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Dires du Monde:
Une des leçons des inondations
mauriciennes

 

Après le déluge,
le mauriciniasme...

Khal Torabully

2. avril 2013

 

Après le déluge, le mauricinisme...

Ces réflexions, sur le vif, me viennent en longeant la route du Canal Dayot, à l'entrée de Port-Louis, et un des lieux inondés par les pluies du 30 mars, qui ont marqué le peuple mauricien de leur soudaineté et de leurs tragiques conséquences. Un élan de solidarité nationale est né de ce drame, ce qui m'inspire ces quelques lignes...

L'habitude et la peur de l'autre

Il est d'avis d'affirmer ici, dans l'île "arc-en-ciel" (qui émule la grande puissance régionale qu'est l'Afrique du Sud en matière de sa diversité démographique) que pendant et juste après un cyclone ou un match international de football (cela peut aussi ne pas être le cas...), les habitants, descendants de peuples de plusieurs endroits du monde, arborent un sentiment patriotique que l'on ne voit que trop rarement perdurer.

En effet, à moins d'être dupe, le mauricianisme, prôné en certaines circonstances, n'est pas cette réalité qui dépasse les contingences et appartenances à des communautés, dans un élan réellement transcommunautaire, ancré, pérenne. Le pire moment de ces clivages est la période des élections, comme chacun le sait. Les partisanneries politiques se font non dans un creuset national, mais bien communautaire, même si parfois des idéologies politiques, des programmes, atténuent quelque peu cet état de fait. Le tissu national se déchire donc régulièrement dès que les nuages noirs se dissipent.

Aussi le creuset mauricien tant vanté, qui offre de belles avenues d'un bien vivre-ensemble se fissure, s'érige souvent en repoussoir de l'autre.

Même si le quotidien, qui nous donne l'habitude de l'altérité est là pour éviter bien de dramatiques dérives, et qui peut en édifier plus d'un, cet enjeu de l'identité accolée au jeu politique est bien présent à l'esprit des stratèges politiques, dans les luttes pour le pouvoir et sa conservation.

Et c'est à l'approche d'un cyclone ou d'un adversaire hors de ses rives qu'un sentiment transcommunal confus parfois surgit du fond de cette île qui vient de fêter ses 45 ans d'indépendance. Si lors de l'écoulement du "long fleuve tranquille" de la vie sous les tropiques, hindous, chrétiens, musulmans, qui constituent l'immense majorité des mauriciens, vivent dans de savantes et subtiles complémentarité et opposition, il n'en demeure pas moins qu'une réelle volonté de vivre en nation mauricienne est confrontée à maints obstacles. Ce respect de la diversité "socioculturelle", terme fort dans le contexte mauricien, souvent né de la foi, de la religiosité affichée des uns et des autres, ne parvient pas toujours à transcender les murs nés des affrontements raciaux précédant l'indépendance de l'île en 1968, alors théâtre des sanglants "troubles raciaux" qui ont marqué l'accession de l'île au statut d'état indépendant.

Cet acte de naissance fissurant l'idée de nation, qui n'a pas eu à s'unir face à une puissance coloniale extérieure, mais qui s'est retournée contre elle-même en quelque sorte, a eu pour conséquence lourde d'alimenter les stratégies des politiques dans ce pays où tous les visages du monde se sont rencontrés, pour ainsi dire. Et à moins de faire preuve d'une surdité ou d'un aveuglement façonné par le mirage de l'arc-en-ciel qui réunit tous et toutes, chacun sait ici que dans le chaudron mondialisateur, la marmite mauricienne accouche de temps à autre d'une "salade de fruits", d'une compote ou d'un briani composite pour dire sa diversité, en affichant un "no problem" résolu à tout touriste de passage. Certains, en aparté, se plaignent de ce communalisme qui empêche le pays d'avoir une vraie pensée de soi, tout en le considérant très souvent, comme un mal nécessaire pour s'accommoder de l'autre, son rival déclaré en matière de pouvoir. Car une peur latente, instillée par des décennies de jeux de résistance de groupes et de stratèges pour ne pas être engloutis par d'autres, demeure.

Une nation transcommunale ne mettrait-elle pas en péril ma chapelle, mon temple, mon minaret? Il est certes vrai que certains politiciens ont essayé de débusquer le lièvre, mais, il court toujours, et de plus belle, serait-on tenté de le dire!

