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Annou voyé kreyòl douvan douvan

Le silence de la lumière.

Umar Timol

Elle sait, quand il lui parle, qu’elle tend vers une chose. Qu’elle n’arrive pas à saisir. Qui échappe aux mots. Et elle aimerait trouver le mot exact. Le mot précis. Elle n’aurait plus alors à y penser. Le mot parviendrait à bout de cette chose.

Quel est donc ce mot? Achèvement? Complétude? Non, ils ne conviennent pas. Cette chose est bien trop mêlée pour qu’on puisse aisément la définir.

Une amie lui disait récemment qu’il faut qu’elle cesse d’intellectualiser. Cesse donc de réfléchir. De tenter de comprendre. Vis le moment présent. Sois enfin dans ton corps.

Ce serait plus simple, en effet. Pas lieu de se soucier d’une définition. Se laisser aller. Emportée par le courant, par la vague.

Mais elle sait, en même temps, qu’une chose survient quand elle lui parle.

Comment donc la définir?

Maintenant qu’elle n’est plus très jeune elle se méfie de ce qu’elle appelle ‘la mystique des émotions’. Accorder un statut particulier à une émotion. Le réel est prosaïque, bien plus qu’on ne le croit. On ne l’attrapera donc pas à utiliser un mot grandiose.

Il faut se contenter d’un mot limpide. Et simple.

Son amie lui en a proposé un, au hasard, le premier qui lui est venu en tête, lumière. Un mot universel, qui se prête à toutes les circonstances. Qu’en penses-tu?

Elle n’a pas su quoi lui dire. C’est un mot bien commun. Puis elle s’est mise à y réfléchir. Pourquoi pas après tout? Ce n’est toujours pas le mot exact mais elle l’aime bien.

Lumière donc.

Cette chose est lumière si la lumière est le sentiment d’être au plus proche d’un être, de lui ressembler, de pouvoir tout lui dire, d’être son miroir.

Il faut qu’elle s’arrête cependant. Elle se méfie des mots. On n’arrive plus, à un moment, à les contrôler. Ils disent plus qu’il n’en faut.

Mais elle aime bien la lumière. À défaut de mieux. Cela ne l’empêchera de chercher un autre mot. Elle a à sa disposition de nombreux dictionnaires.

La lumière lui suffit pour le moment. Et elle ne succombera pas aux mots, les mots sont capricieux, il faut les dompter.

Elle dit parfois à son amie que les mots peuvent tuer. Qu’est-ce qu’elle rigole alors. Mais qu’est-ce que tu racontes? Il faut que tu cesses de réfléchir. Vis enfin.

Elle veut alors lui expliquer ce qu’un mot peut tout faire, que l’histoire du monde est celle des mots, que toute histoire est celle des mots. D’où la nécessité de la précision. Les mots tuent.

Mais elle se tait. Il faut sans doute qu’elle arrête de se prendre la tête. Elle a raison.

La lumière lui suffit donc pour le moment.

Elle n’en dira pas plus.

Elle ne dira pas, même s’elle en a envie, qu’elle veut s’imprégner de cette lumière, qu’elle veut que son corps cesse d’être, qui éclate, qu’elle s’éparpille afin d’être dans cette lumière, qu’elle veut se fondre dans cette lumière afin d’être sa lumière, qu’elle veut démêler de son corps toute lumière afin qu’ils soient lumière, qu’elle n’est de bonheur plus viscéral que cette lumière, qu’elle est prête à toutes les agonies afin que cette lumière soit.

Elle ne tend vers rien en lui parlant puisqu’elle est dans la lumière, puisque l’essentiel le crucifie.

Elle ne dira rien de tout ça. Elle ne dira que le silence de la lumière en attendant de trouver le bon mot. Celui qui exorcise le désir.

boule

 Viré monté