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Régionales 2015, quelle «victoire»
pour les uns et les autres?

Khal Torabully

 

Les résultats des élections régionales du 13/12 indiquent un rejet du FN comme parti pouvant exercer le pouvoir, créant un soulagement en France comme à l’étranger. Ce «succès» impose cependant un patchwork assez complexe tant au niveau politique qu’au niveau de la perception de débats sociétaux, politiques et économiques. J’ai suivi ces événements à partir de la région lyonnaise où Laurent Wauquiez (Union de la droite) et Jean-Jack Queyranne (Union de la Gauche) étaient, selon les sondages, séparés d’un petit nombre de voix, 37% d’intentions de vote pour le socialiste et 38% pour les Républicains menés par Wauquiez. On connaît les résultats; défaite de Queyranne par quelque 5 points…Ces élections sont à scruter avec attention…

Soulagement, pour combien de temps?

Le soulagement semble de mise après la proclamation des résultats, dimanche soir. Le FN n’a remporté aucune région alors que le premier tour laissait présager qu’il allait au moins diriger 3 régions. Il a encore échoué sur la dernière marche, pour citer les analystes… La mobilisation des électeurs a bénéficié aux partis traditionnels.

Ce fait tranche avec les craintes que le bipartisme traditionnel de la Vème République allait être sérieusement mis en cause. Le système électoral bipolaire a fonctionné, en favorisant les alliances, tant à gauche qu’à droite, laissant le FN sur la touche au niveau de la concrétisation de sa dynamique électorale en nombre de régions à gouverner. Cette étape de l’exercice du pouvoir – dans l’opposition - servira le FN pour préparer les présidentielles de 2017. Cependant, il ne faut pas s’en réjouir aussi vite: le FN a plus de conseillers régionaux que la gauche et constitue la force la plus importante de l’opposition aux Conseils Régionaux. Et le fait d’avoir pu confirmer qu’il a quelque 6,800.000 électeurs ne pas de nature à rassurer les partis traditionnels.

Après les abstentionnistes, le FN constitue le premier parti de France hors alliance. Et cette donnée lourde devra être intégrée par les partis traditionnels, qui, une fois les élections passées, hélas, retrouvent déjà leurs vieux démons internes. En effet, les Républicains ont relancé les «débats» pour choisir leur chef en vue des prochaines échéances, l’Union de la Gauche entend s’exprimer des voix pour demander une inflexion plus à gauche, notamment de la bouche de Martine Aubry.

Le FN n’est pas épargné non plus avec la rivalité bien affichée entre la nièce et la tante, Marion Maréchal Le Pen parlant de la «sublime résurrection» et Marine, de vague patriote… Une chose est sûre, les ténors des deux camps «vainqueurs» - ce terme est à utiliser avec prudence, la droite n’ayant pas eu le raz-de-marée escompté, la gauche ayant sauvé les meubles avec 5 régions, ce qui est rare pour un parti usé par le pouvoir,et ayant reporté ses votes sur la droite pour faire barrage au FN, notamment à PACA – ont commencé à dire qu’il faut changer «la manière de faire de la politique», craignant une fracture électorale brutale en 2017.

Ce débat sera-t-il poursuivi? Des doutes affleurent au vu des satisfecits que les uns et les autres affichent aux premiers jours de cette «victoire» qui pourrait en être une à la Pyrrhus… Il  n’est pas fastidieux, dans le contexte actuel, de rappeler les mots de Plutarque face à cette «victoire»: «Les armées se séparèrent; et on raconte que Pyrrhus répondit à quelqu'un qui célébrait sa victoire que «encore une victoire comme celle-là et il serait complètement défait». Il avait perdu une grande partie des forces qu'il avait amenées, et presque tous ses amis et principaux commandants; il n'avait aucun moyen d'avoir de nouvelles recrues (…). Tandis que, comme une fontaine s'écoulant continuellement de la ville, le camp romain se remplissait rapidement et abondamment d'hommes frais, pas du tout abattus par la défaite, mais gagnant dans leur colère une nouvelle force et résolution pour continuer la guerre.» Etranges ressemblances avec le lendemain «victorieux» de ces régionales…

Rhône-Alpes-Auverge, miroir français du 2ème tour?

Dimanche soir, j’étais présent à la permanence de Jean-Jack Queyranne, ex-président du Conseil Régional de Rhône-Alpes-Auvergne. L’ambiance était plutôt morose à deux heures de l’annonce des résultats, à 20 heures. Déjà, des estimations indiquaient un écart de 4 points entre lui et son challenger, Laurent Wauquiez, de l’Union de la Droite. La cause principale? Le report probable d’un pourcentage de votes du FN sur la droite «ultra droitière». Queyranne, reconnaissant sa défaite, n’a pas manqué de signaler que l’on saura avec quelles voix il a été battu par cet ancien ministre de Sarkozy, sous-entendant que Wauquiez a attiré les voix du FN. Les urnes, cependant, indiquent une version plus complexe. Il paraîtrait que la mobilisation du second tour, ce fameux sursaut citoyen ou républicain, a davantage profité à Wauquiez qu’à son camp, car, déjà, sa campagne avait été plombée par les divisions au sein du PS de la région. Le maire de Lyon, Gérard Colomb, n’avait pas cru bon s’investir à fond pour soutenir le candidat de gauche, car Queyranne avait écarté l’idée que Mme Colomb devait être numéro 2 sur sa liste1… Les observateurs politiques de l’ancienne capitale de Gaule affirment même que Colomb a commis là sa première grave faute politique, se tirant une balle dans le pied avant les prochaines échéances municipales. Une chose est sûre: aujourd’hui, Wauquiez, en prenant la place de Nathalie Kosciusko-Morizet comme numéro deux des Républicains indique son ambition nationale en remportant la région, et aussi, la tendance plus droitière du parti de Sarkozy. La gauche fait entendre, quant à elle, qu’elle sera plus à gauche…

