P. Labat avait observé:

Ils ont conservé, de père en fils, la plupart des termes françois dont on peut avoir besoin dans le commerce ordinaire qu'on fait avec eux.

(M., I., p. 149)

La connaissance de la langue française s'estompait progressivement au fur et à mesure qu'on progressait de la "Côte des Mals-Gens" au royaume de Juda. Dans le territoire qui correspond à l'actuelle Côte d'Ivoire, on connaissait peu le français.
A l'occasion de l'arrivée d'un navire chargé de marchandises, les interprètes indigènes parvenaient à mener à bien les transactions, en utilisant les connaissances rudimentaires qu'ils possédaient de plusieurs langues, qu'ils n'hésitaient pas à mélanger dans le but de se faire comprendre "plus clairement". Labarthe raconte à ce propos:

La rivière Saint-André (Sassandra) était un des points que M. Bonaventure devait visiter: cet officier fit des questions aux nègres qui étaient venus à bord. L'un d'eux, Courtier, nous apprit que son roi était tout jeune; on avait de la peine à comprendre ce nègre, il commençait son récit en français, le poursuivait en portugais, et le finissait en anglais; il répondait assez intelligiblement lorsqu'on lui demandait des poules et quelques autres objets de subsistance.

(L., p. 46)

Les farouches habitants de la "Côte de Mals-Gens" estimaient que les Français étaient dignes de confiance et savaient reconnaître leur langue.
A l'arrivée d'un navire étranger, raconte le P. Labat, "tous (les indigènes de la côte) viennent reconnoître les vaisseaux à la portée de la voix, en font plusieurs fois le tour, examinent la figure du vaisseau, des habits des matelots qui sont dessus, leur parlent, et quand ils les entendent parler françois qu'ils distinguent fort bien des autres langues, ils y entrent sans façon et disent qu'ils s'y croyent autant en sûreté que chez eux." (M., I, p. 162).
A Cap Laho, Labarthe avait rencontré un personnage peu commun, très adroit et rusé dont le comportement lui avait laissé une forte impression. Il répondait au nom de Coffy et il était le premier ministre du roi de cette région; à l'occasion des transactions importantes, il assurait également la fonction d'interprète. "Coffy", dit Labarthe, "prononce quelques mots français et l'entend un peu" (L., p. 226).

Bien que Labarthe nous affirme que les "nègres de Chama sont habitués à traiter avec les Français; ils parlaient un peu notre langue" (L., p. 62), à partir du Cap Apollonia et jusqu'au Cap Lopez Gonzalvez, la présence de la langue française s'estompe progressivement jusqu'à disparaître. Sur ces territoires, les transactions se déroulaient en anglais, en danois et le plus souvent en portugais.
En parlant de la nègrerie ou bourgade de Gragi, proche de Popo et en évoquant un notable indigène très respecté, Isart dit:

Après le roi, le nègre le plus distingué ici est Lathe, c'est le plus riche de toute la contrée. Avec cela, il demeure, contre la coutume des riches nègres, un négociant très appliqué et continue de faire des entreprises très considérables. Il entend trois langues européennes, l'anglais, le portugais et le danois, et pour faire ses affaires avec d'autant plus d'exactitude, il a aujourd'hui un fils en Angleterre et un autre en Portugal qui apprennent à lire, à écrire et à chiffrer, connoissance qu'il n'a pas pu se procurer à lui-même.

(I., p. 120)

En parlant de Fida (ou Juda), il ajoute:

Fida est présentement une nègrerie très considérable qui peut bien avoir un mille et demi de circuit, si l'on compte les espaces refermés dans la ville, plantés de maïs. Chaque Nation Européenne qui y a un fort, a aussi sa nègrerie à l'entour: de là vient aussi qu'une nègrerie est composée de plusieurs villes. Il n'est point extraordinaire en passant par la ville, d'être salué dans le même instant en plusieurs langues différentes; chaque nègre de la ville en sachant du moins assez pour pouvoir saluer dans la langue du fort dont il dépend.

(I., p. 140-141)

Le gouverneur actuel (de Fida) est un homme des plus entendus que j'aie jamais connu parmi les nègres. Il parle les trois langues européennes connues ici. Mais il seroit contre le décorum qu'il communiquât seul avec les Européens; c'est pourquoi il se sert toujours d'un interprète. J'ai eu cependant plusieurs fois occasion de voir de preuves surprenantes de sa facilité à s'exprimer en anglais, lorsque ses interprètes, après leur avoir exposé en langue nègre, ce qu'il avoit à dire, le rapportoient mal.

(I., p. 144-145)

Pour des raisons historiques et commerciales évoquées en parlant de la découverte du littoral africain, la langue portugaise jouissait d'une incontestable prédominance non seulement dans l'actuel golfe du Bénin mais aussi tout au long de la côte de Guinée. Le sieur Villant des Bellefons, dans sa Relation des côtes d'Afrique (Paris, 1669), observa en 1667 que, du Sénégal jusqu'en Guinée, les indigènes qui ne savaient ni lire ni écrire, parlaient tous la langue portugaise et qu'à Sierra Leone, il y avait un Portugais qui s'occupait des affaires du roi lorsque les natifs venaient à bord proposant leurs marchandises.

