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État de l’enseignement
du créole et de la recherche à Sainte Lucie

Lindy-ann Alexander
Présidente du Comité Kwéyòl de Sainte-Lucie
28 mars 2007, Guadeloupe

Lindy-ann Alexander

Pourquoi apprendre/enseigner le Créole à Sainte Lucie?

Avec le récent engouement pour la culture et la langue Kwéyòl à Sainte-Lucie, après des campagnes de sensibilisation menées par le Folk Research Centre et la célébration du patrimoine culturel créole pendant tout un mois, le public sainte-lucien, en général, est favorable à l’idée d’apprendre à lire et à écrire le Kwéyòl. Le Kwéyòl est reconnu comme langue à part entière et un certain nombre d’adultes, pour la plupart non Sainte-Luciens (des expatriés, des travailleurs étrangers résidents dans le pays, des Sainte-Luciens qui ne parlent pas Kwéyòl), reconnaissant la nécessité d’avoir au moins quelques rudiments de la langue sinon pour les besoins de leur travail, pour bien intégrer la société sainte-lucienne, cherchent à apprendre le Kwéyòl.

Le Kwéyòl se pratique à grande échelle à Sainte-Lucie mais se limite à la communication orale. Rares sont les Créolophones qui demandent à apprendre à écrire ou à lire la langue.

Si pour les jeunes élèves créolophones, le Kwéyòl est facile et passionnant à lire et à écrire, ce qui les aide à mieux réussir leur scolarisation en anglais, en revanche, les adultes analphabètes, sont peu motivés pour suivre une alphabétisation en Kwéyòl. Ils n’en voient pas l’utilité.

Actuellement, aucun projet national ou officiel n’existe à Sainte-Lucie pour enseigner le Kwéyòl à l’école ou pour l’utiliser comme langue d’enseignement. Aucune structure ne s’occupe spécifiquement de cette question. Pourtant, des expériences menées par des chercheurs et des éducateurs à Sainte-Lucie montrent que l’on aurait tout à gagner si l’on pratiquait une alphabétisation précoce dans les deux langues, quel que soit le niveau.

Stratégies Educatives Pratiquées

L’alphabétisation des adultes : 

Depuis la création du programme d’alphabétisation pour adultes en 1984, on a introduit des cours d’alphabétisation en Créole. Des cours ciblant essentiellement des Créolophones et qui visaient à faciliter l’éventuelle alphabétisation en anglais. Dans le cadre de ce programme (NELP – Programme national d’apprentissage et d’enrichissement culturel), les apprenants suivaient obligatoirement aussi des cours d’anglais et de mathématiques. Les cours de Créole se faisaient dans une perspective bilingue pour que les apprenants acquièrent une alphabétisation dans les 2 langues. Une fois alphabétisés dans leur première langue, ils devaient plus facilement passer à la seconde. Des manuels scolaires en Créole, crées par la société ‘An tjè nou’ (Bonjou Sent Lisi – texte et cahier) et par la conseillère pédagogique, Madame Alix-Rose Gilliard (Espwa I & II) y ont été prévus ainsi que des textes d’histoires courtes en créole. On a recruté et formé des enseignants pour la tâche et a mis à leur disposition un manuel pédagogique spécial.

Malheureusement, ces cours de Créole ont rencontré de nombreuses désaffections dans plusieurs antennes réparties dans l’île, dues au manque de motivation des apprenants pour apprendre le Créole. Ils ne voyaient pas ce que cela pourrait offrir pour leur avenir. Les enseignants du Créole reprochaient aux administrateurs du programme ‘NELP’ de ne pas avoir fait assez d’efforts pour pousser les apprenants à suivre les cours de Créole.  Face à cette désaffection, le composant Créole a été supprimé du programme de base offert qui, aujourd’hui, ne se compose que de l’anglais et des mathématiques, plus un choix d’autres cours à vocation artisanale ou technique, au sein du NELP.

