Potomitan

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Annou voyé kreyòl douvan douvan

Zakari: mil mo kréyòl bòkaz
Mille mots du créole guadeloupéen de tous les jours

Hector POULLET

Zaccaria
Le prophète Zacharie par Michel-Ange, Chapelle Sixtine.

Introduction

1. Notre objectif

«Le mal diglossique»

Quand, nous autres antillais, devons parler en public, un mal étrange nous prend à la gorge. Ce n’est pas seulement le trac que chacun connaît, mais une sorte de trouble, de dédoublement du moi: c’est ce que certains linguistes appellent «le mal diglossique». Nous n’en mourons pas, certes, mais tous nous en souffrons. Puis nous nous en accommodons, prenant l’habitude de vivre avec notre «mal-être» et, plus ou moins consciemment, nous le banalisons. C’est comme un vêtement mal ajusté, nous nous sentons simplement gênés aux entournures. Cependant, pour l’observateur étranger, la gêne est évidente.

Le phénomène se manifeste de façons différentes selon les individus.

Ainsi, les uns affecteront le plus profond mépris pour la variété basse de la langue et pour ceux qui l’utilisent. Ils parleront un français châtié, affecté, maniéré. Ils tenterons d’éviter toute tournure créole qui pourrait polluer, contaminer leur belle langue «Vieille France»: ce sont les aristocrates du langage. En créole nous les désignons par dérision, en les désignant sous les termes de «monsieur (ou) madame je suis».

D’autres préfèreront se taire plutôt que de passer pour un de ces «nègres boloko», ces  «nègres d’habitation», paysans mal dégrossis qui ne savent pas aligner deux mots de français sans «donner des coup de roches», c'est-à-dire sans y mêler quelque barbarisme plus couramment appelé «créolisme». Ce sont les handicapés de la langue française. La grande masse silencieuse, les fameux «sans voix».

D’autres encore, avec une fausse désinvolture, passent d’une langue à l’autre pour éviter de se laisser piéger par des tournures qu’ils maîtrisent mal. Ils pratiquent ce que les anglo-saxons désignent sous le terme de «code switching», quand cela n’affecte que le vocabulaire, ou «code mixing» quand il s’agit de tournure grammatical, ce que les francophones traduisent indistinctement par «alternance codique». En créole, nous pourrions les appeler les «mélwè», ceux qui vous embrouillent tout leur parler dans un méli-mélo indescriptible, parce qu’ils sont eux-mêmes bien «mêlés» avec ces deux langues. C’est pour ainsi dire les adeptes de la «repidginisation» de la langue créole.

Et que dire de toute cette frange de prétendus «intellectuels» qui, s’imaginant bien maîtriser la langue française, se lancent dans de véritables logorrhées verbales sans queue ni tête. Ils se font remarquer par la difficulté qu’ils ont à conclure leur discours, étant eux-mêmes incapables de résumer leur pensée. Ils se perdent dans leur propre homélie. L’assistance qui n’y comprend goutte, applaudit à tout rompre par peur de passer pour ignare. Les discours politiques sont souvent de ce registre, vides, creux, insipides… et longs.

Le mal diglossique peut se manifester par bien d’autres symptômes encore.

Une telle insécurité langagière, une telle frustration, une tension psychologique si forte peuvent provoquer un bégaiement chez les uns, une violence verbale ponctuée d’invectives et d’insultes chez les autres, et parfois même un passage à la violence physique quand l’individu n’arrivant pas à dire son fait à son interlocuteur, le menace, puis le frappe!

Il s’agit là de troubles associés au langage que l’on trouve bien évidemment ailleurs que dans les sociétés créoles. Ils sont seulement plus courants et plus systématiques chez nous. La langue elle-même en porte des traces. Les glissements de sens par exemple sont symptomatiques: «babiyé» (en français, babiller) c’est carrément s’invectiver, «kriyé» (crier) c’est seulement «appeler». On pourra «crier quelqu’un au téléphone». «hélé» (en français, héler) c’est gueuler! Le créole de la Martinique parle de «combat gueule» et pour cela on utilise ses «zépon natirèl», c'est-à-dire qu’on retrouve son naturel de «vieux nègre» consistant à lancer à l’autre l’insulte suprême toujours en rapport avec le sacré. Ici c’est la mère; la vrai bagarre. n’est plus très loin!

Qu’en est-il de l’écrit? Que faut-il entendre par diglossie littéraire?

