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Khal Torabully présente

La Maison de la Sagesse de Grenade à l'UNESCO

UNESCO

Photo Cyril Bailleu. © UNESCO:

Lors de la remise du Prix Sharjah 2013 relatif à la diversité dans la culture arabe au siège parisien de l'organisme récemment, l'Unesco a invité le poète et sémiologue Khal Torabully à présenter le projet de la Maison de la Sagesse de Grenade qu'il a initié à Grenade le 22 novembre 2012. Celle-ci symbolise bien l'approche des diversités chères à l'Unesco.

L'auteur continue en cela son travail de conjonction des imaginaires des Indes et du monde développé dans la coolitude, notamment avec l'espace arabo-musulman, surtout dans un contexte où le "choc des civilisations" voulu par certains demeure une constante préoccupation.

Indes et Andalousie: Khal Torabully a rappelé que Grenade était le versant occidental des routes de la soie et des épices, porteuses de tant d'échanges de denrées, de livres et d'objets du savoir entre l'Europe, les péninsules ibérique et arabique et l'Orient. Il a rappelé le flamenco, venu du Rajasthan, qui a rythmé l'Andalousie, en s'enrichissant de ce parcours de l'Orient au Moyen-Orient et vers l'Occident. L'Unesco, très sensible à l'initiative de Khal Torabully, a jugé que cette Maison est porteuse d'espoirs dans le dialogue des cultures pour la paix. Elle a donc apporté son soutien à ce projet pour les humanités qui a recueilli l'adhésion de nombreux hommes et femmes de culture.

Voici un extrait du discours qu'il a prononcé à l'Unesco à l'occasion de la remise du Prix Sharjah par Madame Irina Boukova, Directrice Générale de l'Unesco, à Mustapha Chérif et l'Arab British Centre de Londres, pour les récomprenser de leur souci à vaincre les incompréhensions entre les peuples et les civilisations:

"Mesdames et Messieurs les organisateurs, Monsieur Moussa Ali Iyé, responsable de Dialogues et Mémoire à l'Unesco, je vous remercie de m'inviter à apporter ma vision plurielle de la culture arabe, comme horizon de découvertes et dialogues multiples en ces temps présents. Pour moi, une de ses plus belles déclinaisons réside dans la Maison de la Sagesse, que j'ai à cœur à faire revivre avec vous ce soir. Mesdames et Messieurs, chers amis, la culture arabe, c'est celle du mouvement et de l'échange.

Globalement, l'histoire de la culture arabe nous permet d'appréhender une culture du mouvement, de la rencontre de l'autre, historiquement avérée par le commerce et marquée par la négociation et l'échange.

Espace des rencontres,  la péninsule arabique est située dans une région des isthmes, une région de passages, comme le disait Maurice Lombard, là où se forgent les rencontres humaines et la conjonction des routes. De fait, la culture arabe véhicule pour moi ce nomadisme qui ancre et parsème les cultures et les sciences dans une tradition reconnue pour son hospitalité. Même si c'est réducteur, elle est souvent représentée par un chameau, ce navire du désert, qui avance malgré  les difficultés du terrain, par une caravane ou un pur sang arabe. Pendant son âge d'or, elle a été cet espace qui a pensé le monde. Cette culture, essentiellement urbaine, a été façonnée par les routes des communications, des axes caravaniers et des axes maritimes par où passaient denrées, livres et objets du savoir. Il convient de souligner qu'aux abords de ces routes, des Maisons de la Sagesse ont aussi vu le jour.

Il est vrai, qu'au temps présent, cette culture souffre d'un retrait de production de sens, et surtout, de manque de réactualisation de cette diversité et densité qui furent siennes quand le monde parlait l'arabe, de Canton jusqu'en terre Andalouse. Il serait absurde de prétendre que la culture arabe n'a pas rayonné sur le monde. Pour moi, cet éclat-là là brille dans la Maison de la Sagesse qui nous intéresse.

Comment je suis venu à cette culture?

