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Cahier d’un retour impossible
au pays natal

 

Khal Torabully

 

 

 

 

 

 

 

 

Cahier d’un retour impossible au pays natal, Khal Torabully • Éditions KA • ISBN 9782910791667 • 2009

Cahier d’un retour impossible au pays natal

Khal Torabully est auteur d’une vingtaine d’ouvrages. Il est remarqué pour sa contribution exceptionnelle sur l’engagisme, notamment par sa poétique de la coolitude, étudiée par des chercheurs et universitaires de plusieurs pays. Il est le fondateur et directeur artistique de la caravane francophone de Maurice. Il a participé à des festivals dans de nombreux pays et a reçu des prix internationaux. Il est récipiendaire de la bourse du Centre National du Livre en 1997 et d’une bourse de Création du Centre National du Livre (France) en 2002. En avril 2009, le Colloque de Montpellier sur l’imaginaire diasporique consacra un séminaire à la coolitude, et à Barcelone, il anima un récital polyphonique sur les imaginaires de l’océan Indien. Raphaël Confiant le considère comme le plus grand poète de la créolité. Pour Césaire, la poésie de Torabully lui fait «retrouver toute son humanité»…

Sur Le Cahier d’un impossible retour au pays natal: Le poète, après avoir arpenté Cuba, le Mexique et d’autres espaces, prend fait et cause pour le peuple de Diégo Garcia, arraché à sa terre, et parqué dans les faubourgs de Maurice. Il réclame un retour au pays natal. Dans la traversée du cri de ces sans-voix, le poète Khal Torabully rappelle Aimé Césaire, son grand complice, pour qui le poème est un suprême acte de résistance. Le résultat: ce texte, un puissant acte d’amour pour le peuple chagossien, ce Petit Poucet, qui en ce moment même, enchaîne procès après procès contre l’Angleterre, qui «excisa» Diégo Garcia, pour le louer aux américains, et ce au mépris des lois internationales les plus élémentaires…

«Je suis le fleuve impétueux qui gronde en moi, je remonte le temps au dernier jour du paradis», extrait du livre.

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Entrevue

À l'occasion de la sortie de sa dernière œuvre de poésie «Cahier d'un retour impossible au pays natal.» Kahl Torabully a répondu aux questions de Potomitan.

Khal Torabully, qu’est-ce qui vous a poussé à dédier votre dernier ouvrage poétique aux Chagossiens? 

Je pense que les Chagos demeurent un bât qui blesse en permanence la conscience mauricienne, en ce qu’ils pointent du doigt le fait que le territoire mauricien a été dépecé par la puissance impériale britannique, qu’il y a eu des négociations entre la Grande Bretagne et la colonie d’alors, et nous héritons de personnes spoliées, jadis apatrides, maintenant écartelées de promesses en procès, et c’est une situation qui risque de perdurer. Donc, c’est un problème récurrent à Maurice, je veux dire, pour ma part, j’en entends parler depuis mon adolescence. Comme beaucoup, j’ai été très touché par l’exil forcé de ce peuple, parqué sur des bateaux, venu gonfler le lot des indigents de Maurice. J’y étais très sensible parce que mon père, trinidadien d’origine, avait dû quitter son île, et je comprenais le sens de l’exil de ces pauvres hères, complètement déboussolés, jetés sur une île si dissemblable à la leur. Je les avais vus cantonnés dans le Jardin des Compagnies, pas loin du Parlement mauricien, et ils habitaient dans ces «cabanes» en carton, tant ils étaient dans le dénuement. Je voyais, pour ainsi dire, une plaie béante de la colonisation, tout comme les guerres dites raciales de 1968 ont laissé un goût de sang amer à la nation mauricienne naissante. Pour revenir aux Chagos, ce cas avait traumatisé des consciences à Maurice, car on a vécu le démembrement de Diégo Garcia, qui faisait partie du territoire mauricien, suivant la loi de partage/partition territorial(e) établie par les britanniques dans l’océan Indien, comme une espèce de castration symbolique de la conscience nationale mauricienne, car peu après, en mars 1968, Maurice accédait à son indépendance… Castration car on quittait une relative insouciance d’état couvé par la puissance britannique pour assumer une identité où le divers était encore à articuler, pour entrer dans le concert des nations, être une île, un pays parmi d’autres. Cette «excision» est, avec la guerre raciale précédant l’indépendance, un des faits majeurs qui imprimait de façon indélébile dans notre imaginaire que nous étions une petite nation qui fragile, et que la décolonisation nous a fait perdre, de façon violente, beaucoup de notre «innocence».

Vous parlez de cette «partition» de façon très précise, comme si on avait découpé quelque chose de la chair même de votre pays natal…

Oui. Les Chagos représentent un fort désir de mise en relation, d’archipélisation car ce pays est constitué de 7 atolls coralliens parmi les plus grands au monde et comporte une cinquantaine d’îles. Le destin de nos îles, c’est la mise en relation, c’est le désir de s’agglutiner comme le corail, de se relier, et dès le début de notre indépendance, l’empire britannique a nié cet élan naturel. À l’archipélisation, il répond par l’annexion. En  démembrant, c’est le terme utilisé avec excision, qui dénotent tous deux une «castration» les anglais empêchent l’archipélisation entre les états insulaires de la région. Cette blessure fondamentale suppure constamment chaque fois que les Chagos reviennent à l’avant de la scène. C’est, au niveau géopolitique, une autre forme de «diviser pour régner». La partition de l’Inde a aussi marqué Maurice, et on pourrait dire que les Chagos, c’est un peu une réplique indiaocéanique de cette secousse sur le sous-continent indien.

