Potomitan

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Gage d’amitié

Max Rippon

Porte Roussel.

Je t’offre à aimer mon île
Là où les tortues d’eau douce chevauchent les mares assoiffées
Là où la terre à midi sue les parfums mêlés
Des cannes coupées et des embruns ballotés
Ami
Mon pays n’est pas un lieu ordinaire
C’est un pays dont le silence de mes pas
Epouse les anses nombreuses et le calme des plages
Ami
       Compagnon
                           Complice
                                           Mon frère
Prends place à mes côtés le long des cannaies en fleurs
Pour célébrer avec moi le grand élan des retrouvailles
J’ai maintes fois tenté en vain de dater l’aube de notre amitié…
Accroche donc à mes bras et ta détresse et ta joie
Et viens me laisser prendre tes doutes dans mes pas
Le manque commun de nos rivages nous a fait jumeaux obligés
Tu fais si loin de moi lever des soleils
Que je mets en couche le crépuscule venu
Je n’ai rien de mieux à t’offrir
Outre que d’aimer cette terre qui vit mon regard s’ouvrir un matin
Je n’ai rien de plus à t’offrir
Outre que tenir avec toi la machette habile
Qui balise les voies neuves
Je n’ai rien de mieux à partager avec toi qui occupe tant mes craintes
Hors ce craquement si familier des roues d’acier
Des charrettes têtues gavant les usines…
Mon sang est ce vesou qui mène à l’ivresse des jours qui se suivent
Mes veines sont ces chemins pendus à la sécheresse des ravines
Les jours passent et les amours aussi
Et l’amitié demeure…
Vallée alluviale en étiage
Elle espère la neuve rosée
Pour chasser les doutes et refaire fleurir les espérances

Durocher le 5 mai 2022
Max Rippon

*

L’écrivain-poète Max RIPPON, se garde bien de nous dire le nom de cette ile  qu’il nous propose, nous offre, en guise et en «gage d’amitié». Pourtant ce nom là nous est clairement suggéré à travers les lignes de son poème et trotte par ailleurs régulièrement dans nos têtes! (Bien souvent de façon fantasmée par bon nombre voire par chacun d’entre nous!)

Dès l’entame ne nous en fait il pas «un lieu non ordinaire»?

Après tout, cette non-nomination n’a-t-elle pas pour objet avant tout de ne pas «gâcher nôtre plaisir» et de laisser à nous seul, lecteur, le soin de dire que c’est ….

Mille détails d’écriture miroitent dans la plume de l’auteur en faveur de cette assertion. Et on peut (non) lui reprocher d’en faire trop, d’avoir des vers un peu trop riches, trop longs, excessivement dithyrambiques voire trop bien «léchés».

Mais non! 

Car il a la chance d’être en capacité, d’être doté d’un talent stylistique remarquable et de maitriser indéniablement la syntaxe.

Avec quelle expertise gracieuse, avec quel sens remarquable de la description, en vient-il à nous parler de la douleur des situations sublimée par la beauté des paysages décrits par, grâce, à une sonorité de velours. De mots… Ainsi ce «craquement si familier des roues d’acier …».

Le lecteur s’en délecte mais la dureté, le pénible, la souffrance sont investis dans l’exposition anatomique qui nous est faite de cette île à vocation agricole et sucrière. De son sang, de ses veines, de sa sueur…

En réalité ce beau texte a constamment le sens des réalités, à l’image de «la sécheresse des ravines et celle des mares assoiffées» et est au fond un voyage à la découverte au-delà des sentiers «qui balisent les voies neuves». Et nous introduisent vers, (dans) le pays profond.

En conclusion, on peut se demander si ce n’est pas à lui-même que l’auteur «se donne la main».
N’est-ce pas plutôt à son double, en lieu et en place «d’un ami, d’un compagnon, d’un complice, d’un frère» que MAX RIPPON adresse ce poème, qui est aussi une vibrante exhortation avec des tonalités parfois plaintives. Et d’autres, à contrario pleines d’espérances.

On peut aussi se demander s’il n’exprime pas avec pour seule arme la poésie, son amour démesuré pour …MARIE-GALANTE.

Critique-commentaires de Gérhard-Pwosper SELBONNE)

*

 Viré monté