Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

né pour écrire

Umar Timol

il est né pour écrire, il le sait, rien n'y fera, c'est plus fort que lui, plus fort que toutes les invectives du doute et du découragement, il faut donc se débarrasser des alibis traditionnels, il faut s'en débarrasser, les mettre au placard, les jeter dans un fleuve ou une poubelle, il est donc né pour écrire, ce qui ne signifie par pour autant qu'il n'exercera pas le devoir et l'amour mais il doit écrire car il y a en lui, quelque chose, d'intempestif, qu'il n'arrive pas à expliquer, qu'il ne veut plus expliquer, il est ainsi parfois possédé, il est en état de poésie et les mots défilent, vite, très vite, comme des chacals qui se ruent sur une carcasse, il n'y a rien à faire, il ne peut pas les maîtriser, les gérer, les mots lui donnent le vertige, les mots tournent, volent, furtivent, courent, galopent dans sa tête, vite, toujours plus vite, ils n'ont qu'une envie, accéder, par tous les moyens à la page, ils sautillent, dansent dans sa tête, c'est parfois comme  une ballade, calme, sereine et tendre, qui égaie ses doigts, parfois une onde qui émane du vide et qui renverse tout sur son passage, c'est fort, vraiment trop fort et il en a un peu peur car il ne sait d'où ça vient, s'il y a un autre en lui, il se le demande mais il faut arrêter de se poser des questions, de chercher à comprendre, il n'y a rien à comprendre, il est né pour écrire, c'est comme ça et il n'y peut rien, il n'y pas lieu de guerroyer ou de s'en vanter, il faut tout simplement laisser faire, laisser les mots prendre le dessus, laisser les mots se nicher dans sa tête, son corps avant d'éclater sur la page et il y a désormais un sentiment d'urgence, le temps passe vite, trop vite, il voit gémir au loin, la fin, il doit écrire tout, tout de suite, il doit aller au bout de lui-même, au bout de ce qu'il est, de ce qu'il y a en lui, pour en extraire la matière, son essence, songe ou démon, il ne le sait trop mais il doit descendre, plus loin, toujours plus loin, excaver, excaver encore, absolu ou précarité, il ne le sait trop, il doit arriver aux confins de ce qu'il est pour en extraire le POÈME,  il y a urgence et il faut écrire, tous les jours, chaque instant, chaque seconde pour dire ce qui l'habite, le ronge, il le faut, les mots se situent à l'envers du moindre de ses gestes, parler, rire, souffrir, travailler, les mots jaillissent de tous les pores de son corps et il sait qu'un jour il parviendra à tout écrire, à tout dire, que les mots jailliront d'un seul trait, qu'il n'aura rien à faire, seulement se laisser guider, il n'aura rien à faire, et les mots jailliront comme un vol d'aigles ou de loups pour inonder la page entière et il écrira à l'entrecroisement du temps, il ne s'arrêtera pas, une seule et unique phrase, limpide et trouble qui s'étendra indéfiniment, qui l'épuisera, qui l'expurgera de tout ce qu'il y a en lui et il ne restera ensuite qu'une loque ou une épave, prête pour le tombeau, qui servira d'os à un pauvre chien ou de repas à des vers, qui diront, d'une même voix, que celui qui est né pour écrire est mort, que le poète est mort mais que vivent ces mots, que vivent ces mots.

Viré monté