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Annou voyé kreyòl douvan douvan

paradis

Umar Timol

ne ris pas, s'il te plaît, je sais que ce n'est pas très sérieux mais je compte t'emmener au paradis, ce sera mon paradis à moi, différent des autres mais mon paradis quand même, je l'ai construit, figure-toi, avec mes mots, ces mots qui sont comme des papillons qui se fanent un peu partout, je les attrape avec des filets grands comme ça puis je les mets dans un petit sac bleu avant de les disperser dans la nuit et alors ils s'altèrent selon les rêveries de tes lèvres et de tes mains douces, si douces, mon paradis à moi c'est un peu toi, c'est ta peau qui me rend un peu fou, c'est ton âme, si dénuée, si pure, qui parachève les deuils de la mer, dans mon paradis à moi, il n'y a pas grand-chose à faire, on se contente de se regarder, dans les yeux, tout au fond des yeux, et on s'aime et ça dure longtemps, très longtemps, comme une éternité et c'est fort, tellement fort qu'on a envie de sautiller, de courir, de s'envoler, dans mon paradis à moi, on n'a ni soif, ni faim, on ne vieillit pas et on n'a surtout pas peur, il n'y a qu'une chose de vraie, de vraiment vraie, c'est qu'on s'aime, encore, très fort, très très fort, dans mon paradis à moi, ne ris pas, s'il te plaît, on ne parle pas ou très peu, on aime bien le silence, c'est beau le silence, le silence cache tellement de choses, de choses merveilleuses, c'est comme ces pierres précieuses qu'au découvre tout à coup au fond d'une mine, pierres éblouissantes, pierres qui n'arrêtent pas de scintiller et, vois-tu, je compte rendre mon paradis à moi encore plus joli, capturer d'autres mots, des mots plus vivaces, plus folâtres ou plus sages, des mots qui te ressemblent et mon paradis sera tellement joli alors qu'on pourra y convier toutes les personnes qu'on aime, ceux qui croient encore à l'innocence, ceux qui aiment jouer et rire et ce qui est vraiment bien dans mon paradis mais c'est difficile d'en parler c'est qu'il n'y a pas de toi et de moi, tout est un peu confondu, mélangé, on n'a plus vraiment un corps parce qu'on se disperse dans les autres corps, c'est étrange mais c'est beau, on se sent bien, on comprend que nous sommes tous un peu pareils et que c'est notre cœur un peu aveuglé, un peu rouillé qui nous empêche de voir, de comprendre, mon paradis à moi c'est un peu toi, mon ange, fascinante et inaccessible et je sais que tu ne m'aimes pas mais ce n'est pas grave car ces mots qui composent mon paradis émanent de toi, mots qui sont comme une vieille photo ou une vieille gravure, qu'on a oubliée dans un placard, mots qui serviront à rappeler au temps, à la mort, que je t'ai aimée, pendant un temps, combien de temps, je ne le sais, mais que je t'ai aimée et que c'était fort, plus fort que tout et qu'il n'y avait, alors, rien, sans doute, de plus important, rien.

Viré monté