Le Créole, langue étrangère :

Il y a une demande croissante pour apprendre le Créole, par des non Sainte-Luciens résidants et travaillants dans le pays, dont les Guyanais, le Chinois, les Britanniques et les Français. A ceux-ci s’ajoutent quelques Sainte-Luciens qui n’ont jamais appris la langue et qui veulent la parler. Ces cours sont assurés à titre privé par la conseillère pédagogique du NELP. Ils sont, pour le moment, une dizaine d’apprenants. De temps en temps, certaines organisations qui accueillent des travailleurs étrangers ou invités en long séjour, demandent des cours de Créole pour un court moment comme faisant partie d’un programme d’orientation culturelle. (Ex. des prêtres ou des médecins.)

A l’école :

L’enseignement du Créole dans les établissements scolaires se fait de façon ponctuelle. Dans tous les cycles, une sensibilisation à la langue créole et à sa grammaire est faite, surtout pendant le mois d’octobre pour la ‘jounen kwéyòl’ par certains membres du Comité Créole qui opèrent une familiarisation avec l’orthographe, et une appréciation de la richesse de la langue. Ces cours, dans certains cas, ne se font qu’une seule fois dans l’année. Aidés par des documents préparés, polycopiés et distribués à tous, les élèves, quelles que soient leurs origines, apprennent vite à lire la langue. Le but est surtout une prise de conscience et une appréciation de la langue.

La sortie d’un dictionnaire du Créole dans une édition abordable (2 impressions ont déjà été faites), grâce à la participation du Ministère de l’Education Nationale, facilite beaucoup l’apprentissage du Créole. Après la sortie du Nouveau Testament en Créole sainte-lucien, Mr. Peter Samuel, qui avait collaboré dans la production du dictionnaire et à la traduction du Nouveau Testament, donne des cours d’alphabétisation en Créole aux adultes désireux de lire le Nouveau Testament en Créole. Il fait ces cours au sein de son église aussi bien à la Dominique qu’à Sainte-Lucie.

Expériences uniques dans l’éducation publique   

En 1997, tandis que les linguistes de l’Institut américain de Linguistique, SIL International, menés par Mr David Frank, séjournaient encore dans l’île pour préparer le dictionnaire Créole Sainte-Lucien et la traduction du Nouveau Testament en Kwéyòl, Mr. Michael Walker, patron de la société ‘An tjè nou’ et linguiste lui-même a mené une équipe dans une école primaire rurale pour faire une expérience d’instruction en Créole. Trois classes de la même promotion, qui venaient de passer l’examen national d’entrée en 6ème au mois de mai, ont été sélectionnées. Ils avaient, donc, encore 6 semaines à passer à l’école avant les grandes vacances. Les élèves, âgés de 12 -14 ans, avaient été jugés très faibles en anglais avec des difficultés d’apprentissage. On les a fait suivre des leçons de lecture et d’écriture du Créole saint-lucien pour les sensibiliser à la langue écrite et pour développer leur compétence en lecture. On a enregistré un fort taux de présence pour les cours de Créole et les élèves ont manifesté un enthousiasme net pour ce nouveau souffle. Le manuel scolaire fait par Mr. Michael Walker, Bonjour Sent Lisi et le cahier d’exercices qui l’accompagne ont été utilisés. A la fin de l’expérience, leur progrès dans les 2 langues s’était nettement amélioré. Ce qui prouvait que l’alphabétisation dans les 2 langues faisait du bien à toutes les deux.

Deux expériences valent le détour d’être mentionnées ici:

Pour montrer que le Kwéyòl peut être utilisé comme langue d’enseignement dans le primaire pour instruire les mathématiques, les sciences sociales et les lettres aux créolophones, Mr. Michael Gaspard, ancien instituteur et membre du Comité Kwéyòl a organisé avec deux institutrices créolophones deux leçons en Kwéyòl; l’une portait sur le calcul et l’autre sur la signification du drapeau sainte-lucien, un sujet qui fait partie du programme du Primaire en sciences sociales. Les deux leçons ont été filmées et nous allons en voir quelques extraits.

Ce qui est ressorti de ces leçons c’est que les élèves participaient plus en classe car ils étaient plus attentifs. Ce qui veut dire qu’ils pourraient apprendre mieux et donc progresser plus vite s’ils recevaient une instruction dans leur première langue.

