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Les dialogues en humanité, un formidable élan
d’espoir citoyen

Khal Torabully

C’est sous les arbres du magnifique Parc de la Tête d’Or de Lyon que se sont déroulés les Dialogues en humanité ce 6-8 juillet. Je m’y suis rendu à l’invitation de Doudou Diene, créateur des routes de la Soie, d’al Andalus et de l’esclave de l’UNESCO. Diene préside aujourd’hui la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU pour le Burundi. Ce festival sous les arbres arbore un slogan volontairement provocateur: «Il est trop tard pour être pessimiste». Et à l’évidence, il y a quelque chose qui frémit, comme une conviction tremblotante et frissonnante entre les chênes et les cèdres de cet espace lyonnais qui accueillait là les seizièmes assises de ces rencontres inspirantes et qui ont lieu dans 25 pays. Tour d’horizon d’un événement décentralisé réunissant une cent cinquantaine d’ateliers, des agoras, des repas et des performances relaxantes et artistiques. Insertion dans un réel creuset d’espoir et d’actions dans un monde qui semble voué aux échecs répétés des violences, des rejets et de la cupidité.

Vision solidaire d’un monde où l’urgence agite les consciences

Rappelons la philosophie de cet événement qui: «…permet de rencontrer dans la bienveillance et la convivialité (…) des citoyens du monde entier de tous âges, profils, professions, … pour tisser des liens et agir ensemble. Les échanges (…) mettent au centre l'humain: corps, cœur et esprit». Pendant le week-end, le parc a été l’espace de cette humanité qui tente de reprendre son destin en main. A un moment, dans son horizontalité actée par un désir de démocratie participative, j’ai pensé à Nuits debout, exercice de citoyenneté mis en route par des jeunes dans une société où les solidarités semblent se dissoudre1. Ces jeunes se sont essoufflés, me semble-t-il et pour aller vite, en raison des discussions parvenant rarement à une verticalité, en pratiquant une citoyenneté sans centre de décision, donc ne contrecarrant pas les pouvoirs concrètement. J’y lisais pourtant une réelle volonté de changer le/de monde. Cet esprit est le même aux Dialogues en humanité, qui se définissent comme un «Grand rendez-vous populaire annuel de l’écoute mutuelle bienveillante et de la créativité citoyenne pour sortir la société des multiples impasses qui l’affectent et des turbulences qui secouent la planète». Cette édition accueillait 150 ateliers gratuits et ouverts à tous sur les sujets, dont «le mieux vivre ensemble, et 30 thèmes de réflexion éclectiques (…) avec la possibilité d’échanger d’égal à égal avec des personnes qui ont un parcours de vie singulier, des intellectuels, des scientifiques, des élus, des entrepreneurs, des artistes, des écrivains, des personnes engagées dans des associations... et de découvrir le nombre croissant d’initiatives prises dans plusieurs pays pour changer la donne et construire un monde moins toxique, plus équitable et plus bienveillant». Les 3 jours étaient centrés sur trois parcours, à savoir «Notre pays c’est la Terre». Ici, on réfléchit à «un conseil de sécurité de l’Humanité sous une autre forme, épaulé par un Conseil des sages mondial, capable à la fois de vigilance et de propositions. Réunir les sagesses du monde, voilà un projet pour nous rendre optimistes!». Je ne peux être plus d’accord avec cette réflexion. Le deuxième parcours consiste à «Sortir du double dérèglement climatique et le troisième aborde «Du bon usage du numérique». Il m’est impossible de rendre compte de cette arborescence d’événements. Aussi, je me limiterai à quelques-uns, auxquels j’ai pu assister et participer.