On assisterait donc, au moins dans le discours, à une bipolarisation «idéologique» de la vie politique en phase avec le bipartisme. Mais ce serait mal lire le message des urnes. Il est vrai que le FN a été écarté du pouvoir dans les Conseils Régionaux, mais il y sera massivement présent sur les bancs de l’opposition, ayant tout le loisir de s’ancrer localement et régionalement. Cet enracinement est à suivre…

Vaulx-en-Velin, une commune emblématique dans les Régionales

Un rapide regard des chiffres est éloquent à Vaulx-en-Velin, une ville à 10 minutes de Lyon, et qui a porté Queyranne en tête de liste dès le premier tour.

Ici, la participation au premier tour, avait été de 25,01. Wauquiez avait 13,61 de voix au premier tour derrière Christophe Boudot, du FN, qui raflait 26,85 de suffrages. Le PC était à 9,77. Queyranne arrivait en tête avec 35,25 des votes. La mobilisation a réuni 36,13 % de votants au 2ème tour, soit un bond d’environ 11%. Les résultats: Queyranne l’emporte avec 57,40 % des votes, Wauquiez remonte à la 2ème place avec 22,13 des voix et le FN descend à la 3ème place avec 20,47 des suffrages.

Que dire de ces chiffres dans cette proche banlieue lyonnaise où le taux de chômage est plus élevé qu’ailleurs et d’où est partie la célèbre marche de l’égalité il y a 22 ans, et qui demeure une ville phare quant à l’égalité des chances et de la diversité ? Ce qui saute aux yeux, c’est la faiblesse de la participation : environ 2 personnes sur 3 ne sont pas déplacées pour voter, rejetant, disent-ils un «abandon» de la ville par la classe politique. Dans cette ville qui se développe dans la dynamique du Grand Lyon, au premier tour, le FN dépassait l’Union de la Droite en votes, et au 2ème tour la droite est remontée avec un écart de moins de 2 points, le FN passant en 3ème position. Ceci indique que non seulement l’électorat FN n’a pas fait qu’envoyer un vote de défiance envers les dirigeants, mais qu’il s’est bien installé dans le paysage politique, et ce, dans une ville qui fut traditionnellement communiste. On sait que la gauche de la gauche est laminée dans ces élections… Entre les deux tours les voix du FN ont baissé de quelque 6%, la droite remontant par 9%... Est-ce là un report du FN vers Wauquiez?? Les études ultérieures pourront le dire…En tout cas, remarquons, qu’en suffrages exprimés, le FN a progressé de 1,456 votes à 1,498 votes entre les 2 tours. Queyranne, lui, progresse de 22 points entre les deux tours, prouvant que malgré tout, la gauche s’est bien mobilisée pour le repositionner en tête de la commune, passant de 1,911 à 4, 481 votes2.

Ce microcosme vaudais indique bien que si la mobilisation a profité davantage à la gauche et à la droite, elle montre aussi qu’il y a eu une légère progression des voix du FN, dépassant, ailleurs le célèbre «plafond de verre» de 25% pour parfois se situer à 48% des votants dans d’autres régions. Je pense que le FN peut encore progresser dans cette région précaire, où les discours sécuritaires font florès. Ces débats sociétaux et les difficultés du gouvernement dans les réformes et la relance économique alimentent cette fronde qui se transforme peu à peu en lame de fond. Il serait peu réaliste de ne pas la considérer. En effet, le FN vient de battre son record en voix de 2012 et triple le nombre de ses conseillers régionaux et il a dépassé les 40% de votes dans 14 départements. Gilbert Collard, frontiste du Gard a parlé, non sans raison, «d’une défaite victorieuse», et je pense que pour les partis traditionnels, leur victoire devrait se ressentir comme une victoire précaire, avec des graves conséquences pour l’avenir…Le FN a désormais 6.820.147 de votants, c.-à-d., qu’il a plus de 800.000 voix supplémentaires par rapport au premier tour.

À mon sens, c’est une tendance lourde qui indique que Marine Le Pen a toutes les chances d’être au second tour des Présidentielles en 2017. Ces Régionales de 2015, me paraît-il, indique combien le patchwork électoral français est complexe, et combien les problèmes de fond et la société française est en proie à des profondes interrogations et au seuil d’un basculement possible vers des solutions simplistes.

Pour le moment, la question qui s’impose est: les élites dirigeantes sauront-elles lire ces messages inquiétants sortis des urnes, même si le FN est écarté de l’exercice du pouvoir à la dernière marche? Une autre question: et si cette dernière marche devenait la plateforme et le tremplin pour une dynamique de fond du FN qui ne faiblirait pas jusqu’aux prochaines élections? Les politiques seraient mal avisés de continuer à se couper des messages d’un peuple qui doute de lui-même, qui est attentif aux solutions à l’emporte-pièce et qui est capable de franchir tous les «plafonds de verre»… Certaines «victoires» installent de bien inquiétants présages…

 © Khal Torabully,
17/12/2015

Notes

  1. Élections régionales: Les tensions au sein du PS local expliquent-elles la défaite de Queyranne?
     
  2. Resultats Vaulx-en-Velin

 

 

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