Quand il s’agit de l’écrit, passer d’une pensée en créole à une rédaction en français est souvent une véritable torture pour nos écoliers créolophones. Quand ils doivent rédiger une «composition française», comment tracer les frontières et trouver le mot juste entre le «gros créole» de la campagne, le «créole francisé» du bourg, le «français créolisé» de tout le monde, et le «français scolaire» qu’exigent nos enseignants psycho-rigides, eux-mêmes corsetés, atteints du même mal? Ce qui explique les «Créolisme!!!» rageurs des correcteurs ponctuant la marge de rouge. Ce qui explique les phrases alambiquées, les hypercorrections, le vocabulaire recherché, souvent obsolète et abscons de certains de nos «écrivains» qui se considèrent réellement pour des «auteurs»et qui ne peuvent concevoir que leurs écrits ne dépasseront jamais les limites de leur île.

Il y a encore ceux qui font le choix d’écrire en créole, non pour la défense et l’illustration de cette langue, mais simplement parce qu’ils maîtrisent mal le français littéraire et que leur égo surdéveloppé a besoin à tout prix d’être sous les feux de la rampe. Ils n’ont, en réalité, rien à dire, rien à démontrer sur les beautés de la langue, mais instrumentalisent cette dernière pour l’affirmation de leur «moi».

Baignant moi-même dans cette société diglossique, je ne m’exclue pas de tous ceux que je viens de décrire et suis d’autant plus à l’aise pour en parler que je le fais de l’intérieur du système.

Ne jetons pas le bébé avec le bain, la diglossie n’a pas que du mauvais. Il est peut-être même le pivot de notre sens de la dérision, cet humour des désespérés. Nos jeux de mots ont une saveur que nous sommes seuls à comprendre. Par exemple, le «fur et à mesure» allemand/français, incompréhensible pour les premiers locuteurs créoles, est devenu «mizi an mizi». Le «coûte que coûte» a donné «kout ki lon», «chemin faisant» deviendra «chimen-chimen» et «courir comme un dératé» se transformera en un «courir comme un rat qui a perdu ses testicules pendant le cyclone de 1928». L’un de ces mots qui jouent involontairement sur les deux langues nous a été donné en classe par un élève de dix ans d’un quartier défavorisé: «un bon chien vaut mieux que deux kilos de rats»! Vous l’avez compris, il s’agit du proverbe «un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras». C’est Germain William qui dans «on veyé boukousou an tan lontan» nous cite encore celui-ci: «pwèl a kochon sé mannan la cité» pour «précaution est mère de sûreté».

Cette diglossie peut n’être pas entièrement négative et certains écrivains talentueux savent parfaitement en tirer profit dans un style à la saveur rabelaisienne, revivifiant au passage la langue française.

Favoriser au sein de nos sociétés le passage d’une diglossie maladive à un bilinguisme assumé, tenter d’assainir un espace de communication malsain, insalubre et fangeux, que l’histoire nous a laissé, aider à réduire les tensions sous-jacentes dans toute nos relations, tenter de parvenir à des échanges fluides, décomplexés, équilibrés, voilà mon rêve: c’est la perspective qui m’anime, le principal objectif vers lequel je tends avec ce petit lexique.

2. Zakari?

Chez nous, le «zakari» est un petit pain épais de forme rectangulaire, de pâte non levée, qu’on appelle aussi «dictionnaire». Dictionnaire, la comparaison est évidente, mais pourquoi «Zakari»?

Faut-il voir un rapport avec le prophète et le «livre de Zacharie» qui célèbre l’avènement du Messie, en se rappelant que chaque dimanche, à la sortie de la grand messe, les curés faisaient autrefois distribuer du «pain béni» à la population? Dans ce cas «Zakari» serait «pain béni». Ce serait fantastique si notre petit lexique jouait ce rôle!

L’Etymologie des mots:

Sauf cas particulier, j’ai fait le choix de ne pas développer ce domaine, celui-ci relevant d’un travail bien plus complet qui n’est pas l’objectif de ce lexique.

La graphie:

J’ai opté pour la graphie phonologisante que nous utilisons en Guadeloupe.

Elle est aujourd’hui acquise par une grande partie de la population, et acceptée par le plus grand nombre des linguistes.

