VIII - Les langues de France et l'observation des pratiques
linguistiques.
Rappel du cadre législatif
Article 21 de la loi du 4 août 1994
Les dispositions de la présente loi s'appliquent sans préjudice
de la législation et de la réglementation relatives
aux langues régionales de France et ne s'opposent pas à
leur usage.
La France a signé le 7 mai 1999 la Charte européenne
des langues régionales et minoritaires. Cette signature s'accompagnait
de la déclaration interprétative et de la liste des
trente-neuf mesures (sur un total de 98, un minimum de trente-cinq
étant requis) dont le Gouvernement avait l'intention d'accompagner
la ratification de la Charte.
Par sa décision du 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel,
saisi par le Président de la République, a déclaré
que la Charte comportait des clauses contraires à la Constitution.
Il a jugé contraire aux normes constitutionnelles le préambule,
qui proclame un droit imprescriptible à pratiquer une langue
régionale ou minoritaire, non seulement dans la vie privée,
mais aussi dans la vie publique, ainsi que certaines dispositions
de la partie II de la Charte, que tout État signataire est
tenu d'appliquer, " en ce qu'elles tendent à conférer
des droits spécifiques à des groupes linguistiques
à l'intérieur des territoires dans lesquelles ces
langues sont pratiquées ".
En revanche, le Conseil a estimé qu'aucun des trente-neuf
engagements que la France s'apprêtait à souscrire n'était
contraire à la Constitution. Sa décision n'empêche
donc pas, dans le cadre des principes constitutionnels, de reconnaître
aux langues régionales toute leur place dans le patrimoine
culturel de la Nation.
Le Premier ministre a affirmé à plusieurs reprises
qu'une attention toute particulière doit leur être
portée. Il a notamment indiqué que le Gouvernement
prendrait des mesures permettant de mieux les prendre en compte,
notamment dans le domaine de l'enseignement et de la culture. Lors
de l'installation du Conseil supérieur de la langue française,
le 16 novembre 1999, il a souhaité que la délégation
générale à la langue française voie
ses missions élargies aux langues de France.
La Charte prévoyant que chaque État contractant doit
spécifier les langues auxquelles s'appliquent les dispositions
retenues au début de 1999, le professeur Bernard Cerquiglini
a été chargé d'établir la liste des
langues de France à la demande des ministères chargés
de l'éducation et de la culture. Son rapport recense 75 langues
dont 55 dans les DOM-TOM (cf. annexe). À la demande du Premier
ministre, un groupe de travail piloté par les ministères
de l'éducation nationale et de la culture a été
réuni pour déterminer à quelles langues devront
s'appliquer les mesures retenues. En l'état actuel des discussions,
les dispositions touchant à la culture et aux médias
concerneront l'ensemble des 75 langues recensées par le rapport
Cerquiglini, les mesures touchant à l'enseignement intéresseraient
les langues justiciables de la loi Deixonne.
La prise en compte de la diversité linguistique est présente
dans de nombreux débats de société. En témoignent
les discussions sur le futur statut de la Corse qui a une dimension
linguistique essentielle, le projet de loi modifiant et complétant
la loi organique du 12 avril 1996 sur la Polynésie française,
ou le projet de loi d'orientation pour l'outre-mer.
1 - La Culture
De nombreuses actions sont menées depuis longtemps dans
une perspective de valorisation des langues de France, mais jusqu'en
1999, le ministère de la culture et de la communication ne
disposait pas de crédits spécifiques pour les langues
régionales. Ces langues, en métropole comme outre-mer,
étaient prises en considération à travers les
différents champs d'intervention du ministère (patrimoine
ethnologique, musique, livre, théâtre, archives, musées,
cinéma, audiovisuel...).
En 2000, cette orientation continuée est renforcée
par l'inscription de crédits proprement destinés à
la valorisation des langues régionales au budget du ministère
(délégation générale à la langue
française). D'un montant de trois millions de francs dont
les deux tiers sont déconcentrés auprès des
directions régionales des affaires culturelles, ces mesures
nouvelles privilégient les objectifs suivants: sauvegarde
et valorisation du patrimoine linguistique oral ou écrit,
aide à l'édition sur et dans les langues régionales,
observation des pratiques linguistiques, soutien aux secteurs où
la langue est un vecteur de la création, comme le spectacle
vivant, la chanson ou l'audiovisuel.
