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Un Festival de poésie mondial en pandémie

Khal Torabully

 

Cela peut sembler irréel ou une provocation. Ou encore un machin de rêveurs impénitents. Pourtant, si on y réfléchit bien, l'on constatera que le poème, quand il n'est pas instrumentalisé pour une carrière ou une tresse à César, demeure un des derniers espaces de liberté et de vérités de la Vie. Un poème au diapason de la beauté du monde, des humanités. Cela se célèbre, le jour d'avant, le jour pendant et le jour d'après. C'est un souffle qui n'est pas avarié, acheté, vendu pour trois kopecks. Il est au-delà d'une économie marchande.

C'est un dire qui dépasse tous les logiciels de ventes. Medellin est, et je m'en réjouis, devenu une multinationale, non plus de la drogue, mais de la poésie. Une reconversion qui laisse penser que l'on peut faire toutes les reconversions dans le sens d'un meilleur vivre aux temps du Covid.

Je me rappelle que l'an dernier, j'avais rencontré José Manuel Santos, l'ex-président colombien, prix Nobel de la Paix en 2018. C'était à Nador.

Je lui avais dit un poème CENT ANS DE SOLITUDE, m'inspirant de l'immense auteur colombien, Gabriel Marquez.

J'avais dit le texte dans le vif, on m'avait demandé de le dire sans préparation, cinq minutes avant... On dînait dans un ravissant restaurant à La Marchica, devant la lagune de Nador. Un moment de grâce...

Je m'en suis bien tiré, à mon grand soulagement...

Le président Santos en a été touché.

A sa table, avec Madame Santos et avec Abdeslam Boutayeb, nous avions parlé de Marquez. De littérature, de la Colombie. Le Président Santos m'a parlé de la rhétorique. Je lui ai parlé de la poétique, de la prévalence de la parole comme porteuse de vérités, déconstruisant le discours le plus ficelé... Un échange d'anthologie. Santos est un homme fin, un amoureux de la langue. Et cela ne m'a pas étonné qu'il a été l'artisan qui a ouvert la voie vers une possible pacification entre les autorités colombiennes et les factions armées, dont les cartels de la drogue, ce qui lui a valu le Prix Nobel. Le film de Martinez, que nous avions vu lors du Festival de Nador, expliquait bien ces négociations épineuses, pleines d'espoirs, de doutes, de revirements et de constructions pas à pas...

Puis, je lui ai dit, à sa grande surprise, que j'avais été invité au plus grand festival de poésie au monde, à Medellin, en Colombie, en 1996. Il n'en croyait pas ses oreilles. Je lui ai parlé de ma rencontre avec Fernando Rendon, le génial organisateur de ce festival. Il est resté un ami. Nous avons signé plusieurs appels ensemble.

Santos était ravi que son pays tirait un rayonnement international de ce festival de Medellin. Il avait devant lui un poète franco-mauricien, rencontré au Maroc et qui lui en parlait.

Le repas, très fin, était mémorable. Medellin était présent, son président artisan de la paix et son festival. Un grand moment de ma vie de sémiologue et de passeur de paroles de paix entre les océans et les humanités.

Or, le 3 août, le Festival m'invite à dire des textes, qui seront repris en espagnol, en ligne. Ils sont tirés de EN CANTOS COOLIES, traduits par Joëlle Guateli-Tedeschi et des étudiants du Département de Philologie de Grenade, sous le regard affiné d'Antonio Carvajal, un des plus grands poètes d'Espagne.

Lecture de ses poèmes par Khal Torabully au Festival de Medellin 2020. (à partir du 45')

Ce sera un moment d'émotion pour moi. Même si le direct me manquera, car la poésie vécue à Medellin est unique au monde (j'y ai dit mes textes devant 17,000 personnes), nous serons reliés aux consciences de beauté, de reconstruction et de visions de l'après-covid. Une anthologie de 190 poètes est éditée à cette occasion. Nous en reparlerons.

En attendant, Medellin nous ouvre les bronches en pleine pandémie et c'est le meilleur déconfinement mondial qui soit...