Connaissez-vous personnellement des Chagossiens? Comment vivent-t-ils leur exil forcé? 

Oui, j’ai rencontré leur doyen avant de faire mon film Pic Pic, nomade d’une île en 1996. C’est le tout premier film qui met en scène un «nomade» des Chagos. Cet homme digne m’a raconté leur existence «édénique», pétrie de socialisme primitif, idyllique, sur ce bout de terre. Le film se fait l’écho de cette complainte (fondée?) du paradis perdu. J’ai aussi rencontré d’autres personnes à la Baie du Tombeau, proche banlieue de Port-Louis, et j’ai toujours été ému de leur sort, d’autant plus que certains ont profité de la misère des îlois (autre nom des Chagossiens) pour s’enrichir… Entre damnés de la terre, parfois, il y a des répliques de domination, de colonisation au second degré, qui sont édifiantes… Il y a deux ans et demi, j’ai rencontré Olivier Bancoult, chef de file des chagossiens ou habitants de Diégo Garcia, et je lui ai donné le manuscrit du Cahier d’un retour impossible au pays natal à lire. Il avait gagné un procès contre la Couronne britannique, et il m’a dit que le texte l’avait fait pleurer. J’en étais bouleversé aussi, car il était touché du fait que je m’étais intéressé à leur sort et leur combat, et ils sont toujours à la recherche d’appuis dans la population mauricienne, et au niveau international. Je pense qu’en plus de leur combat juridique, il leur faut un ancrage de leur exil, de leur arrachement, dans l’imaginaire de Maurice et de la région.

Pensez-vous que la présidence d’Obama pourra modifier leur destin? 

Je l’espère… Mais il ya aussi une réalité géostratégique, qui est à la base de l’éviction des chagossiens de leur terre. L’île est vraiment la clé de l’océan Indien, c’est, si je puis dire, un porte-avion immobile, naturel, et il se situe du la route du pétrole, et proche de pays sensibles comme l’Irak et l’Afghanistan. Les B52 décollaient de Diégo Garcia pour bombarder l’Irak, et les USA ont fait des Chagos une base nucléaire. Voici une autre blessure pour nos pays, cette épée de Damoclès qui est sur nos têtes, alors que nous avions souhaité une zoné dénucléarisée dans cette partie du monde. Obama a suscité des espoirs, mais la guerre continue, donc, je vois mal, dans l’immédiat, comment ils se désengageraient de cette île. J’ai eu une conversation ave Olivier Bancoult, qui s’envolait la semaine dernière pour les USA, pour parler des Chagossiens, et essayer d’infléchir la position des américains. Il paraissait positif, mais l’avenir nous dira quels sont les fruits de ses efforts…

Comment et quand avez-vous commencé à écrire ces textes?  

Cela m’est venu il y a deux ans et demi, quand les Chagossiens avaient voulu retourner au pays natal, à Diégo Garcia. Certains avaient voulu le revoir avant de mourir. Il y avait eu tant de voyages déçus, reportés, et cette fois, ce retour était tangible. Ce fait avait soulevé beaucoup d’espoirs chez les Chagossiens. Mais, cette attente est sans cesse remise en cause lors des procès, appels sempiternels et les autorisations refusées de se rendre aux Chagos… J’avais dit à Olivier Bancoult que je pensais que ce retour était, dans les temps et circonstances actuelles, assez utopiques, d’où le titre de l’ouvrage. Dernièrement, Catherine Boudet, poétesse réunionnaise, l’a soumis à Carpanin Marimoutou, universitaire et responsable du projet La Maison des Civilisations et André Rober, des éditions K’A, qui l’ont publié. Je trouve significatif qu’un éditeur réunionnais, qui célèbre bientôt ses 10 ans d’existence, ait adopté ce texte, car La Réunion, principalement de par l’engagement de la Ville du Port et de son maire, a toujours soutenu le combat des Chagossiens.

Quel est votre rapport avec le créole?

C’est ma langue maternelle. Donc, c’est souvent à travers elle que je vis toutes les autres langues. J’ai un rapport affectif avec le créole, et ai développé une relation esthétique avec lui, alors qu’on le bannissait des écoles. Cette année, j’ai participé à un rassemblement devant le Parlement mauricien pour que le créole soit inscrit comme langue officielle de Maurice, avec l’anglais et le français. Il me semble tout à fait normal que cette langue ait droit de cité et qu’elle ne subisse pas l’exclusion due à une rémanence de la colonisation. Cette langue intéresse aussi les écrivains. À Maurice, chaque année, un festival créole international attire beaucoup de monde et il met en relation des créatifs créolophones.

Ecrivez-vous aussi en créole?  

Oui, j’ai publié KOT SA PAROL LA, et ai engagé DERNIER ZOUR DAN LA VI RATSITATANE, autre texte créole avec les éditions LPT de Maurice. Cette langue est extraordinaire, elle est «jacassante», neuve et poétique. Je suis ancré dans son esprit neuf, qui bouleverse les barrières, les conventions, les normes étriquées.

Je vous remercie, Monsieur Khal Torabully.

Propos recueilli par Francesca Palli, 9 octobre 2009.

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