Un double principe guide ces actions: pas de discrimination positive
(les manifestations subventionnées ne le sont pas au titre
des langues utilisées, mais en raison de leur qualité
culturelle), pas de discrimination négative (les langues
régionales sont associées au français dans
la plupart des mesures de soutien mises en place: quotas de chanson
française, aide au cinéma, etc.)
La section 2 de la loi d'orientation pour l 'aménagement
et le développement durable du territoire, " Du schéma
de services collectifs culturels ", dispose notamment: "
[celui-ci] détermine les actions à mettre en uvre
pour assurer la promotion et la diffusion de la langue française,
ainsi que la sauvegarde et la transmission des cultures et langues
régionales ou minoritaires ". En application de la loi,
le schéma de services culturels collectifs adopté
par le CIAT a intégré la problématique des
langues et de la citoyenneté, qui fait apparaître les
langues régionales comme un terrain où la prise en
compte de la diversité culturelle et la reconnaissance de
pratiques novatrices trouvent à s'appliquer de manière
privilégiée.
Au-delà de l'encouragement financier aux initiatives des
acteurs culturels, la D.G.L.F. a lancé directement un certain
nombre d'actions relevant de ses missions, notamment la réalisation
d'un répertoire des organismes actifs dans le domaine des
langues de France, qui est paru en août 2000, et le recueil
de fiches de présentation des 75 langues de France recensées
dans le rapport Cerquiglini, pour populariser auprès du grand
public le patrimoine linguistique national, à la fois riche
et méconnu (à paraître fin 2000).
Une part importante des crédits centraux (450 000 francs)
est consacrée à la mise en place du programme "
librairie des langues de France ", destiné au soutien
à l'édition en langues régionales. Il consiste,
en partenariat avec le Centre national du livre, à attribuer
aux bibliothèques des crédits d'achat d'ouvrages dans
ou sur les langues de France, et à soutenir auprès
des éditeurs la publication ou la traduction de " lacunes
éditoriales ". Une liste d'ouvrages rédigés
dans les langues de France, importants mais actuellement indisponibles
sur le marché, a été dressée par des
experts pour tous les domaines linguistiques concernés. Des
conditions de subventionnement avantageuses sont proposées
aux éditeurs pour les inciter à publier. La liste,
qui compte plus de cent trente titres et projets, pourra être
enrichie ultérieurement.
D'autre part l'observatoire des pratiques linguistiques a consacré
en 2000 près de la moitié de ses crédits au
financement d'études impliquant directement les langues régionales.
Dans la même perspective, un effort particulier est fait
en l'an 2000 sur l'outre-mer, avec le lancement d'un plan d'action
pluriannuel intitulé " Pratiques linguistiques en Guyane
" auquel participent également le secrétariat
d'État aux départements et territoires d'outre-mer
et l'Institut de recherche pour le développement, IRD ; ce
plan s'efforce de répondre à une forte demande sociale,
vise à enrichir notre connaissance encore lacunaire de la
réalité linguistique de la Guyane, et à utiliser
la recherche à des fins pratiques de formation et de mise
au point d'outils pédagogiques. Sont en jeu les conditions
du passage au français d'une population de langue maternelle
autre. De la même manière, un soutien est apporté
à l'édition de méthodes de langue et de matériel
didactique en Nouvelle Calédonie et à Wallis et Futuna.
Dans plusieurs régions où se pratiquent des langues
régionales, une aide est apportée par les directions
régionales des affaires culturelles (DRAC) à des actions
ponctuelles qui concourent à leur rayonnement. Plusieurs
domaines sont concernés, en particulier outre-mer où
la pratique des langues est très vivante. Ainsi, à
la Réunion, la DRAC aide des compagnies dont les créations
sont régulièrement écrites en créole
(" Cyclones production ", " Téat La Kour "),
des festivals de conteurs créolophones, et l'association
" Met Ansanm " pour ses activités de promotion
de la langue ; en Guyane, les éditions Ibis Rouge reçoivent
une aide à la publication en kali'na, et un colloque doit
être organisé en novembre 2000 sur le thème
des langues avec une forte implication de la DRAC ; en Nouvelle
Calédonie, la délégation aux affaires culturelles
a apporté son soutien à l'édition d'un guide
de Maré en français et ningoné (langue de Maré),
et d'ouvrages d'équipement linguistique (grammaire xaracuu
[langue de Canala], dictionnaire et grammaire de la langue de Païta,
dictionnaire drehu-français).
