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Le testament d’un chat

Umar Timol

Je suis un chat comme les autres.

Pour s’en convaincre il suffit de m’observer. Rien, mais rien, ne me distingue des autres chats. Je suis rond, gros et poilu. Et j’ai perpétuellement cet air éperdu des grands maitres de la paresse.

Ou du moins c’est ce qu’on croit.

Les hommes disent qu’il faut se méfier des apparences. Et ils ont, pour une fois, sans doute raison.

Car je ne suis pas un chat comme les autres.

Figurez-vous que je m’exerce, depuis de nombreuses années, à tuer des hommes. Je sais que cet aveu risque de choquer plus d’un. Mais il est le temps des confessions et je suis convaincu que ce document servira les générations futures. Je dois donc tout avouer, expliquer comment je suis devenu un meurtrier impitoyable.

Je me répète (je suis pédagogue dans l’âme), j’ai tué des hommes et je n’éprouve aucun regret.

Mais avant d’aller plus loin, une petite question pour vous irriter les méninges. Est-ce que vous avez lu Proust? Sans doute pas car nous vivons à l’ère de l’inculture. Le monde appartient aux incultes et aux cons mais il ne s’agit pas ici de digresser. Il est d’autres problèmes plus urgents et tout le monde n’a pas bécoté une madeleine. Il faut cependant avoir lu cet auteur pour comprendre cette épiphanie Proustienne (selon ma libre interprétation littéraire je précise) qui m’est un beau jour tombée dessus, ce moment quasi-divin, quand la structure du monde s’est révélée à moi, quand le ‘je’ chat est devenu un ‘autre’ chat. Les plus subtils risquent de m’accuser d’être un snob mais je suis cultivé et je ne m’en cache pas. Au pays des hommes, quiconque participe à une émission de radio crochet est une star alors que les écrivains les plus célèbres se morfondent dans l’obscurité.

Lisez Proust mes frères et sœurs en animalité et vous me comprendrez.

Je suis un véritable chat de lettres.

Mais revenons à nos moutons, ce qui vous en conviendrez est un comble pour un chat. Il est temps que je vous explique la genèse de cette épiphanie. Ainsi, avant j’étais un chat comme les autres et je vaquais à mes occupations de chat. J’avais un maitre, assez bête pour m’aimer comme un fou et c’était franchement la belle vie. Je me goinfrais comme un cochon, ce qui est quand même un comble, pour un chat. C’était une vie de luxure et de débauche, je ne m’en cache pas et il m’arrivait même parfois, j’ai honte d’en parler, de sauter une petite chatte, un petit coup très rapide, rien que pour s’amuser, avec une petite libertine. Pour être tout à fait franc, la fidélité et moi ça fait deux. Mais bon je digresse une fois de plus. C’était donc la belle vie et mon souci principal, ma raison d’être était la bouffe. Je suis un très fin gourmet et j’aime bien mêler ma petite langue de chat à de nouvelles sauces. On se méprend quand on croit que les chats sont les adeptes inconditionnels du lait. Pas du tout. Il m’est ainsi arrivé de bouffer une souris au miel ou même un pigeon à la sauce chili. J’ai vécu mes années bouffe. Et puis j’ai commence à réfléchir, je ne sais trop pourquoi, à la condition des chats. J’ai toujours eu un côté un peu intello mais comme je suis discret je préfère ne pas en parler.

J’ai longtemps observé mes congénères et un jour, tout à coup, (la fameuse épiphanie, survenu, je le signale pour la postérité, alors que je grignotais une banane) j’ai compris, oui, j’ai compris, que nous sommes les complices d’un asservissement consenti à un monstre, en l’occurrence, l’homme.

On rencontre évidemment des chats qui réfléchissent tout comme il est des ânes intelligents. Quant aux autres ils se contentent d’être les esclaves des hommes. Ils sont serviles. Ils n’ont absolument aucune dignité. Quel est le mal me direz vous.

That is the problem. Something is rotten in the state of the cats.

Les hommes sont donc des monstres. Il faut leur reconnaître des qualités, une intelligence hors du commun, la faculté de toujours dépasser ses limites, l’invention de l’art, de la technologie, ils sont même parvenus à se rendre sur la lune mais que de défauts, que de faiblesses, ils sont des criminels, des assassins, ils tuent, s’entretuent, des millions de cadavres parsèment les couloirs de l’histoire, ils détruisent, se détruisent. Mais à la limite cela ne nous concerne sauf qu’ils s’en prennent aux animaux, ils n’arrêtent de pas de nous tuer, de nous bouffer, la réussite de l’homme est synonyme d’apocalypse des animaux. Quand je pense, par exemple, au pauvre Dodo, j’ai des larmes aux griffes. Il était certes un peu con le gros Dodo mais est-ce qu’il méritait de disparaître?

Nous sommes, mes chers frères et sœurs en animalité, les victimes d’une extinction de masse dont l’auteur est l’homme.