Recherches menées sur l’enseignement du Créole à Sainte-Lucie:      

Les recherches du Dr. Hazel Simmons-MacDonald de 1994 et de 1999 ont montré qu’à l’école primaire, les élèves dont la langue maternelle était le Kwéyòl, avaient beaucoup de difficultés pour apprendre dans le système d’éducation traditionnel. En général, ils traînaient derrière les anglophones monolingues d’au moins deux ans; certains ne développaient pas assez de compétences en anglais pour passer à l’école secondaire. En l’an 2000, elle a élaboré un modèle pédagogique alternatif qui visait à examiner les effets de l’utilisation du Kwéyòl comme langue d’enseignement sur le développement des capacités d’apprentissage des élèves créolophones dans leur langue maternelle et dans la langue cible.

Son modèle tripartite comporte trois phases dont la première a été mise en œuvre en 2000 à l’école primaire de La Guerre, un quartier rural, dans une classe qui regroupait une majorité d’élèves créolophones. Son modèle voulait tester la théorie avancée et prouvée par d’autres, que la langue maternelle utilisée et maîtrisée en classe est un atout pour réussir à l’école. Dans la première phase, la proposition faite c’est que les élèves qui parlent Kwéyòl comme 1ère langue devraient être amenés à développer leurs capacités langagières dans cette langue tout en suivant un programme d’instruction qui vise à faire acquérir l’anglais standard. Les composants du modèle tripartite sont synchronisés et intégrés de sorte que l’instruction puisse répondre aux besoins langagiers des enfants commençant l’école. Trois variétés de langues parlées par les élèves saint-luciens ont été distinguées: le Kwéyòl, l’anglais standard et l’anglais saint-lucien. Le modèle s’adresse directement aux besoins langagiers des élèves parlant chacune des variétés de langues; il peut, donc, être utilisé de façon simultanée avec une classe hétérogène, regroupant des élèves venant de chaque milieu langagier, ou séparément dans des groupes homogènes. Tous les trois composants visent à développer une multi alphabétisation, un multilinguisme et à faire apprécier les différences dans chaque variété langagière.

Les objectifs de cette première phase sont les suivants:

  • Développement des capacités en anglais standard
  • Développement des capacités en Kwéyòl et l’utilisation de celle-ci pour plusieurs fonctions y compris académiques
  • Développement des capacités cognitives et académiques dans les deux langues.

Voici comment l’enseignement, selon le modèle, doit se dérouler:

Les élèves recevront 1 heure et demi de cours en Kwéyòl et 3 heures et demi en anglais standard tous les jours. Une approche d’immersion presque totale qui favorise le développement précoce des capacités en L1 pendant qu’ils acquièrent une compétence communicative en L2. Au fur et à mesure qu’ils développent des compétences en Kwéyòl et en anglais standard, l’accent se déplacera graduellement pour insister plus sur l’alphabétisation en anglais; et ceci depuis la 2ème classe jusqu’à la dernière en Primaire.

Cependant, dans ce modèle, on pourrait continuer l’alphabétisation dans les 2 langues grâce au programme intégré de lecture variée et riche faisant appel à du matériel culturel pertinent qui met les élèves en contact avec toutes les variétés langagières et qui permet une comparaison appropriée.

Le Dr. Hazel Simmons-MacDonald, dans une communication présentée à la 14ème conférence biennale de la Société de Linguistique Caribéenne en août 2002, a  exposé les résultats de ces études préliminaires de son modèle. Malgré certaines modifications de temps qu’elle a du faire pendant son expérience, les résultats obtenus étaient vraiment positifs et elle compte passer à la phase suivante cette année avec le débloquement des fonds.

D’autres recherches sur l’enseignement du Créole ont été menées par le Dr. Kentry Jn Pierre pour étudier l’existence de ressources lexicales suffisantes et adéquates dans la langue Kwéyòl pour désigner tous les termes dont on aurait besoin dans l’enseignement des matières à l’école primaire, notamment, les lettres, les mathématiques, les sciences sociales et naturelles.