En parlant du royaume d'Ardres, le P. Labat dit:

Les peuples ne savent ni lire ni écrire... Mais les grands savent tous la langue portugaise, la lisent et l'écrivent bien.

(M., II, p. 259)

En faisant une allusion à l'interprète du roi, Matteo Lopez, l'auteur ajoute:

 

On voit par les noms de l'Ambassadeur, qui sont portugais, le crédit que ces peuples avoient eu dans le royaume d'Ardres, où ils avoient introduit leur langue, leurs coutumes et où il y a apparence qu'ils avoient fait fleurir la religion chrétienne.

(M., II, p. 271-272)

Lorsqu'en 1670, le Sieur d'Elbée rendit visite au roi d'Ardres, au cours de la cérémonie de la réception, il fut interpellé en portugais:

Après qu'il eut avancé de quelques pas, un officier lui dit en portugais de demeurer où il étoit, il obéit et tout le peuple... se retira par respect...

(M., II, p. 235)

En décrivant une ville de ce royaume, le P. Labat écrivit:

Ce petit village appelé Praya a un gouverneur ou Fidalque, c'est à dire un noble ou un gentilhomme que le roi d'Ardres y établit pour administrer la justice et faire exécuter ses ordres. Le nom de Fidalque ou Fidalgo est portugais, marque que les Portugais ont eu des établissements dans cet Etat, comme ils sont encore dans les royaumes de Bénin, d'Angola et de Congo... La langue portugaise corrompue s'y est conservé jusqu'à présent et produit un jargon ou langue franque que presque tout le peuple entend et parle, de sorte que ceux qui sçavent le portugais n'ont pas besoin d'interprète dans cet Etat.

(M., II, p. 229-230)

La domination portugaise sur l'Afrique s'est marquée longtemps dans la langue des navigateurs et des marchands. Les tractations interminables autour d'un sac de poivre ou d'un esclave se nomment "palabra"; les droits de traite s'appellent " costume ", les dieux des Noirs se dénomment "feitiços", le chef de village est indiqué avec le terme "cabechère" ou " cabessère ". Le mot nègre vient de "negro". Isert remarqua que "adieu, a hura" viennent "sans doute du salut des Portugais, a Dio". (I., p. 15); il fit la même observation à propos du mot "tabac", " usité dans toutes les langues des Nègres, seulement l'accent varie, ils prononcent "taba". (I., p. 209).
Nous pourrions multiplier ce genre d'exemples, mais cela risquerait de peser fastidieusement et de dépasser le cadre de ces notes. Nous nous limitons donc à relever l'importance de l'héritage lexical laissé par les découvreurs, marchands, marins et plus tard, colons européens, perceptible encore de nos jours, dans les langues indigènes et dans la toponymie de l'Afrique de l'Ouest.

V. LES EUROPEENS ET LES LANGUES AFRICAINES

Dès le XVIème siècle, les missionnaires européens se dédièrent à l'élaboration de grammaires et de dictionnaires pour la didactique des langues africaines. Outre le manuscrit du lexique français-guinéen déjà cité, nous avons connaissance, au siècle suivant, du traité sur la doctrine chrétienne, écrit par le P. Jorge, édité à Lisbonne en 1624, avec la traduction en dialecte congolais26. En 1650, le capucin italien Giacinto Busciotto de Vetrella, écrivit un vocabulaire congolais- portugais-latin et, neuf années plus tard, il édita à Rome une grammaire de la même langue27. En 1651, un missionnaire flamand, le P. George de Gheele, élabora un important dictionnaire en "kikongo", dont le manuscrit fut la source de celui publié en 1928, à Louvain, par les PP. Van Wing et Penders28. La première description française d'une langue bantoue se trouve insérée dans le traité du P. Proyart, intitulé Histoire de Loango, publié à Paris en 1776.
Au XVIIème siècle, les récits des voyageurs européens comportent de nombreux exemples de vocabulaires bilingues, de langues occidentales et africaines.
Lorsque le R. Père Labat dans la préface du Voyage du Chevalier des Marchais en Guinée, isles voisines et Cayenne, nous fait partager son admiration pour le protagoniste de ce périple, il dit de lui qu'il était "grand homme de mer, qui dans les voyages qu'il a faits en Afrique, en Amérique et dans bien d'autres lieux, s'est acquis de vastes connoissances de tous les Pais... homme curieux, habile, entendu, bon dessinateur, bon géomètre, bon pilote, excellent capitaine. La connoissance et la facilité de parler la plus grande partie des langues différentes, qui sont en grand nombre dans ces différents Etats, lui a fait faire des découvertes, auxquelles ceux qui ont toujours besoin d'un interprète, ne peuvent jamais arriver, car on ne sauroit s'imaginer combien il est utile et même nécessaire de savoir la langue de ceux avec qui on traite, combien elle donne de facilité pour le commerce, combien elle découvre de choses, combien elle abrège les affaires". (M., Préface, f. II-IV).
Au XVIIe siècle, les connaissances linguistiques du Chevalier des Marchais étaient une exception. En général, les voyageurs européens rarement s'intéressèrent aux langues africaines car elles représentaient un obstacle réellement infranchissable. Lorsqu'ils le firent, leurs observations semblent avoir été inspirés par la même curiosité qui les incitait à décrire les paysages, les animaux, les plantes, les moeurs des peuples africains. Les comparaisons avec les langues européennes étant pour eux impossibles - ils étaient des voyageurs et non des linguistes - ils essayèrent de consigner dans leur journal des réflexions inspirées par les divergences ou affinités existantes entre différents parlers indigènes en usage dans des territoires généralement assez proches. Ainsi, par exemple, à propos de la langue parlée à Ningo, près du fort danois de Fridensbourg sur la Côte d'Or, Isert observe:

