Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

Lu pour vous:“En attendant demain” par Nathacha Appanah

Jean S. Sahaï

 

 

 

 

 

En attendant demain, Nathacha Appanah • Gallimard • 2015 •
ISBN 978-2070147755 • 208 pages • 20,5 x 1,6 x 14 cm • 17.50 €

Pourquoi, l'heureuse enfant, veux-tu voir notre France,
Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance,
Et, confiant ta vie aux bras forts des marins,
Faire de grands adieux à tes chers tamarins?

demandait Charles Baudelaire à une “malabaraise” de la Réunion qui souhaitait partir pour l’Europe...

Pour ceux qui connaissent Nathacha Appanah, son parcours, son écriture aux chemins décidément divers, son dernier roman En attendant demain a une certaine fibre autobiographique. Qui plus est, le récit semble s'enrichir d'une fine introspection a posteriori sur les tractions et les effets qui ont jalonné la vie de l'auteure. Récemment interviewée, elle disait vivre son identité loin de son île Maurice “très simplement, sans culpabilité et en acceptant que celle-ci soit mouvante, comme les sables.”

Mais un roman c'est aussi une création. En attendant demain comporte une belle intensité descriptive des ambiances et des gens, dans une mise en scène soignée.

C'est l'histoire d'un de ces duos atypiques. Adam, un athlétique architecte de France, esthète, a choisi d'épouser une menue femme des îles. Autant que de compétence ménagère, familiale et maternelle, Anita (initiale et finale en A aussi, lettre 3 fois présente dans le nom et 3 fois dans le prénom de l'auteur...) est une personne résolument curieuse. Déterminée à s'acculturer, elle absorbe, à un eguzkilore près, la langue et les détails de l'européenne France où l’a menée sa destinée. De son existence déportée, elle tient à faire émerger un gâteau conforme aux ingrédients, aux chiffres, aux proportions prescrites par la culture d'accueil.

Or, il s'avère que cette fille des îles est aussi en quête d'évolution et de créativité: elle aspire à une belle réussite personnelle qui donnerait quitus à son choix de vie extra-insulaire.

Adam, enfant de son pays qu'il parcourt pour son métier, vit son ici-présent, satisfait de son hobby de peinture. Saisit-il les repères d'origine, les recoins de l'âme de sa femme? "Elle ne sait pas nager, il ne sait pas grimper aux arbres”: quelle sera l'issue, le produit, la satisfaction de cette mixité clinquante au début? Anita, quoique formée, doit se battre pour se tailler une place honorable dans le milieu de l'écriture journalistique, au-delà des piges médiocres qu'on lui propose au faciès, des préjugés que sa différence suscite.

Comprendra-t-il son aspiration, va-t-il la soutenir? Ou la laissera-t-il s'enliser dans ce trajet de vie au conformisme appliqué, soucieuse d'en transmettre les moindres ingrédients aux enfants? Certes elle y met quelque exotisme de son Océan... que les vagues du temps de l'exil changeront en désuète mièvrerie et même, par certains aspects, en prison.

Que deviendra la flamme jadis sincère du couple, à l'aune des mensonges, des ternissures, des laxismes de la vie et des gens?

Si leur idylle se délite au gré des jours et des rituels annuels, charriée par les aléas de l'habitude ou la fatigue d'une mère, comment accuseront-ils cette décharge: l'arrivée inattendue — le coup du trio est classique — la fulgurante apparition d'une tierce personne, l'extravagante Adèle au profil décalé, porteuse d'effluves ravageuses pour l'ancre ensablée de la famille entière?

Bonne lecture!

Jean S. Sahaï

boule

 Viré monté