Le choix des mots

Pour établir la liste des entrées en créole, je n’ai volontairement voulu choisir aucune des méthodes traditionnelles des lexicographes: ni enquête auprès de la population, ni atlas linguistique, ni relevé de vocabulaire spécialisé auprès de professionnels, ni champ lexical prédéterminé à partir de corpus d’écrits créoles. Je n’ai pas même voulu consulter le dictionnaire créole précédemment établi avec mes co-auteurs. Le vocabulaire proposé ici est le mien, celui que j’utilise tous les jours dans mes écrits. Je l’ai établi de manière purement spontanée et aléatoire, notant les mots comme ils me venaient à l’esprit, au fur et à mesure de mes pensées quotidiennes. Je comptais me limiter à 1000 mots, mais je n’ai pas pu, pas su me résigner à supprimer le supplément qui sera pour le lecteur le traditionnel «agouba» de toute bonne marchandise créole

Toutefois, dans mon choix, j’ai privilégié les mots qui n’étaient pas «transparents». En effet, tout mot français étant potentiellement un mot créole, il n’y aurait eu aucun intérêt à reprendre des mots créoles qui n’ont que peu ou pas de différence soit avec leur signifié, soit avec leur signifiant en français, c’est à dire soit avec la prononciation du mot, soit avec son sens. Ainsi j’ai retenu un mot comme kannari, mais pas un autre comme chòdyè, trop proche de chaudière malgré les petites nuances de prononciation et de sens.

Je n’ai pas non plus noté tous les morphèmes grammaticaux, ces petits mots qui n’ont pas de sens utilisés seuls mais qui le trouvent par la place qu’ils occupent dans la phrase. Nous pensons ici à té, ké, ka, pou, ja, kay, pòkò, tou, ainsi que toutes leurs combinaisons té+ka, té+ké, té+ké+pou+ja+ka etc… qui précèdent les formes verbales

En revanche, j’ai pris soin de relever tous les mots de liaison, prépositions, conjonction de coordination et de subordination, èvè, asi, dèyè, ba, pasi, pou, koté, bò,òbò,davwa, padavwa, poudavwa, aprédavwa, kifèwvwè ,sékardèdi, kanmenmsi kanmenmsa,, kivédi, sitèlman, konmdifèt, lèwgadé, atoupannan, lamenm, etc. Il en va de même des pronoms interrogatifs tels que kimoun, kitan, kijan ,ola, kisa ,kilès etc…

En effet, si le signifié de ces mots est facile à relier à une étymologie française - par exemple «aprédavwa» a pour origine «après avoir»- leur signifiant en est fort éloigné. Or ils sont par ailleurs indispensables pour l’articulation de la pensée. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai choisi d’en faire des monèmes et donc de les lexicaliser en les agglutinant.

Enfin, je me suis amusé à montrer la grande diversité des onomatopées sans pour autant chercher à en trouver les équivalents en français.

Etablir un lexique est, pour un lexicographe, à la fois plus simple et plus compliqué que de travailler à un dictionnaire. A vrai dire il n’existe qu’un dictionnaire monolingue créole1. La difficulté réside dans la nécessité de créer un métalangage qui permette de parler de la langue. La simplification extrême de ce lexique implique la privation d’explications souvent indispensables et de phrases qui auraient aidé à illustrer les mots en situation.

Je n’ai pas non plus établi les catégories grammaticales des mots créoles, ni par voie de conséquence des mots français. Les catégories grammaticales étant moins étanches en créole qu’en français, chacun sait qu’un nom comme «mabouya» - nom du gecko - peut être utilisé en tant que verbe dans une expression comme «on bèl gwadloupéèn ka mabouya». Il en est de même pour beaucoup de substantifs qui peuvent jouer le rôle de prédicat et vice versa..

Enfin, je n’ai pas toujours mis les synonymes ou les variantes pour chaque entrée, ce petit livret étant également un cahier où le lecteur doit poursuivre le travail par moi commencé. A vous, ami lecteur, de le continuer. Je ne dépose qu’une ébauche entre vos mains. Demain, il suffira peut-être de collationner les observations d’une centaines d’entre vous répartis sur toute l’île pour avoir cet atlas linguistique du créole de la Guadeloupe. Aussi comme dit le proverbe créole, «sé grenn diri ka fè sak diri» Zakari-lasa, sé grenn diri an-nou.