Avec l’aide des instituteurs, il a dressé une liste minimaliste de termes susceptibles d’être utilisés en classe dans différents domaines, pour chercher des équivalents en Kwéyòl.

Les résultats des recherches ont montré que le Kwéyòl répondait largement aux besoins langagiers et lexicaux du contenu de l’enseignement. Seuls 5,4 % des termes recherchés de la liste n’ont pas trouvé d’équivalent en Kwéyòl. Néanmoins, ces 5,4 % sont significatifs: Le Dr. Jn Pierre a découvert des propositions de terminologies diverses en Kwéyòl et il a signalé le besoin d’une standardisation des termes à utiliser dans un programme d’instruction en Kwéyòl.

Parmi les inconvénients notés: l’absence de matériel d’instruction et de textes en Kwéyòl, et l’absence de programmes de formation des maîtres dans l’enseignement en kwéyòl. Il a déploré aussi l’attitude toujours négative de certains enseignants quant à l’utilisation du Kwéyòl dans l’enseignement. Beaucoup d’enseignants dans la capitale de l’île ne maîtrisent pas le Kwéyòl et vont devoir, donc, suivre une bonne formation.

Parmi les mesures recommandées: la consolidation et l’approfondissement de la terminologie académique existante en Kwéyòl pour un programme d’enseignement. Finalement, il signale le besoin de mener plus de recherches sur la terminologie existante pour arriver à une standardisation de ces termes.

Attitudes actuelles et perception du Kwéyòl dans les établissements éducatifs nationaux

Dans les îles anglophones généralement, l’utilisation du Créole ou du vernaculaire comme langue d’enseignement dans les écoles a toujours été proscrite et elle l’est toujours. Ceux qui n’y croient pas ou refusent toujours l’idée citent le risque de créer plus de problèmes pour l’apprentissage de l’anglais standard. Pourtant, les études menées qui prouvent le contraire ne sont pas publiées ou connues dans la région caribéenne.

Malgré plusieurs recommandations proposées par des chercheurs, l’administration de l’éducation nationale n’est pas prête à s’engager dans cette voie et on a l’impression de dialoguer avec des sourds. Certains enseignants, plus sensibilisés aux problèmes des élèves créolophones dans les quartiers ruraux ou dans des écoles à fort pourcentage de créolophones, utilisent le Kwéyòl à l’école pour mieux expliquer ou communiquer. Ils réclament une approche pédagogique différente pour enseigner l’anglais et pour aider les élèves ayant des difficultés à apprendre.

D’autres enseignants qui ne parlent pas bien le kwéyòl, mais qui reconnaissent le problème demandent, comme a cité le Dr. Jn Pierre une formation supplémentaire ou d’autres solutions pour y faire face. Mais la société, en général, malgré leur sensibilisation aux problèmes linguistiques de l’île et leur appréciation accrue du Kwéyòl a toujours du mal à admettre cette langue dans l’enseignement public. Il faudrait, peut-être, que les militants dans l’éducation soient beaucoup plus engagés, plus solidaires et qu’ils mènent des actions plus incisives pour faire entendre leur cause.  

Bibliographie

SIMMONS-MCDONALD, Hazel, The Effects of vernacular instruction on the development of bi-literacy abilities of native speakers of French Creole, UWI, Cavehill, Paper presented at the 14th Biennial Conference of The Society for Caribbean Linguistics, UWI, St. Augustine, Aug. 2002, 25 p.

JNPIERRE, Kentry, A Feasibility study to determine the adequacy/ non adequacy of Kweyol academic terminology infrastructure for formal instruction in primary schools in St. Lucia,  Masters Thesis, St. Lucia, 2002.

Personal interviews conducted with persons involved in the St. Lucia Adult Literacy Program:

  • Mrs Alix-Rose Gilliard (Creole instructor, National Enrichment and Learning Program)
  • Ms Jennifer Edgar (Administrator, National Enrichment and Learning Program)

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Sent Lisi

COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE sur la recherche
et l'enseignement du créole en Guadeloupe

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