Arbres, pour semer les mémoires des humanités

J’ai pu rencontrer et échanger avec Aviram Rozin, spécialiste en reboisement en milieux stériles. Il a fondé le projet Sadhana Forest pas loin d’Auroville. L’idée est de redonner vie à des sols considérés comme perdus. Il a pu trouver la technique de faire pousser une forêt de 28 hectares dans une terre sinsitrée. La patience et le respect de la terre ont ramené les arbres: «Le retour de la forêt signifie le retour des matières organiques, permettant la culture vivrière». Aviram a bien cerné le problème: «D’abord, il faut couvrir la terre. Une terre nue ne produit rien. Il faut que des herbes et d’autres plantes poussent, la couvrent. Mais avant ça, il faut capter l’eau et la stocker sur place. Ce sont les deux facteurs déterminants. On a ainsi, en 10 ans, planté 27,000 arbres ». Ensuite, l’idée a migré au Kenya et à Haïti, liant biodiversité et diversité culturelle. Un réel exemple de lutte de l’humain pour reverdir la terre, en l’écoutant d’abord, en travaillant avec elle ensuite. Un exemple pratique, qui a réussi, parmi d’autres exposés et partagés lors des ces Dialogues.

Je fus invité à participer à l’agora: «Sur les traces de Martin Luther King? A l’écoute des jeunes générations Quels sont ceux qui choisissent d’être les héritiers de Martin Luther King, Nelson Mandela, Gandhi?». Y participaient Doudou Diene, Jean-Marc Ayrault, ex-premier ministre de la France et président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, des jeunes danseurs urbains de Vénissieux de la Cie Second Souffle, des jeunes Citoyens d’or, Karim Mahmoud-Vintam des Cités d’Or, l’assitant de Babacar Mbengue, Maire de Dakar Hann-Belair Sénégal, présent aussi. Edgar Morin,, annoncé, s’est excusé, étant souffrant. Il célébrait ses 94 ans le jour suivant…

Il était intéressant de suivre les propos des jeunes qui se réfèrent au racisme, à l’exclusion tout en initiant des démarches créatives pour se donner des horizons plus constructifs. Un certain découragement affleure, certes, mais la «résistance» demeure un moteur puissant de ces acteurs de la Cité, qui ont choisi d’aller à la rencontre des figures inspirantes pour lutter contre les injustices. Il y avait ici un véritable rayon d’espoir. Prenant la parole, Doudou Diene a expliqué qu’en Afrique, «l’homme n’est pas un loup pour l’homme » et que « l’homme est le remède de l’homme». Il a exprimé le sentiment que quelque chose est en train d’avancer au niveau des prises de conscience pour agir de façon solidaire et transnationale: «Nous sommes dans une période de profondes mutations sociales. Il y a des idées novatrices, des mobilisations pour l’humain. Par exemple, aux USA, de nos jours, suite aux politiques anti-migrant de Trump, il y a des villes, dont San Francisco, qui ont décrété qu’elles étaient des villes-sanctuaires pour les migrants. C’est fondamental. Pour résister à la politique qui sépare les familles, ces villes ont décidé que l’état fédéral ne pouvait appliquer ses lois dans les cités dénonçant cette façon d’agir. Des nouvelles résistances se développent. Installons-nous donc dans une perspective longue. Il y a de l’espoir car partout on désire faire quelque chose ensemble…»

Jean-Marc Ayrault, lui emboîtant le pas, a fait part de son implication dans la mémoire de l’esclavage et de la nécessité de reconnaître ce fait: «L’esclavage a été déclaré crime contre l’humanité. A Nantes, ville dont je suis le maire, on a pratiqué les traites et l’esclavage. Et il nous a fallu reconnaître cette mémoire douloureuse. Cela n’a pas été facile. Après la reconnaissance par la ville de son passé négrier, nous nous sentons mieux. Il faut donc se parler et reconnaître la mémoire et l’histoire de l’autre». Sages paroles que je ne peux qu’entériner. Invité à prendre la parole, je renchéris sur la nécessité de dépasser la notion de «devoir de mémoire» pour accomplir un réel travail de mémoire, nécessitant un dépassement pour une construction solidaire, inter-mémorielle, de nos histoires. Je parlai de l’espoir que ce type de rencontres entretient, dans un monde où chacun se sent coupé de l’histoire de l’autre, où l’on fabrique des altérités dans les réseaux sociaux ou ailleurs. Ces problèmes «de l’autre» crée un monde anxiogène qui préoccupe chacun. Et il faut continuer à agir contre ces fabriques de haine.