Le secrétariat d'État à l'outre-mer a apporté
son soutien à plusieurs projets culturels intéressants,
notamment dans le domaine de la musique: opéra bilingue "
L'île du rêve ", tiré d'un roman de Pierre
Loti ; rencontres caribéennes de la culture et du tourisme
en Guadeloupe (colloque international sur les créoles comme
éléments de la culture de la zone caraîbe) ;
résidences d'artistes entre la Réunion et la métropole
; tournée d'un groupe kanak en métropole ; édition
d'ouvrages d'équipement linguistique et projets de recherche.
La Bretagne bénéficie d'un fort soutien à
la politique linguistique voulue par ses élus. À travers
le contrat de plan État-Région, en 2000, un crédit
déconcentré de 800 000 francs permettra en particulier
à l'Office de la langue bretonne, créé en août
1999, de mener à bien ses missions d'observation et de valorisation
des pratiques linguistiques. La DRAC apporte en outre, en 2000,
un soutien de 260 000 F à l'Institut culturel de Bretagne
notamment pour promouvoir l'édition régionale en breton.
2 - Les médias
La place réservée aux langues régionales dans
les différents médias tend à augmenter. En
outre, la loi du 1er août 2000 modifiant la loi du 30 septembre
1986 relative à la liberté de communication précise,
dans son article 3, que les sociétés qui ont des missions
de service public " assurent la promotion de la langue française
et mettent en valeur le patrimoine culturel et linguistique dans
sa diversité régionale et locale " alors que
jusque là les seules FR3, RFO et radio France avaient la
mission de " contribuer à l'expression des principales
langues régionales.
Presse
Les publications entièrement ou partiellement rédigées
en langues régionales ont accès au principal soutien
de l'État au pluralisme de l'expression de la pensée:
elles peuvent obtenir un numéro d'agrément auprès
de la commission paritaire des publications et agences de presse,
et bénéficier d'allégements fiscaux et postaux,
au même titre que toutes les publications qui répondent
aux critères fixés par le code des postes et le code
général des impôts. Cette aide est l'instrument
d'une politique générale qui bénéficie
d'une enveloppe financière importante (plus de 7 milliards
de francs en 1999), destinée à garantir la diversité
politique, culturelle et linguistique de la presse.
En revanche, les aides directes sectorielles, au nombre d'une dizaine,
sont soumises à des conditions matérielles (prix,
rythme de parution, type de papier), mais aussi de contenu et de
lectorat. Six d'entre elles imposent la rédaction en langue
française, tandis que le fonds d'aide à l'expansion
de la presse française à l'étranger impose
une rédaction au moins partielle en français.
Il n'existe pas actuellement de source d'informations statistiques
exhaustives sur la langue utilisée par les publications qui
sollicitent une aide, mais il semble que la demande pour des publications
en langues régionales soit faible, leurs caractéristiques
les plaçant hors de la cible.
Médias audiovisuels
Les cahiers des charges et des missions de Radio France, France
3 et RFO prévoient que ces sociétés contribuent
à l'expression des principales langues régionales
parlées sur le territoire.
France 3
En 1999, la société s'est conformée à
cette disposition en diffusant au total sur le territoire métropolitain
pour 324 heures d'émissions, contre 265 l'année précédente.
Il s'agit aussi bien de magazines, de rubriques ou documentaires
que d'éditions quotidiennes d'informations, de séries
humoristiques ou de bulletins météo...
France 3 Alsace: 71 heures en 1999 contre 68 en 1998.
France 3 Aquitaine: pour le basque, 27 heures 12 minutes ; pour
l'occitan, 19 heures.
France 3 Méditerranée: 40 heures en occitan.
France 3 Sud: 24 heures en occitan.
France 3 Corse: en 1999, 78 heures 37 minutes de programmes en
corse contre 58 heures en 1998.
France 3 Ouest: 68 heures de programmes en breton.
Cherchant à mieux connaître la population de leurs
auditeurs, plusieurs stations de FR3 lancent des enquêtes
à caractère socio-linguistique. La D.G.L.F. a apporté
son soutien financier à une étude sur les attentes
des auditeurs en Corse en 1999. Une étude de même type
est envisagée pour le Pays-Basque.
