Potomitan

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Annou voyé kreyòl douvan douvan

Umar timol

 

Son corps a depuis longtemps cessé d’exister, les mots l’ont travesti, les mots l’ont transformé, ils en ont fait une chose, quelconque, sans importance, un corps qui se plie aux rites de tout corps, manger, boire, vivre, être, ce corps n’est plus rien, pas un pantin, mais semblable à un creux dans le temps, les mots l'ont complètement investi, il n'y a pas lieu de se battre, pas lieu de se révolter, d'ailleurs elle est bien ainsi, elle a choisi de s'accoupler avec les mots, offrir son corps aux mots, mots qui sont en elle, qui dévalent en elle, mots qu'elle crache sur la page, tant de mots engorgés en elle, dont elle doit se débarrasser, elle n'en peut plus parfois, les mots l'étouffent, la tourmentent mais elle les aime, elle en a besoin, un besoin sanguin, viscéral et les jours sans mots la ramènent à ce qu'elle est, à sa présence, à son être, égaré dans le lacis du regard des autres, soumis à ses désirs, vivre, respirer, jouer à être mais elle replonge très vite, corps qui se dénoue dans les eaux limpides des mots, renouer ainsi avec cette étreinte, toujours plus vive, presque violente, comme des ombres qui l'étranglent, les mots sont ainsi, il n'est rien de plus puissant et les mots se font en elle et les mots deviennent fragments, poèmes, nouvelles, qu'importe le nom qu'on leur donne, il lui importe peu les définitions, il lui importe peu l'esthétique, si leur agencement suscite la beauté ou pas, elle n'y est pas tout à fait indifférente certes mais le plus important est ailleurs, elle leur appartient et il faut qu'elle leur obéisse et son corps désormais asservi est désormais libre car il a trouvé sa voie, il lui faudra certes être au monde, il est des devoirs qu’on ne peut résilier mais ce corps a trouvé sa voie, se déposséder de tout ce qui n’est pas mots, être le dépositaire des mots, les transmuer en soi, les vomir sur la page, ne pas s’arrêter, jusqu'à que ce que son corps s’épuise, qu’il n’en reste plus rien sinon un peu de lumière, celle des mots à venir, en attendant sa nouvelle incarnation, qu’importe sa forme, qu’importe, les mots sauront attendre.

Viré monté