La langue des Ningous a déjà quelque différence de celle des Ackréens. Ils se nomment Adampes et leur langue l'adampique: cette langue adampique est un mélange de celle des Assianthéens, Krépéens et Ackréens.

(I., p. 23)

"Les Nègres de la rivière", c'est-à-dire les indigènes qui habitaient sur les îles du fleuve Volta et sur ses rives, parlaient la même langue que les Krépéens.

(I., p. 27)


Parmi les observations de Isert, nous en avons retenu deux qui se réfèrent respectivement aux expressions idiomatiques et à la langue des " Nègres de Montagne " ou indigènes de l'intérieur du pays:

Les Nègres possèdent une philosophie pratique, qui consiste dans un sens droit. Dans leur discours, ils se servent de comparaisons très expressives. Pour dire par exemple, cela me fait de la peine, j'en ai bien du chagrin, ils vous diront cela me brûle dans l'estomac. Il y a dans leur langage une grande variété de ces sortes d'expressions.

(I., p. 217)

Les moeurs des habitants d'Aquapim, ou des Nègres de la Montagne, sont un peu différentes de celles des Nègres de la côte. Leur langage est tout à fait différent de celui des Ackréens, de telle façon que lorsque l'un n'a pas appris la langue de l'autre, ils ne s'entendent pas du tout. Elle a beaucoup d'affinité avec celle des Assianthéens et ne diffère guère que dans le dialecte.

(I., p. 259)

Les auteurs auxquels nous nous référons, ont inséré dans leurs relations de voyage, un certain nombre de mots indigènes qu'ils avaient sans doute l'habitude d'entendre et qu'eux mêmes avaient vraisemblablement employés. Ces termes, qui correspondent à des entités nouvelles, ont du sembler bien plus bien plus précis qu'une éventuelle traduction maladroite ou inexacte. Nous réunirons en appendice l'ensemble de ces mots.
Le R.P. Labat, Isert et Labarthe ont jugé opportun d'inclure dans leurs récits de voyages, des petits dictionnaires bilingues ou plurilingues, qui réunissent des termes et des locutions se rapportant aux langues africaines de la Côte des Esclaves et de la Côte de Juda. Nous les reproduirons à la fin de ce chapitre.
Nous avouons tout ignorer des langues africaines qui figurent dans ces modestes lexiques. Nous nous bornerons à observer que les langues répertoriées sont celles parlées dans les territoires où la traite et les échanges commerciaux étaient les plus actifs car c'était à la Côte d'Or et à Juda qu'on achetait les meilleures "pièces d'Inde".

Il est évident que la conception de ces répertoires répondait à un but essentiellement pratique. Le P. Labat présenta ainsi la "Grammaire abrégée": "Entretien en langue françoise et celle des Nègres de Juda, très utile à ceux qui font le commerce des Noirs dans ce royaume et pour les Chirurgiens des Vaisseaux, pour interroger les Noirs lorsqu'ils sont malades. Ce qui peut servir pour composer un petit Dictionnaire". (M., IV, p. 281).
Labarthe fit précéder son lexique français-fantin par l'observation suivante:

Les langues étant un moyen de communication, on a pensé que le petit vocabulaire suivant pourrait être de quelqu'utilité aux capitaines qui vont traiter à Amokou.

(L., p. 89)

Seulement Isert, tout en ayant réuni des mots puisés dans le lexique quotidien le plus élémentaire, montra une curiosité plus grande à l'égard des langues africaines qu'il eut la possibilité de considérer:

Les langues des Nègres sont entièrement différentes de toute langue européenne, soit dans l'idiome, soit dans l'expression. Elles sont en grand nombre, je suis persuadé qu'il y en a plus de trente très distinctes, sans compter les variétés innombrables qu'il y a dans chacune. Toutes ont ceci de commun avec toutes les langues des Nations sauvages, qui ne se forment et ne s'apprennent que par une tradition orale, c'est qu'elles sont très pauvres en expressions, et que les mots se terminent communément par une voyelle. Je m'en vais, par exemple, donner quelques mots des plus en usage, dans les trois langues des Nations parmi lesquelles nous conversons; le pays dans lequel on les parle ne s'étend pas à plus de vingt mille à la ronde et cependant, il y a autant de différences entr'elles, qu'entre l'Allemand et le Français et le Nègre qui ne les entend pas toutes les trois, sont obligés de se servir d'un interprète.