R.F.O.
Les langues régionales sont largement représentées
sur le réseau de RFO. À l'exception de la Nouvelle
Calédonie où le grand nombre de langues locales contribue
à faire du français la seule langue de communication
générale à la télévision, il
existe des émissions en langues régionales dans tous
les départements et territoires d'outre-mer, de toute espèce
(information, reportage, divertissement...)
On ne dispose pas de chiffres précis en termes d'heures
d'émissions, mais c'est en raison même de l'usage généralisé
des langues régionales dans la vie sociale. Le passage du
français à la langue régionale se fait de manière
spontanée, sans transition marquée: le bilinguisme
français-langue locale se développe.
La radio
Radio France
Conformément à leur mission, les radios locales des
régions à forte identité accordent à
l'expression des langues régionales la place qui leur revient.
Radio France Alsace Metelwelle réalise un programme qui
comprend trois rendez-vous d'information en allemand, des fictions,
des chroniques, des reportages, des jeux, etc. ainsi que des émissions
à thèmes en collaboration avec des radios transfrontalières
suisse (So mache's Nochber) et allemande (Drei Länder, ein
Thema).
Radio France Bretagne Ouest consacre une part importante de ses
moyens et de son temps d'antenne à la langue bretonne et
à la musique celtique: en semaine quatre rendez-vous d'information
et deux magazines en breton; le week-end, deux rendez-vous d'information,
l'émission abadenn ar sadom (le temps du samedi), une revue
de presse et la veillée Beilhadeg e Breiz Izel. En outre,
un disque de musique celtique est diffusé toutes les demi-heures.
Radio Corse Frequenza Mora assure sur son antenne une présence
du bilinguisme tout au long de la journée. Cela se traduit
en particulier par cinq rendez-vous d'information quotidiens en
langue corse, et par une émission de création, "
Paese ", de 19 à 20 h.. Une large place est accordée
à la chanson corse (quatre disques programmés par
heure). Depuis 1998, RCFM développe un programme radiophonique
de coopération interrégionale, diffusé en direct
les derniers vendredis du mois de 11 à 12 h.
Radio France Pays Basque propose des rendez-vous en basque sous
plusieurs formes: les titres de l'actualité (quatre par jour);
" l'agenda " à 10 h 15 (actualité du Pays
Basque); " le b-a ba du basque " du lundi au vendredi
à 6 h 20 (sur la langue); des entretiens avec des artistes
le samedi et le dimanche (" l'album basque du week-end "),
et " Radio sans frontière " du lundi au vendredi
à 8 h 20 (l'actualité du Pays Basque espagnol).
Radio France Roussillon diffuse deux fois par jour la chronique
bilingue " Sense fronteres " sur les évènements
culturels, sportifs et associatifs, et " Entre poc i massa
" (Entre un peu et plus, histoire drôle ou jeu de mots
en catalan) le week-end à 7 h 10 et 10 h 10. Une place importante
est faite à la chanson et à la culture catalanes.
Pour les régions occitanes, on peut citer " Radio France
Landes chez vous " du lundi au vendredi de 12 h à 12
h 30; " D'oc e d'aqui ", chronique de la langue, sur Radio
France Nîmes le dimanche à 12 h 40; " Oc ",
(l'actualité artistique et culturelle), le dimanche sur Radio
France Périgord; les chroniques " Le dicton du jour
" et " Ça s'est passé en Provence "
quotidiennement sur Radio France Provence.
Les autres radios émettant en France métropolitaine
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a réalisé
un recensement des stations de radio sous la compétence des
comités techniques radiophoniques (CTR) de France métropolitaine
diffusant des émissions en langues régionales ou étrangères.
Cette étude (cf. annexe n°..) montre la grande diversité
des langues présentes sur ces radios, en particulier celles
qui émettent dans des régions de forte immigration
(CTR de Paris, de Lille, de Marseille) et dans des régions
marquées par une présence des langues régionales
(CTR de Rennes, de Bordeaux et de Toulouse).
Une télévision à vocation régionale
Une chaîne de télévision privée, TV
Breizh, a commencé à émettre à compter
du 1er septembre sur les bouquets numériques et sur le câble.
Elle émet à la fois en français et en breton,
et prévoit pour 2001 de diffuser des cours de breton.
3 - Les langues régionales dans l'enseignement |