Nation soluble une fois les intempéries oubliées?

Après le déluge, le mauricinisme...

Passage piéton souterrain du Caudan, où périrent 8 personnes.

Nul ne contestera, s'il est réaliste, cette dilution d'appartenance à la nation, à une identité complexe à construire, sauf au moment du challenge d'une coupe à gagner face à un extranational, au vu du danger d'un cyclone, ou d'un déluge (cette menace d'un nouveau type qui vient du ciel vient de s'ancrer profondément dans l'inconscient de l'île en sus du cyclone, notre ennemi connu). Les inondations, en effet, viennent de signaler l'irruption du réel dans le vécu quotidien, et rendent secondaires (mais pas caduques) les réflexes de repli sur sa communauté.

Et je trouve regrettable que ce soit la venue d'une catastrophe naturelle ou l'annonce d'une invasion imminente d'extraterrestres, qui sait, à l'avenir (si l'on abonde dans la science-fiction), qui aura pour vertu, comme l'attestent les productions hollywoodiennes, de faire taire les petitesses humaines et de rallier les nations en espèce humaine qui défend sa survie face à l'Autre exterminateur. Oui, un manque d'imagination évident que ce soit à l'aune de ces dangers que ce pays, avec de grandes possibilités tous azimuts, se réfère pour se déclarer "nou tou morisiens" (nous sommes tous mauriciens). En somme par le négatif subi, et non le positif assumé, et une réelle projection dans nos humanités et leurs "mémoires partagées" pour élaborer ensemble, par un travail de construction nationale, ce noyau qui nous unit au-delà de nos spécificités. Cyclone ou pas, inondations ou pas!

En ce moment, les mauriciens constatent qu'ils ont du cœur, de la solidarité, de l'empathie dans cet élan national qui se développe, relayé par les médias, pour les victimes des inondations. Les mauriciens donnent, expriment qu'ils font partie de ce pays, et qu'ils sont tous sur le même bateau, par-delà la couleur de peau, la classe sociale, la religion et tout autre marqueur de diversités, appartenance au pays que l'on peut détourner en murs de béton infranchissables, ô combien!

Vertu admirable que ces dons, certes, mais hélas passagère? !

Allons donc, le mauricianisme, serait-il un réflexe de survie ou un humanisme contextuel?

Une parenthèse que l'on refermera pudiquement lorsque l'eau aura été balayée devant les portes de Madame Eugène, Kala Amina ou Mawsi Manisha? Un bon souvenir fraternel quand la boue sera séchée devant le front de mer et à Canal Dayot et les fleurs, sur les tombes, fanées?

Une fois le traumatisme national renvoyé aux calendes grecques, que restera-t-il de ce mauricianisme solidaire qui vient de s'exprimer si fortement au lendemain du sinistre ? Une fois la chasse aux votes ouverte, que sera la nation réunie autour de ses morts, de son besoin de communier face à la tragédie auquel nous assistons ces jours-ci?

Oui, devrons-nous constater, pour la énième fois, cette "fatalité" du cloisonnement dans un pays qui prêche sa formidable richesse d'humanités à l'étranger? Oui, je le répète, il y a des choses formidables dans ce pays.

Mais à condition qu'elles ne soient pas niées dans leur intrinsèque capacité à durer...

Ce n'est que cette prise de conscience collective qui nous évitera de dire, une fois n'est pas coutume: chassez les catastrophes naturelles et le naturel revient au galop! Et de répéter cette réalité, qui ressemble à un énorme gâchis, une fois ce potentiel de bien vivre-ensemble épuisé: après le déluge, le mauricianisme?

Où sera-ce même flot de reniements à ces belles valeurs humaines que le pays met en avant dans le sillage de ces inondations? Sous des ponts qui ont été dépassés par les trombes d'eau?

Un cyclone a un nom, des inondations n'en ont pas! Une fois la stupeur passée, ne serions-nous pas bien inspirés de leur donner celui de miroir de nos espoirs, à l'image d'un pays qui dialogue résolument avec ses ressources d'humanités, et auquel nous ne devrions plus être sourds?

(c) Khal Torabully, 2/4/2013
(c) Photo, KT

Après le déluge, le mauricinisme...

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