(I., p. 180-181)

La finalité de ces notes consiste à présenter dans leur contexte historique et géographique, les trois petits lexiques que nous allons reproduire intégralement.
Nous espérons que les spécialistes des langues de l'Afrique de l'Ouest y trouveront matière pour entreprendre de plus fructueuses recherches et réflexions sur cet aspect peu connu des relations linguistiques entre l'Europe et l'Afrique au XVIIIe siècle.

VI. APPENDICE29

1. 1731 R.PERE LABAT

GRAMMAIRE ABREGEE ou Entretien en Langue Française et celle des Nègres de Juda, très utile à ceux qui font le commerce des Noirs dans ce royaume et pour les Chirurgiens des Vaisseaux, pour interroger les Noirs lorsqu'ils sont malades. Ce qui peut servir pour composer un petit Dictionnaire

Bonjour mon ami Afou mihottou
Travaille pour avoir des Noirs, tu seras content de moi Ouazou anomolè dèmé
Je veux partir bientôt, dépêche Diguè nay elagou
J'ay de belles marchandises Acbandasiè
Mais je ne veux que de bons nègres Diguè nadoco cossou
Je voudrais bien parler au roy Diguèmeraquebo
Ce nègre est trop cher Memiton vè
Combien en veux-tu? Nemo aquiro?
C'est trop Abiasou sou
Je ne te demanderai que des salempouris Nana a la jou
Deux barils de poudre Soutou Baoüé
Quinze fusils Sou affoton
Trente barres de fer Pratique Ban
Huit pièces de chitte Crequon qui a ton
Huit pièces guinées Jer
Quinze grosses de pipes O foti grosses foton
Douze pièces japsel Auo ouya ouè
Douze pièces nicanez Què ouya ouè
Douze pièces caffas Jer
Dix-huit cabesches de bouges Aquouè Duba foton quanton
Douze pièces de mouchoirs Dou cou üon ouya oué
Trente pièces de platilles Lecoh ecban
Ma foy, tu es trop cher Soguent avé aki
Ce Nègre là est malade Meto eguiazou
Fais-moi venir un hamac Diavonepo d'oeponam
Je veux aller à ma tente Diguè najonou outa
Les porteurs m'ont volé Bacetou yé fimi
Les canotiers me volent Houcouton so fimi
Apporte-moi de l'eau Sofi ou anam
Je voudrois un boeuf Cuiguirom
Fais-moi venir des cabris Hièbacbo anam
Fais-moi venir des poules Bacoullou anam
Combien cela? Nemo nai non ta oüè nou?
Allons à la chasse Amiouè
Prends mon fusil Ysoquiè
Ferme la porte Sou ou
Mets ce nègre dehors Nia méné d'ouananga
Ouvre la porte Ou-on
Fais entrer Irè ou a
Mets la table Tetave
Apporte de l'eau-de-vie I jo vo an
Du pain Coumant
Un couteau Guivi
Bois mon ali Nou a an ontoquié
A ta santé Nou an doüè
Fais diligence Elayvon
Reviens vite Yaoua
Cours après lui Di ourzon odé
Quel est cet homme? Mênoua
Quelle est cette femme? Nignone te ou
Que demandes-tu? Cuou abio?
Laisse-moi en repos Bonamanayi
Je n'en ai pas Ematy
Va t'en à ma tente Hi otan
Ce nègre ne peut marcher Mé ma zizou
Il a mal au pied Guaasou d'affo
A l'oeil Nonguoumé
Au bras Aouf
Il a les pians Gui eboudou
Il est vieux Connion ho
Je n'en veux point Migbé
Où est mon courtier? Meditan guè
Va le quérir Ircoua
Conduis mes Nègres à la tente Colemei oueta
Qu'on ne les batte point Mané meré couy
Je n'en ai point Matédon
Viens ici Oua
M'entends-tu? Ossé?
Adieu, mon ami Doèbé minouuè Nay
A demain Tedozan naycou
Paye ces porteurs Souaco Bacto
Donne-leur un coup d'eau-de-vie Na a neu nou
Viens diner avec moi Oua dou nou ant
Je suis malade Et quiezou
Prends garde à tout Penoukbi

 

Manière de compter

Un Quatre centsDè
Deux Aoüè
Trois Otton
Quatre Cnè
Cinq Atton
Six Troupo
Sept Keoüè
Huit Qui a ton
Neuf Kenè
Dix Ao
Once Ouroepo
Douce Oyaoè
Treize Oyaton
Quatorze Oyènè
Quinze Fotou
Seize Foton-croupo
Dix-sept Foton-conoüè
Dix-huit Foton-couton
Dix-neuf Foton-koüenè
Vingt Co
Vingt et un Co kou nouepo
Vingt-deux Co conoüè
Vingt-trois Coquanton
Vingt-quatre Co kouené
Vingt-cinq Kouaton
Vingt-six Kouaton connokpo
Vingt-sept Kouaton conoüé
Vingt-huit Kouaton contou
Vingt-neuf Kouaton coüené
Trente Keban
Quarante Kaulé
Cinquante Kanleaton
Soixante Kanlaou
Septante Kanlecba
Quatre-vingt Kanoué
Quatre vingt-dix Kanoué ou
Cent Kanocco
Deux cents Katon
Ttrois cents Kenico
Quatre cents Folé
Cinq cents Folé kanouko
Six cents Faové
Sept cents Faové kanouko
Huit cents Fené
Neuf cents Fené kanouco
Mille Fooüé
Porte cela chez... Jeney méné koué
Dis-lui qu'il vienne Guienini ona
On m'a volé un Nègre Efime doepodo
Un Nègre s'est sauvé Meroposi
Adieu, je veux partir Doeboé oé nay
Es-tu content? Adé daebo d'oquis?