HOMMAGE A RENDON ET AUX POETES DU FESTIVAL

Quand on sait que les forêts d'Amazonie
sont dans un atroce état, de quarantaine en
quarantaine,
Que nos bronches demandent pitié à l'air pollué,
qu'elles sont diminuées, rapetissées, humiliées,
et que l'oxygène, à genoux, demandent pitié,
J'ai vu un carré d'humanité à côté,
Un ensemble de rêveurs forcenés,
Décidés à ne pas abandonner, pour créer
Un autre poumon près des Amazones massacrées...
C'est ici, à Medellin, que les poumons du monde
Espèrent, lancent le cri tant espéré.
C'est l'Amazonie qui retrouve sa voix, cele qui abonde
Du Brahmapoutra au Nil, de l'Euphrate à Babylone.
C'est ici que le poumon n'est plus aphone,
Qu'il clame le verbe pour se libérer de l'immonde
Assassin des respirations, des aspirations
De toutes les beautés fécondes que le système
Ne pourra jamais acheter ou coter en bourse nauséabonde.
C'est ici, pendant ce Festival, que Medellin sème
L'Amour des vents, des plaines, des océans.
Elle réunit les tristesses des épaves et la brûlure des boucans.
Elle déclame les formes rondes
De Bottero, les poèmes puissants des toucans.
Elle ramène les Mamos de la Sierra Nevada,
Les ressacs du Pacifique, les vacarmes de l'Atlantique.
Elle broie les conques en pipes à chaux, à partager
Entre les grésilleurs des verbes retrouvés.
C'est ici que l'Amazonie dit son coeur de corail,
Son corps sans la gangue des tyrans démasqués.
Le poème est enfin devenu une puissante mitraille.
Bolso et Trumpito pillent le monde qui défaille.
Medellin panse l'Amazonie, parle à Raoni,
Ramène aux failles des consciences une voix qui vaille,
Qui veille, qui réveille, car dans le poème, c'est l'humanité
Qui retrouve son souffle au coeur des pandémies.
Oui, tous, à partager, à pleins poumons, le poème
Des peuples venus respirer d'un solidaire cri,
D'un assourdissant et magnifique JE T'AIME !
Et qu'importe si les coffre-forts ont remplacé
Le coeur des endurcis et des corrompus du pouvoir,
Le poème libère des manipulations, des encensoirs
Des messes médiatiques, des promesses prolifiques.
Medellin est l'Amazonie debout, avec un amphithéâtre,
Celui dont rêvait Baudelaire dans les vivants piliers
De la nature, de la vie, de Notre Mémoire,
Celle de la Terre-Mère, celle de l'irrépressible Histoire
Des humains ayant compris que le Covid
Ne doit laisser ni l'esprit, ni le coeur vide.
Oui, c'est à Medellin que l'océan des mots
Se confie aux jungles spoliées par les menteurs avides.
Ne laissons pas passer leur souffle, c'est une chrysalide
Capable de mettre un frein à l'ethnocide.
C'est une nouvelle pyramide, belle et limpide
Comme le dernier espoir d'une planète poussée au suicide.
Oui, le poème peut nous guérir des pires épidémies,
Celles qui nous divisent pour d'autres génocides...

(c) 25/7/20

Très honoré de retrouver Medellin 22 ans après ma lecture, en 1998, où nous disions des textes devant 18,000 personnes, chose irréelle et extraordinaire...

LIENS UTILES ET PROGRAMME

https://www.festivaldepoesiademedellin.org/…/Hist…/VIIIFIPM/

En este evento participan 192 poetas de 103 países: 22 africanos, 41 asiáticos, 39 europeos, 88 americanos, 2 de Oceanía, refiere el portal web del festival.

https://www.festivaldepoesiademedellin.org/…/…/torabully.htm

https://ntradio.pt/…/30o-festival-internacional-de-poesia-…/

https://www.festivaldepoesiademedellin.org/…/…/torabully.htm

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 Viré monté