Nul n'ignore que les navigateurs arabo-musulmans pratiquaient la haute mer depuis la nuit des temps et étaient les intermédiaires commerciaux et civilisationnels entre l'Europe, l'Afrique, la Chine et l'Inde, et les îles aux richesses convoitées. Ce peuple du désert, paradoxalement, a inventé la navigation en haute mer à base de calcul astronomique. Sinbad le marchand devenu marin est un personnage mondial qui illustre que cette culture est voyageuse, et ses récits ont bercé mon enfance. En 1999,  je me suis lancé à réaliser un film sur cette odyssée. Alors je suis allé sur les traces de Sinbad qui a sillonné l'océan Indien, et j'ai découvert que la culture arabo-musulmane a été à l'origine d'une densification du trafic maritime et commercial mondial, et que cela impliquait aussi une densification d'échanges interculturels, de l'Andalousie jusqu'en Chine, à partir du 9ème siècle. Certes, il y eut des conflits, et cela se retrouve dans tous les espaces humains, hélas, mais aussi, des échanges notables tant au niveau des savoir-faire, des sciences, des arts, que des cultures.  Ce film, La Mémoire maritime des arabes, qui porte cette trame de dialogue des cultures, a été couronné par le Golden Award à l'Arab Media Festival du Caire en 2010. C'est dire que cette culture m'a donc donné tant de joies et de perspectives, dont la Maison de la Sagesse, une des merveilles du monde.

Un miracle de Sagesse à Grenade

Quand je travaillais à ce documentaire en 1999, j'ai rencontré Grenade et j'ai été fasciné par les beautés du lieu, son esprit et sa philosophie. Et l'an dernier, j'ai été l'invité de la quinzaine interculturelle de la Maison de France à Grenade. Ce lieu a exercé une influence puissante sur moi. Et depuis cette ville,  j'ai écrit à Moussa Ali Iyé, pour lui dire que je désirais son soutien pour faire renaître la Bayt al Hikma. Une heure après, M. Iyé me donnait, presque en même temps que M. Doudou Diene, concepteur de la route al-Andalus, un mot pour me dire d'annoncer aux grenadins qu'il était avec moi. Le 22 novembre 2012, donc, après la projection de mon film, j'ai lancé l'idée citoyenne de faire revivre ce joyau de la culture arabe. Tout de suite, j'ai constaté que d'autres personnes avaient ce désir du dialogue à travers cette Maison de la Sagesse. Un groupe a signé l'acte de naissance de la Bayt al Hikma à la bibliothèque de l'Andalousie. C'est allé très vite et j'ai eu, le même soir, le soutien d'Ana Gamez, responsable d'éducation de la Région Andalusia et de Françoise Souchet, la dynamique consule de France à Grenade. Le directeur de la bibliothèque d'Andalousie, Javier Alvarez s'est mis à notre disposition pour abriter nos activités, et Suhail Serghini, musicologue et responsable de la bibliothèque interculturelle d'Andalousie, est parmi les membres-fondateurs de cette initiative.

Des universitaires comme l'anthropologue Sandra Flores, le sociologue Mustafa Akalay, l'universitaire Nathalie Bléser, le professeur Ottmar Ette, fondateur des études transfrontalières de Berlin, parmi d'autres, ont répondu présents et cette démarche citoyenne a recueilli 180 signatures. Nos activités débutent le 4 juin prochain. Je ne pensais pas que cette idée se transformerait aussi vite en réalité. Et cela sous un toit commun, dans une maison des humanités, dont je me permets un bref survol historique.

La Maison de la Sagesse de l'âge d'or, une opportunité pour l'avenir

La Maison de la Sagesse, comme vous le savez, est une institution qui a fleuri au 9ème siècle dans le monde arabo-musulman.

En arabe, dar ou bayt al Hikma, c'est une institution qui s'occupait de traductions d'œuvres d'astronomie, de philosophie et d'autres savoirs de Perse, d'Inde, de Chine, de Grèce et de la Rome antique.

Elle était bibliothèque et centre de réunions aussi, et constituait une courroie majeure de transmission du savoir cosmopolite.