 

Pour les chirurgiens

Où as-tu mal mon ami? Funa guiazon doguis?
As-tu mal à la tête? Aguiazon dota?
A l'estomac? Guiazon dàcomé?
Au ventre? Comé?
Prends courage, cela ne fera rien Emoyi doutamé
Prends cela Yiné
Dors-tu bien? Damlo monon?
As-tu mal à la gorge? Guiàçon déuéme?
Mange cela Yinouidou
Bois ceci Jifinou
Qu'on ne fasse point de bruit là-bas Emaqué gueittou lé
As-tu mangé? Noussou coné?
En veux-tu encore? Soquiroquis?
Veux-tu de l'eau de vie? A guiro a an?
De l'huile de palme? A guiro amy?
Des pois? Aziui?
Du pain? Coman?
Du bouillon? Lansiou?
Ne te chagrine point Boquouiquoué sa
Qu'on laisse en repos cet homme Boueméné nan
Ayez soin de cet homme Fliméné
Va quérir de l'eau HH'yi d'asioüé
Va quérir du bois H'yi ba nagué oüé
Donne-moi mon épée H'yi guigué
La voilà H'enié
Donne mon chapeau Sonito nam
Donne mon habit Aoüebo
Combien cette pagne? Nemo anas aouvonton?
Où est mon garçon? Flevi pe quié nam?
L'as-tu vu? A moncan?
Ouy En moy
Non Mamoy
Range-toi Saij
Sors d'ici Sonj
Je n'en veux point Miebé
Ouvre mon coffre Ou apotiqué
Donne mes bas H'y i a fogodénam
Apporte mes souliers Faua focpa ouanam
Apporte ma canne H'y a poquie anam
Ton or n'est pas bon Hiato emagnion
Retirons-nous Mi oua mihy
On nous écoute H'yno dato my
Apporte (sic) le caffé H'yi caffé ou anam
Le thé Thé
Apporte des oeufs H'yi coclosi oué
Une dinde H'y obo cogulou
Un cochon de lait Henny
Des bananes Auuetanto
Des figues Malico quoué
Des oranges Hyeuoisin
Des citrons Hyovoisin clou
Des patates Docquouy
Gros mil Bado
Du petit mil Licon
De l'huile de palme Amy
Donne-moi ce verre S'y i glace
Une cuillère Aquiui
Une fourchette Lanceu
Du sel Gué
Du poivre Elincon
Apporte des huîtres H'y ia d'ayuoué
Je veux manger Nadoü
J'ai appétit Ouue kimi
J'irai dîner chez toi Ma y doü nou coé tobé
Ce Nègre est fol Et d'alé
Il est estropié Eguiazou
Il est trop petit Ed'eepéui
Porte cette lettre So oueney
Rapporte la réponse Nai nesso oüé naoüé naoua
Que crains-tu? Enouassignis?
Les Blancs ne mangent point les hommes Hiobo admadou mela
Mange vite Dou elaquou
Voilà de la pluie Guicongui
Il tonne Sonogué
Il fait chaud Logui
Il vente fort Aué viuo tin sou sou
Bonsoir Affon
Je veux me coucher Nayi molahi
J'ai mal à la tête Ta dou mi
La gorge Euémé benam
Les bras Aou ua
Le corps Outou
Les cuisses Affo
Les pieds Affo
Les mains Alo
Le front Loucouta
Les yeux Noucou
Les sourcils Ou daman
Le nez A onty
La bouche Noüe
Les oreilles Otto
Les ongles Effin
Aujourd'hui Ecbé
Demain So
Après demain On so mou
Hier Ayé so
Jour Ayi ou
Nuit Zado
Allons à la pêche Aoua mihou hoüé
Apporte du bois H'y i bana qué oué
Donne-moi ma gibecière E ounoü
Range cela Sé non né do
Ouvre ma cave Ouhon ahan couti
Tire un flacon Dé ago douépo
Apporte cette bouteille Idem
Donne du sucre H'i i qué
Donne des serviettes De serviette oüa
Va quérir un mouchoir Hj i doeou d'opo
Tu oublies tout A houpo
Tu n'as pas de mémoire Ay mat ine naoüé
Allons voir danser Oua nei pout oué
Boeuf Eni
Cheval So
Mouton Kbo
Cabri Kbo boé
Cochon Han
Canard Pakpa
Oie Jden
Poule Coquelou

(M., IV, p. 281-293)

 