Le lendemain, lors de l’assemblée réfléchissant «aux avancées du Conseil de sécurité de l’humanité, pour construire une mondialité apaisée et apaisante», je parlai de la Maison de la sagesse Fès-Grenade, créée pour réactualiser et adapter la convivencia (vivre avec l’autre) expérimentée an nord de l’Afrique et au Sud de l’Europe, en passant par le Moyen-Orient, l’Asie Centrale et au-delà: «Nous gardons vivant l’esprit de la dynamique des rives, des routes et des imaginaires culturels, linguistiques et sociétaux qui ont marqué les échanges humains». Un débat mettant en évidence la démocratie participative rappela que «Le Conseil de sécurité des Nations Unies défend les intérêts des nations mais ne semble pas défendre l’ensemble de la famille humaine. Tout citoyen averti peut se sentir parfaitement concerné par la création d’un Conseil de sécurité de l’humanité articulé avec un Conseil des sagesses». Des groupes s’exprimèrent sur cette idée, portée par Patrick Viveret, Henryane de Chaponay, Doudou Diene et les représentants de nombreux ateliers et éco-villages. Diene et moi-même partagèrent un avis: le conseil de sécurité, phoniquement et sémantiquement, rappelle trop celui de l’ONU, structurant à la verticale, et ne créant pas les conditions d’une paix «élargie et durable». Nous proposions à la place, l’appellation suivante: Réseau Mondial des Solidarités Humaines. «J’ai trouvé cette idée magnifique, mais en prenant avec des pincettes le mot «sécurité», qui organise le monde actuel, et se situe aux antipodes de la liberté individuelle». On pensa alors au terme «sécurités humaines»… Idée qui germera, je l’espère en un corps/assemblée conciliant horizontalité et verticalité, car il y a urgence pour que la planète se pense et agisse différemment. Diene dénonça l’idée du libéralisme actuel que «c’est le marché qui règle tout et qu’il faille déléguer les décisions aux mains de certains puissants qui le règlent»…

Pour conclure, provisoirement, je dirai que ces Dialogues sont une expression formidable d’une nouvelle citoyenneté en acte. Partageant un fabuleux repas sénégalais avec le doyen Aliou Seye et la délégation de Dakar, je pensais qu’une des causes de notre difficulté à résoudre les problèmes en termes humains et planétaires c’est que nous ne nous considérons pas encore comme une espèce et encore moins une famille. Cela nous arriverait si des extraterrestres nous menaceraient. Là, on se dirait : ceux-là ne sont pas humains comme nous, donc il nous faut une réaction planétaire, globale. Cependant, je pense que la nature elle-même et les grandes menaces climatiques actuelles pourraient jouer ce rôle fédérateur. Face aux signaux de destruction venant de la Terre elle-même et non pas forcément d’une entité extraterrestre, la sagesse peut faire son chemin. C’est notre maati, notre pachamama, notre mère-Terre qui pourra nous faire prendre conscience que nous sommes une espèce humaine et non des «races» ou des états en concurrence sur cette planète menacée qui risque de ne plus nous nourrir ou nous héberger…

Sous les arbres du parc de la Tête d’Or de Lyon, il y a une conscience qui agit déjà. Et elle est de nature à converser avec les sagesses du monde pour «gouverner» autrement et nous confronter autrement aux problèmes cyclique des humanités. Prochain rendez-vous, Dakar.

© Khal Torabully, 11/07/2018

  1. https://blogs.mediapart.fr/pierre-carpentier/blog/170416/le-carnet-dimmersion-de-khal-torabully-nuit-debout-lyon-une-veillee-solidaire

 Viré monté