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Carnet de voyage

En terre de Blues

Max Rippon

Les flamboyants ont mis les fleurs aux branches à mi-mai. Le soleil s’est mis au clair. La pluie absente, la mer calme. Le blues s’installe en terre légitime.

Du 17 au 20 mai, Marie-Galante s’ouvre au monde, avec la délicatesse d’une huitre perlière, avec la chaleur des retrouvailles, avec la quiétude et la confiance de la fraternité revisitée, au creux d’une battée frangée de brisants, où l’hospitalité tient lieu de pépite.

Il a fallu 13ans pour que la salsa prenne, et, qu’effeuillant ses accords, le pays compose avec son festival. La savane de Murat est ce lieu habité, hanté encore par les plaintes des chaines faisant cliquetis aux chevilles des diablesses en peurs. Deux jours durant, les festivaliers, tous âges confondus, se sont accordés à la fête, dans une zen attitude. Les musiques se sont enchainées sans rivaliser, dans une saine émulation et les publics venus pour participer n’ont pas boudé leur plaisir, applaudissant et faisant nombre de rappels à Raul Paz, le cubain venu en voisin.

Blues

La fréquentation est familiale: enfants étendus sur les nattes, mères un œil attentif à eux, l’autre ouvert aux rythmes, les pères eux, aux bras de chaleureuses poignées de mains, accompagnent les prestations des groupes, tandis que les plus jeunes, érudits en sons de leur génération, expliquent qui est Marley, à un vieux tendre qui confond les prénoms.

Les odeurs de fritures se mêlent à l’onctueux du bébélé. Les saveurs anciennes remontent la cordée des souvenirs, au plus grand ravissement des papilles.

La liste serait longue des mets et douceurs que ce festival fait sourdre dans l’intime souvenance de  chacun.

Il y avait de la musique pour chacun, un plat favori pour chaque appétit, une harmonie du ciel pour tous. Certains ont dit qu’un sentiment de paix vous prend au sortir des navettes, et que mettant les pieds sur ce sol généreux, contrat était pris en silence avec un profond soi-même, pour que rien qui puisse nuire à la fête ne se passe. C’était cela dans ce Pays Marie-Galante qui avait sa marraine dédiée en Judith, dont le seul prénom suffit à la qualifier.

Des milliers de visiteurs venus en amis partager en terre de blues le message de fraternité de nos artistes invités.

Avec Omar Penne, l’Afrique n’a pas fait défaut. Tony Chasseur et le Big Band de la Martinique avait déjà annoncé le niveau, pour pousser Damian Marley à se surpasser pour le plus grand déchainement de ses jeunes fans. Même longs, les changements de plateaux n’ont pas perturbé l’engagement des festivaliers, cela est à souligner et à mettre au crédit de cette ambiance familiale et bon-enfant.

Sur tout le parcours et durant tout ce temps du festival, la fête était au centre de tout, avec le commun désir de ne rien gâcher.

Les commerçants établis ont fait du chiffre, les informels se sont sentis alors concernés en ouvrant par-ci par-là, qui des buvettes, qui des lieux chaleureux,  espaces demi-couverts où l’on pouvait manger-en-payant des plats aussi nombreux et variés que l’imagination fertile permettait de concevoir.

Il est trop tôt pour faire le bilan et pointer tous les manquements, cependant, il faut porter un satisfécit général au crédit de l’équipe organisatrice, car regrouper sur trois jours autant de festifs par milliers, n’est pas chose facile. Les organisateurs ont pu encadrer l’enthousiasme du in et du off, sans laisser sentir la rigueur du cadre sécuritaire, pourtant omniprésent.

Blues

Le lundi est désormais ce jour gratifiant où la pression baisse et le Village vit son habile et savoureux lamanage.

La Place des Aurevoirs jouxtant le quai, tient lieu de podium pour le dernier concert de la gratuité, comme une récompense de l’entre-nous.

Le chant du ressac contre les flancs des voiliers peuplant la rade, doucement s’installe quand la musique se donne du répit, et les voyageurs à regret sur le chemin du retour, suivent le rythme lent des navettes dans la passe, qui déjà les emportent loin du rêve.

Chaque tourbillon des turbines des navires du départ dans le ventre mou de la mer tiède, vide d’autant en cadence le public connaisseur, insatiable et ravi.

Cette année, outre Patrice Hulman, c’est un autre enfant du pays Admiral.T qui prend la place finale, après le magnifique feu d’artifice qui durant des longues minutes a illuminé le ciel, après le blues nu de Guy Davis, tout droit venu des USA, après le chaloupé partagé des Strings, nos voisins Haïtiens, le bord de mer va en se taisant.

Je referme ce carnet de voyage au pied de chez nous, en remerciant le groupe Kassav d’avoir su si bien joué collectif, compensant les défaillances des uns et des autres. Je les remercie en notre nom pour avoir déjà tant donné à nos identités contrariées, comme un totem que l’on salue à faible voix pour ne pas troubler son silence, comme autant de degrés déjà franchis, et ce faisant, je songe,  le regard planté dans la frange dentelée de l’horizon que nous sommes déjà sur la route du futur festival. Il sera présenté, je le pense, au prochain Top Résa, car nous remonterons encore plus en amont les niches de clientèle.

Il faudra faire remonter les souhaits inaboutis, analyser les défaillances perfectibles, pour faire que la fête soit plus belle en 2014.

Je formule pour nous l’espérance que ce festival, rendez-vous du calme et du respect d’autrui soit cette école de civisme dont nous rêvons, pour nous sortir des chemins endeuillés qui font ruisseler tant de larmes et sabrer des vies neuves, dans ce pays où chaque bras qui manque devient un étais défaillant.

Max Rippon

Bitasyon Durocher,
le 24 mai 2013 

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