2. 1793: PAUL ERDMAN ISERT

Français Ackréen Assianthéen Krépéen
La tête Jthu Otri Ota
L'oeil Hinmé Nannua Onokou
Le nez Gungho Ohnni Amonthi
La bouche Onabu Vanu Onu
L'oreille Toy Uvasso Otuh
Les dents Hgennedy Uisse Adu
Le bras Nindeh Osa Assi
Le doigt Nindehbi ... Allovi
Le ventre Massu Vafnu Dommé
La cuisse Nanne Onan Affoh
Le pain Abullo Abodo Apnhac
L'eau Nuh Inssuo Itchi
Le poisson Loh Agunni Alla
L'oeuf Uvanle Akokokkrissa Koklosi
Le maïs Ablé Abro Blofoé
Le millet Ma Kokoté Lili
La maison Thiun Odanni Hommaé
La cuiller Avalé Atré Gati
La pipe Blé Tabacinni Tamasi
Le couteau Kakla Zikang
Le feu La Egia Dio
Le bois Lai Ingena Na ké
L'Européen Blofunni Obrong Jevuddé
Le Nègre Mudihin Onupatuntun Amaibo
Le fer Dadethié ... Ojah
Le sabre Kranthe ... Ehé
Banane Amadah Abrodeh Ablodin
Manioc Aquaduh ... Karat
Arme Tuh Otruo Otu
Reviens Babiane Brampim Vakaba
D'abord Nenéh Primpim ...
Combien coûte ceci? Onine inghé oheh? Vadde otong nesseng? Imokenenne ofletio?

 

3. 1803: P. LABARTHE

Vocabulaire Fantin

Français Fantin
Ananas Aboubia
Argent Pataque
Attends Ya-fon
As-tu bien mangé? Amy
Beaucoup Cocorocos
Cabris Apanqui
Canards Abroco
Cinq Enou
Citrons Abrama
Coq Cotoco
Couteau Secan
Combien Edé
Deux Ebien
Diable Proté ayen
Donne-moi de l'eau Guevi usou
Donne-moi de l'eau-de-vie Ensam
Donne-moi à manger Guigui
Eau-de-vie ou rhum Sangara
Ecu d'or (un) Météva
Un écu d'or vaut huit tacous Tacou oqué
Deux écus d'or Agraqui
Trois écus d'or Météva abiasam
Etre suprême Yancoupan
Herbes Ofane
Huit Oqué
J'ai encore appétit Ocumadem
Je suis malade Yaré yaré
Ignames Gnam
Il n'en a plus Saccaba
Lard Biferan
Lune Abousoum
Mauvais Hoummo
Mays Ebro
Neuf (nombre) Aquioum
Or Sicca
Oeufs Ocucha
Patates Santhoumé
Peu Cacaraba
Poisson Enam
Poules Aqua
Quatre Anna
Que veux-tu? Guélébé
Quelque chose de bon Oyépapa
Six Essiam
Sept Echou
Soleil Aüa
Tacou Tacou
Un tacou vaut quatre neys Ney anna
Un demi tacou Tacou fan
Témoigner une surprise Obei
Tête Apu
Trois Abiatam
Un Eco
Vaisseau Ship
Va t'en d'ici Go
Viens ici Fama ou bien arouba

(L., p. 89-91)

 

VII. LEXIQUE ISOLE

Substantifs

1. Vie sociale

  • Conagongla: grand officier du royaume à Juda
    (M., II, 163)
  • Baas: maître (I., p. 232)
  • Rossar: nom donné aux autorités indigènes d'Urfu (Christianbourg), (I., p. 248)
  • Yavogan: vice-roi de Juda (L., p. 99)
  • Caldé: lieu de conversation ou " case à palabre " (M., I, p. 108)
  • Attropoé: litt. six bouges (ou caories). Jeu de hasard (Juda), (M., II, 173)
  • Cassares: noces, mariage (I, p. 24)

2. Aliments et boissons

  • Pito: bière des indigènes Quaqua (M., I, p. 186 et p. 187)
  • Flotta ou Cassa: boisson fortifiante à base de maïs (I., p. 123)
  • Mammouc: farine de maïs rôtie (I, p. 30)
  • Kankis ou Dabbe-dabbe ou Koummi: pain africain (I, p. 141 et p. 183)
  • Giga: blé concassé (I, p. 183)
  • Flau-flau: poisson séché, frit et pimenté (I, p. 186)
  • Kot-inkim: crabe farci (I, p. 186)
  • Inkim: ragoût de chèvre ou de mouton (I, p. 186)
  • Foi-foé: pâte de banane cuite et pilée (foutou-banane), (I, p. 262)
  • Arum: Chou-chine (I, p. 263)
  • Bakko: variété de banane (I, p. 263)
  • Cissé: fruit au goût " exquis " (L, p. 158)

3. Végétaux

  • Mapou: arbre dont le bois sert à faire les pirogues (L, p. 159)
  • Faftonier: espèce de mapou (L, p. 159)
  • Quelélé: bois dont les indigènes du Sénégal se servent en guise de cure-dent (M, I, p.80)

4. Animaux

  • Ouegelo: pangolin (M, I, p. 179)
  • Haot: vautour (L, p. 158)
  • Cazou: manicou (L, p. 157)
  • Sinkesn: poisson comestible (I, p. 184)
  • Kender: sorte de hareng (I, p. 203)
  • Guebueu: bécasse de mer (M, I, p. 75)