Capesterre le 22 Janvier 2006

éléphant

Colophon

Quelques pistes pour l’utilisation pédagogique de ce lexique à l’école

Un lexique est constitué de mots du vocabulaire. Ces mots sont le plus souvent ordonnés et rangés par ordre alphabétique. Mais on pourrait tout aussi bien établir un lexique en classant autrement, en faisant des sous ensembles, et cela de différentes façons:

Par exemple par champs lexicaux, c'est-à-dire par familles de mots traitant d’un même thème.

Comme:

  • les mots qui désignent les parties du corps humains et les sens: pwèlazyé (cil), kokozyé (globe oculaire), anbabra (aisselle) etc..
  • les mots qui désignent le milieu végétal et la flore: pyébwa (arbre), zépyant (herbe puante), chouk (souche) etc…
  • les mots qui parlent du monde animal et de la faune: zannimo (animal), manman-bèf (vache), tibèf (veau) etc…
  • les mots qui présentent les humains et leurs comportements: moun (humain), timoun (enfant), granmoun (adulte), apach ( avide, cupide) etc…
  • Les mots qui expriment les sentiments ou les notions abstraites: enmé, (aimer), mansousyans (indifférence), hayisans (haine) etc…
    Etc..

On peut également travailler sur les catégories grammaticales:

  • Les mots qui n’ont que la fonction verbale et sont accessoirement en fonction nominale: vwè (voir), di (dire), donneront rarement on vwè, on di, tandis qu’on a couramment gadé (regarder), on gadé (un regard), chanté (chanter), on chanté(une chanson).
  • Les noms qui peuvent se retrouver en fonction verbale ou adverbiale: mabouya (margouillat), i ka dansé mabouya, (il /elle danse comme un margouillat).
  • Les verbes qui ne prennent pas «ka» quand ils expriment une action non accomplie: sav (savoir): on ne di pas an ka sav, ou alors c’est qu’il s’agit d’un moment particulier an ka sav lè ou ka manti (je sais quand tu mens).
  • Les noms qui présentent une variante masculin /féminin: dousinè / dousinèz.
  • Les adjectifs, démonstratifs, possessifs, qualificatifs: tala, sila, lésèz.
  • Les mots qui ont une fonction adverbiale ou les constructions qui l’autorisent: ainsi le préfixe «ala», comme dans i ka travay alavavit, alakous, alafoutépanmal; Jak ka maché vitman-présé.
  • Etc..

Une autre classification possible pourrait être:

  • Grouper les mots par leur origine étymologique possible.
    • langue française mais aujourd’hui désuet: «bay» de bailler (donner)
    • vocabulaire de la marine: «zoban», en créole échine, de hauban
    • régionalismes de provinces françaises: «dwèt», «droit» en français se dit drèt en patois du sud-ouest.
    • langues amérindiennes: «kannari» vient de kanali
    • langue anglaise: «pit» vient de pitt (arène)
    • langues africaines: «lanbé» qui en créole signifie «lécher, passer la langue sur» vient probablement du swahili lamba qui signifie «lécher, essuyer avec la langue».
    • langues indiennes: avèlka, pikenga, woulka, pawoka, moltanni, pongal sont tellement créolisés que nous ne savons pas qu’ils sont d’origine tamoul ou indi.
      Etc…
       
  • Les néologismes:
    • par dérivation: kouyon, kouyonné, kouyonnad, kouyonniz
    • par composition: kouri, kouridi, kourigadé, kourivwè, kouriséré
    • à partir d’onomatopée: gligli, gligliyé, vonvon, vonvoné kip/ki

Nous constatons qu’à partir d’un seul petit lexique, il est non seulement possible d’enrichir notre vocabulaire en créole mais également en français et de faire un voyage dans toutes ces langues qui ont contribué à l’élaboration de notre soupakongo de langue.

Bon travail, bon voyage.

Quant à nos amis, voyageurs, visiteurs, touristes ou résidents non créolophones, qu’ils soient d’Europe, d’Afrique, d’Amérique ou d’ailleurs, je souhaite que ce petit lexique soit une première approche de notre culture, culture que nous aimerions partager avec eux de tout cœur, pour parvenir à les créoliser, les adopter, les intégrer.

Nous leur disons: «Bay adan!», «Allez-y!»

 

  1. Diksyonè Kréyòl Karayib de Joslin Twouyo.
Zakari Zakari
Hector Poullet • Zakari: mil mo kréyòl bòkaz • Mars 2006 • Editions Art, 142 rue Rateau, 93 120 La Courneuve Tel/Fax 01 48 35 01 07 • Email • ISBN 2-916237-15-1• 12 €

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