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Dire du Monde

Villes fantômes en Andalousie

Khal Torabully

Déjà, en décembre 2011, j'avais remarqué des villes fantômes dans les environs de Malaga.

J'essayais de comprendre comment l'immobilier avait promis des châteaux en Espagne, avant de s'écrouler comme un château de cartes.

Dans la plaine de l'Alhausin, entre Mijas village et Mijas Costa, l'on rencontre ces "urbanizacion", ou complexes résidentiels, qui jalonnent les routes et les collines de cette partie de l'Andalousie, jadis l'eldorado de l'immobilier.

Cette région, investie depuis une vingtaine d'années par les Britanniques, se vide peu à peu de ses riches étrangers. Et des urbanisazions fantômes prolifèrent, terminées ou laissées à l'abandon, à divers stades de la construction. Ces immeubles invendus, véritable plaie dans le paysage, avoisinent le million dans la péninsule ibérique.

De quoi générer de la sinistrose, d'autant plus que dans certains coins de l'Andalousie, le chômage avoisine les 70%.

L'Andalousie, l'adieu aux rêves du propriétaire transfrontalier?

Cette partie de l'Espagne, avec un ensoleillement exceptionnel (la région de Grenade abrite le premier parc européen de capteurs solaires, et les Allemands viennent s'y inspirer), où l'on peut skier et se baigner dans la même journée, comme au Liban, a toujours fait rêver les peuples.

On peut y goûter les fruits continentaux et tropicaux (il existe une côte tropicale au sud de Grenade où poussent mangues, canne à sucre et bananes). On y trouve vallées plaines et collines, pas loin des côtes africaines. L'Andalousie était la terre promise du bâtisseur.

Mais le rêve brisé est amer...

Mes amis me racontent de nombreuses histoires de jeunes qui ont préféré s'improviser maçon, carreleur etc plutôt que de suivre des études, attirés par l'argent facile dans la construction, car il y avait un besoin colossal de main-d'oeuvre dans le bâtiment. Aujourd'hui, avec l'effrondrement de ce secteur ils se retrouvent et sans emploi et sans diplôme...

Et souvent obligés d'aller voir si l'herbe est plus verte ailleurs.

Le paradis du bâti est une bulle spéculative

Les attraits naturels et géographiques et climatiques de l'Andalousie, les Anglais les ont bien jaugés, en investissant massivement ici, dans les années 80, alors que la livre sterling était forte.

Ils réalisaient le rêve de propriété presque à 50% moins cher qu'au Royaume-Uni, avec le soleil en prime.

Et les locaux voyaient en l'installation massive des Britanniques en Andalousie une invasion mal vécue.

Dans les villages de l'Alhausin, on voit encore des enseignes de boutiques et de commerces en langue anglaise.

Après cette vague anglaise, la croissance par l'immobilier semble devenir l'apanage des investisseurs, acteurs économiques, spéculateurs, des banquiers et des politiques en Espagne.

Et le pays devint un vaste chantier de constructions. Furent mis en vente les projets aussi divers que des villas de luxe, des appartements dans des urbanizacions avec golf, tennis, piscines rappelant la verte Floride.

Tout cela enfla et enfla, comme on le sait.

L'Espagne avait le vent en poupe, utilisant les euros à foison, et tout le monde crut que cette politique immobilière était la nouvelle manne, intarissable, par essence.

Mais une économie qui ne repose que sur la construction n'est pas forcément une économie productive, surtout à l'aune de la mondialisation.

Et il y a 4 ans, la bulle creva.

Entraînant dans son sillage des faillites en chaîne. Laissant dans le paysage, des chantiers abandonnés, et des chantiers terminés, mais sans acquéreurs.

Ou encore, beaucoup "d'heureux propriétaires" qui, touchés par la crise, ne pouvant plus rembourser leurs prêts, se virent confisquer leurs demeures par les banques.

Une pratique plus que douteuse fleurit sans honte dans le pays : la banque saisit le bien du débiteur à un prix moindre auquel il était acheté, puis la personne dépossédée se voit contraint de rembourser le reliquat du prêt, à la différence des faillites aux USA, où, une fois son bien confisqué, le débiteur insolvable n'a aucune obligation de payer encore le prêt. En Espagne, la banque a alors créé un portail immobilier..pour revendre au prix du marché, les biens qu'elles ont confisqués!

Cette "double peine" a été l'élément déclencheur du mouvement des indignés ibériques, comme on le sait.

Terre bétonnée, terre sinistrée

En traversant l'Andalousie, terre du mirage du béton, je saisis combien l'Espagne est sinistrée.

Des urbanizacions entières sont tout simplement sans habitants.
Dans la nuit, roulant sur les routes, je vois, dans un ensemble d'immeubles, deux ou trois appartements éclairés. Des propriétaires qui ont pu payer avant la crise, et qui doivent bien se sentir seuls dans un océan de désolation.
C'est à ce moment que je mesure le gâchis : durant ces bonnes années, l'Espagne n'a pas créé d'autres richesses avec tous ces moyens humains, financiers et autant d'énergie vive. Comme si l'appât du gain facile avait aussi aveuglé les politiciens, qui, dans de nombreux projets, ont fermé les yeux sur les règles à respecter. Surtout en Andalousie, où je constate des immeubles bâtis sur des terrains réputés non constructibles, en zone réputée protégée pour raison écologique.
Beaucoup de beaux sites de l'Andalousie ont commencé à subir les outrages du béton. Un des premiers bienfaits de la crise, c'est d'avoir stoppé cette dégradation de la nature et du paysage d'un des plus beaux espaces de l'Europe.
Je pense aussi à la silhouette déglingandée de Don Quichotte, dévalant les collines, prêt à se battre conte les moulins à vent, désertés, sans visage, de la monétarisation mondiale.
Combien de moulins à vent encore, pour comprendre le sens du vent économique?

Le temps de la parole

L'andalou a compris, trop tard, le piège de la construction comme pilier de la prospérité.

Il essaie de retrouver les liens familiaux, sociaux, qui amortissent les crises. (ces liens familiaux ont toujours été là)

Des villages de troc s'organisent.

Encore dérisoires face à l'ampleur des dégâts.

Il fut un temps, les Arabes avaient imaginé le paradis en Andalousie.

Et ils y ont installé une culture et ses merveilles, entre ses conflits et ses rivalités.

Les temps ont bien changé.

Je vois, dans la nuit, alors que la voiture va vers Ibiza, un château sur la crête d'une colline.

Il a l'air de dévisager les urbanisations, avec golf, piscine et tennis, mais sans âme qui vive.

L'air de se demander qui viendra encore construire d'autres châteaux en Espagne, devenue un champ de désolation et d'indignation.

Les Anglais, eux, frappés de plein fouet par la baisse de leur pouvoir d'achat, rentrent de plus en plus vers leur pays pluvieux, en sachant que là-bas aussi; il ne fera pas meilleur, car la crise a étendu ses tentacules sur de nombreuses contrées du vieux continent.

Le temps de la parole est arrivée, avec les bruits des casseroles, et l'occasion de reprendre souffle dans une économie sinistrée, conçue sur le béton aussi fragile qu'une bulle, et qui a épuisé tout un pays.

Mais je crois en l'Espagne, qui garde intactes ses qualités humaines de solidarité.

(c) Khal Torabully, juin 2012.

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