5. Vêtements

  • Téklé: étoffe cache-sexe (I, p. 162)
  • Mammale: pagne (I, p. 163)

6. Ornements

  • Agrien: collier de corail (I, p. 165)

7. Maladies

  • Gattoo: éruption cutanée purulente (I, p. 118)

8. Divinités - Cultes

  • Marabou: grand prêtre (M, I, p. 110)
  • Beta: prêtresse du dieu Serpent (M, II, p. 151)
  • Daboué: dieu Serpent (L, p. 130)
  • Agoye: dieu des Conseils (Juda), (M, II, p. 129)
  • Eninfan: présage heureux (M, I, p. 310)
  • Abincon: présage funeste (M, I, p. 310)
  • Numbo Kus pantse: Seigneur du ciel et de la terre (I, p. 38)
  • Krang: chien sauvage. Divinité des Ackréens (I, p. 189)

9. Phénomènes naturels

  • Jussan: reflux de la mer (L, p. 180)
  • Travate: ouragan (I, p. 257)

10. Droit

  • Pingaret: saisie de biens (I, p. 199)

11. Commerce

  • Daché: présent (M, I, p. 310)

12. Locutions

  • Faire gribou: chavirer (L, p. 106)
  • Ago: retirez-vous (M, II, p. 78)
  • Nigo bodiname: prends ! (M, II, p. 114)
  • Me cusa: fais-moi bon (prière), (M, I, p. 302)

13. Objets divers

  • Boss: marmite remplie de pièces indigènes; trésor (I, p. 68)
  • Aussi: couris (I, p. 112)
  • Gong-gong: bassine de cuivre (I, p. 71)

10. Pour compter

"Comme aucun Nègre ne sait ce que c'est que d'écrire et de chiffrer, on s'imaginerait qu'il n'y a rien de plus facile à nos commis que de les tromper dans le prix ou dans la marchandise; mais on s'abuserait fort. Les Nègres ne comptent point comme nous par risdallers, mais par cabes, qui est le iki des Nègres, ou deux risdallers. Quatre cabes font un gua, deux gua un guenno, un benda. Lors donc qu'un Nègre veut exprimer cinquante risdallers, il dit benda ke guenno, ké gua ké ihi, ou aussi, quoique plus rarement, vingt-neuf cabes, ihi numa ingho ke néien. Ils ont bien leurs sous-divisions, comme meno, une risdaller, mais ce serait contre l'usage de la langue de dire meno ingho pour exprimer deux risdallers. Un dame est un sol ou schilling; pha est six deniers et tabò un quart de sol, qui vaut vingt pièces de leur monnaie, appelé boss ou "tête de serpent", qui est une sorte de coquille des îles Maldives" (I, p. 111-112).


Notes

1Nous nous référons à ces ouvrages en utilisant les sigles suivants:

A: Voyage aux Côtes de Guinée
M: Voyage du Chevalier des Marchais
I: Voyages en Guinée
L: Voyage à la Côte de Guinée

2 L'expédition de Béthencourt avait pu être réalisée grâce à l'appui reçu par le roi Henri III de Castille. Pour préparer son voyage, le navigateur normand avait certainement pu disposer des documents appartenant au roi d'Espagne.
Voir P.E. Taviani, Cristoforo Colombo, Novara, Istituto Geografico de Agostini, 1982, p. 283.
3 P.M. D'Avezac, "L'Expédition génoise des frères Vivaldi", in Nouvelles annales des voyages, vol. III, Paris, 1859.
4F. Petrarca, De Vita solitaria, Libro II, Sez. VII, cap. III; De Rebus familiaribus, Libro III, Lettera I.
5G. Pistarino, "Discussioni su Lanzarotto Malocello", Bolletino Linguistico XIII, 1961.
6 Voir P.E. Taviani, cit., ch. XII et ch. XIII.

M. Pastore Stocchi, "Il de Canaria boccaccesco", Rinascimento, X, 1959.
G. Padoan, "Petrarca, Boccaccio e la scoperta delle Canarie", Italia medioevale e umanistica, VII, 1964.