La première Maison de la Sagesse s'ouvrit à Bagdad en 832, sous le règne du calife Harun al-Rashid. Et le calife al Mamun les développa, pour non seulement traduire les savoirs, mais aussi pour les comparer avec des sources diverses, les interpréter et les améliorer. La structure même de cette Maison de la Sagesse est intéressante, car elle était à la fois héritière de la bibliothèque d'Alexandrie, de copistes de l'Orient chrétien; elle était centre de traduction et un lieu où mathématiciens, astronomes, littérateurs, philosophes et d'autres savants se réunissaient, dans un esprit transdisciplinaire et transfrontalier étonnant à cette époque.

Elle résultait de l'effort d'un souverain éclairé et de toute une société mobilisant son énergie vers son épanouissement par les arts, la culture et le savoir, qui, je le souligne, est transfrontalier par essence. Nul ne détient tous les trésors de l'humanité. C'est avec cela à l'esprit que cette démarche citoyenne et conviviale est née à Grenade.

Pourquoi la symbolique de Grenade?

Permettez-moi de citer le travail en cours de ma fille Hanna à l'Institut de Sciences Politiques d'Aix en Provence, où elle se spécialise en culture arabe, car il faut aussi penser à ces jeunes qui ont besoin de se situer dans l'Histoire et un monde aux repères brouillés. Elle résume bien les enjeux de Grenade: "Les nations se déchirent, à l’image des pays européens, en proie à une crise économique qui exacerbe les divisions à l’intérieur de leurs frontières. Mais cela se vérifie également à l’échelle d’une ville:

Grenade, en Andalousie. La dichotomie «Orient/Occident» ou «Nord/Sud de la Méditerranée» prend une mesure toute particulière dans cette région. Elle a en réalité déjà été le théâtre de leur affrontement: durant la période qui débute en 711 avec l’avènement d’Al-Andalus (la conquête de la Péninsule Ibérique par les Maures) et qui s’achève en 1492 avec la Reconquista (la «reconquête» de la région par les Castillans, prenant fin avec la symbolique prise de Grenade, dernière ville à leur avoir résisté)".

C'est dire que le symbole est puissant, le lieu offre tant de thématiques contemporaines à explorer avec sagesse. Ici, c'est le lieu rêvé pour réactualiser cette idée de mouvement, de mise en relation que la culture arabe, à ses heures les plus lumineuses, a donnée en héritage au monde entier. Car les défis que vous connaissez sont déjà là.

L'AVENIR DE NOS ACTIVITES ET DE NOTRE MAISON

Comme je vous l'ai dit, nous organisons une série d'activités inaugurales pour le mois de juin 2013. La bibliothèque d'Andalousie nous accueille gracieusement. C'est là la manifestation la plus évidente de ce désir d'accueil et de dialogue de la ville de Grenade.

Des poètes, universitaires, hommes et femmes de culture sont donc dans cette démarche bénévole de construire ensemble cette maison citoyenne et conviviale. (...) Nous avons une page facebook, nous devrons créer un site et mettre en ligne des études, des livres, des films... Notre objectif premier est de redonner une vie à la diversité, notamment par un dialogue entre les religions et les thèmes culturels permettant de mieux comprendre l'autre, car la Maison de la Sagesse accueillait les savoirs de tous.

(...) Elle est cette merveille de dialogue au nom de la Connaissance, articulant les différences humaines qu'il nous faut réactualiser. Je suis convaincu que faire redécouvrir cet espace né au 9ème siècle, si ouvert sur les altérités, ne pourra qu'enrichir nos humanités et favoriser la paix dans le monde. Mesdames et Messieurs, retrouvons ce chemin des dialogues, dans cette Maison qui est vôtre, qui est nôtre, car le temps presse dans un monde imprévisible et de plus en plus amnésique ! Grenade, telle que la culture arabe de la diversité l'a façonnée, est symbolisée par le fruit que vous savez, que nous avons goûté dans ses multiples grains de sagesse. Il vous appartient de le goûter à votre tour et de le faire voyager vers notre sens de la beauté et de la connaissance. Merci de votre attention ! Merci de votre intérêt pour la Bayt al Hikma de Grenade".

Le programme de la Maison de la Sagesse de Grenade sera bientôt visible sur nos sites.

(c) Khal Torabully, message pour la remise du Prix Sharjah, Unesco, 25 avril 2013.

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