Je tiens à apporter une précision, je ne les déteste pas, loin de là, mais j’établis un constat objectif, l’homme est un danger pour lui-même et pour les autres. Et il n’y a rien à faire. On ne pourra jamais le guérir de son égoïsme démesuré, de sa violence. Il faut donc s’en débarrasser. J’ai essayé évidemment dans un premier temps d’en parler à mes amis chats, je leur ai longuement expliqué la genèse de mes réflexions, mais ils ont refusé de m’écouter, certains m’ont même accusé d’être un fou, d’être un imbécile. C’était à prévoir car les opprimés sont complices de leur oppression, ca on le sait depuis fort longtemps.

Mais je ne suis pas chat à me laisser faire et j’ai donc décidé d’agir et j’ai pris le taureau, ce qui vous l’avouerez est un comble pour un chat, par les cornes. J’ai décidé d’exterminer les hommes. Veuillez ne pas croire que je suis un prétentieux, je suis chat comme tous les chats et je suis, par ailleurs, lucide, il y a plus de 6 milliards d’hommes, ils pullulent dans tous les coins de la terre. Est-ce que vous savez, mes frères et sœurs en animalité que plus de 4 humains naissent toutes les secondes? Non vous le savez pas car trop occupés à ronronner et à bouffer. Ils sont partout, ils prolifèrent comme des rats, ce qui est quand même un comble, vous en conviendrez, pour un humain. La tâche est insurmontable mais petit à petit, comme dirait l’autre, l’oiseau fait son nid. Et aujourd’hui, au bout de trois années de carrière, je peux dire fièrement que j’en ai tué une vingtaine, le nombre peut paraître dérisoire mais il s’agit de vingt monstres en moins.

Et puisque c’est le temps des confessions, je vais vous parler de ma méthode, puisse t’elle servir aux générations futures, puisse t’elle, au nom des chats, des chiens, des gorilles et des animaux, nous aider à vaincre les hommes car, je le sais, j’en suis convaincu, ma petite griffe me le dit, une nouvelle race de chats émergera, oui, une nouvelle race ce chats, courageux, intelligents, comme moi, qui combattra, avec vigueur et pudeur, comme moi. Ma méthode est toute simple, je m’approche d’un homme, qui évidemment croit que je suis un gros minet tout à fait gentil, je lui ronronne des câlins et soudain, alors qu’il est tombe sous mon charme, je lui saute dessus, enfonce mes griffes dans son cœur et le déchire en moins de deux. Il expire avant même d’avoir eu le temps de réfléchir. Vous avouerez quand même que la méthode est originale et qu’elle a le mérite d’être simple et efficace. Et c’est ainsi, qu’ au fil des années, j’ai tué et tué. J’ai tué des gros et des maigres, des intelligents et des bêtes, des vieux et des jeunes (mais pas d’enfants car je suis un chamaniste) et au bout du compte, il y a moins d’êtres humains sur terre. Belle réussite pas vrai. Il n’y pas lieu d’applaudir. Je sais, je sais, je suis très doué.

Arrêtez, mais enfin arrêtez, je vais rougir.

Revenons donc à nos moutons.

Il est temps maintenant, amis en animalité, d’agir. Chats, chiens, cochons, dindes, un spectre menace l’homme et il a pour nom: animaux. On parviendra à les vaincre. Il suffit de vouloir. Vouloir c’est pouvoir. Je n’ai pas la prétention d’être un guru mais il faut m’imiter. D’abord il faut libérer sa conscience, commencer à comprendre, par exemple, que votre sympathique maitre ou maitresse est un monstre, qu’il dévore au diner, un frère ou une sœur, VOTRE frère ou VOTRE sœur en animalité. Donc allez-y, n’hésitez pas, peu importe la méthode, mais il faut le tuer. Soyez sans pitié car l’homme est cruel. C’est un combat qui durera des millénaires mais, frères et sœurs, nous vaincrons, ce n’est qu’une question de temps. À bas les hommes et vive les animaux, les chats en particulier.

Il est temps que j’arrête.

Cet excès d’enthousiasme est en train de ruiner mes poils.

Je vais mourir bientôt. Je le sais.

On ne peut échapper à son destin. Mais j’ai fait mon devoir. Je suis parfaitement serein. Je suis un chat serein. Il m’arrive encore parfois d’avoir envie de bouffer un insecte à la sauce tomate ou de sauter une petite chatte, on ne se libère tout à fait jamais de la chair purulente, de ses pulsions, même les guerriers les plus tenaces cèdent à la tentation mais je suis un chat, chat envers tout et contre tout, chat avec ses qualités et ses faiblesses. Mais chat qui a œuvré, avec force, vigueur et pudeur, à la destruction d’un monstre, du monstre, l’homme!

Je vais donc bientôt mourir mais qui sait? Qui sait? Il paraît qu’on a neuf vies. Sornettes des hommes, vous me direz. Pas tout à fait. Il est des choses qui sont mystérieuses et je dirais même plus, il est des choses qui sont très mystérieuses.

Alors pourquoi pas? Me réincarner. Revivre pour en tuer encore.

Pourquoi pas?

Me réincarner pour que commence une nouvelle vie, renaître, en des temps nouveaux pour que commence la révolution, pour que commence l’extermination des hommes, au nom des chats.

Que le combat commence! Que les griffes soient avec toi!

Viré monté