7P. Bontier, J. Le Verrier, Histoire de la première descouverte et conqueste des Canaries faite dès l'an 1402 par messire Jean de Béthencourt, Paris, 1630.
C. de la Roncière, Histoire de la découverte de la terre, éd. italienne, Torino, S.A.I.E., 1958, p. 110.
8 G. Po, "La Collaborazione italo-portoghese alle grandi scoperte geografiche e alla cartografia nautica", Relazioni storiche per l'Italia e il Portogallo, Roma, 1940.
9Henri le Navigateur avait chargé son frère, l'infante Dom Pedro, qui s'apprêtait à accomplir un long séjour à l'étranger, de lui rapporter d'Italie des cartes, des portulans et des relations de voyages afin d'amplifier les informations des navigateurs portugais. Parmi les documents réunis par Dom Pedro, outre une copie de Il Milione de Marco Polo et une carte géographique, avec la représentation du Cathai et de Chipango, données par le doge vénitien Francesco Foscari,, il y avait une carte sur laquelle figurait les archipels de Madère et des Açores, avec les noms, en italien, de toutes les îles qui composaient ces territoires. Voir F.J. Freire, Vida do Infante D. Enrique, Lisboa, 1758.
Une carte catalane de 1439 indique que les Açores auraient été découvertes en 1427 par Diego de Séville, navigateur espagnol au service du Portugal. Voir J. Saintoyant, La Colonisation européenne du XVe au XIXe siècles, Paris, M. Daubin, 1947, p. 37.
10Pour cette raison, les îles reçurent pendant longtemps le nom de "Ilhas Flamengas". Voir C. de la Roncière, cit, p.111.
11 Santarem (Visconde de), Recherches sur la priorité de la découverte des pays situés sur la côte d'Afrique au delà de Cap Bojador, Paris, Dondey Dupré, 1842.
M.G. Canale, Indicazioni di opere e documenti sopra i viaggi, le navigazioni e le scoperte degli italiani nel Medio Evo, Lucca, 1861.
12Voir Giornale di brodo del primo viaggio: 28 octobre, 12 novembre, 27 novembre, 21 décembre 1492 et 9 janvier 1493.
13 "Voyage à la côte occidentale de l'Afrique", extrait de la Revue Hispanique, Paris, 1897.
14G. Hanotaux, A, Martineau, Histoire des colonies françaises, Paris, Société de l'Histoire Naturelle et Plon, 1931-1940, t. IV, p. 5.
15G. Ramusio, Terzo volume delle navigazioni e viaggi, Venezia, gli eredi di L.A. Giunti, 1556.
16Chr. Schefer, Le Discours de la navigation de Jean et Raoul Parmentier de Dieppe..., publié par M. Chr. Schefer, Paris, E. Leroux, 1883.
17Gaston-Martin, L'Ere des négriers, Paris, F. Alcan, 1931, p. 74. Voir aussi L., p. 38-200.
18Voir le "Mémoire du Général du Commerce de Nantes adressé à Choiseul", 1762, AD. L-I (Ch. comm), C 881, f. 202-208, cité par Gaston-Martin, cit. p. 75.
19Maurice Delafosse,

Vocabulaires comparatifs de plus de soixante langues ou dialectes parlés à la Côte d'Ivoire et dans les régions limitrophes, Paris, 1904.
Esquisse générale des langues de l'Afrique, Paris, 1914.

20Les PP. Lagae et Van den Plas, La langue des Azandé, Gand,
1922, p. 42, cité par L. Homburger, Les langues négro-africaines, Paris , Payot, 1941, p.61.
21L. Homburger, Les langues négro-africaines, Paris, Payot, 1941, p. 61, cit. p. 271-281.
22F. Eboué, "La clef musicale des langages tambouriné et sifflé", Bulletin du Comité d'Etudes historiques et scientifiques de l'Afrique occidentale française, XVIII, 1935, p. 353.
23Gaston-Martin, Histoire de l'esclavage dans les colonies françaises, Paris, P.U.F., 1948, p. 58.
24W. Snelgrave, b, 1734, cité par I. et J.L. Vissière, La Traite des Noirs au siècle des Lumières, Paris, A.M. Métaillié, 1982, p. 49
25Paris, B.N. Mss. F. R. 24269, ff. 51-55.
26Le P. Jorge, Tratado de doutrina cristâ, Lisbonne, 1624.
27P. Giacinto Busciotto de Vetralla, Regulae quaedam pro difficillimi congensium idiomatis captu ad Grammaticae normam redactae, Rome, 1659. Voir Homburger, cit. p. 285.
28Le P. George de Gheele, Vocabulaire congolais, 1651.
29Les trois textes que nous reproduisons ainsi que les termes réunis sous le titre de "Lexique isolé", nous permettent de formuler les remarques suivantes:
Bon nombre de mots étrangers aux langues africaines ont été emprunté par celles-ci, soit par calque direct, soit par le jeu de l'analogie sémantique. Parfois, le phénomène s'est produit en introduisant des altérations phonétiques.
Voici des exemples se rapportant au français, à l'anglais et au portugais:

Apporté (sic) le caffé H'yi caffé ou anam (M, p. 389)
Le thé Thé (M, p. 389)
Donne des serviettes De serviettes oüa (M, p. 391)
Quinze grosses pipes O foti grosses foton (M, p. 283)
Vaisseau Ship (L, p. 91)
Va-t'en d'ici Go (L, p. 91)
Donne-moi ce verre S'y glace (M, p. 389)
Une cuillère Aquiui (M, p. 389)
Ouvre mon coffre Ou apotiqué (ouvre + apothicaire) (M, p. 389)
Hier Ayé so (ayer) (M, p. 391)
Tabac Tabacinni (L, p. 181)
Il n'y en a plus Saccaba (se acabò) (L, p. 90)
Patate Santhoumé (Sao Tomé) (L, p. 90)
Noces Cassares (casarse) (I, p. 241)
Retirez-vous Ago (go) (M,II, p. 78)
Pardonne-moi Me cusa (me excusa) (M,I, p. 302)