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Calendrier des métiers en voie de disparition
Octobre 2018

Germaine et les dernières «maitresses à manioc»

Hector Poullet

Sèchage sur une platine chauffée par une chaudière;
la spatule en bois sert à travailler la fécule et à la retourner.
Photos Francesca Palli

On dit souvent en créole on mètamanyòk pour désigner le «responsable» sinon le spécialiste d’une activité. Ainsi on pourra entendre: Benzo sé on mètamanyòk a kréyòl.

L’expression est d’autant plus étrange que de tous temps, depuis les précolombiens, les premiers amérindiens de tous bords, tupis, guaranis, taïnos, arawaks ou kalinas, ce sont toujours les femmes qui se sont occupées, ensemble, de la culture du manioc et de sa transformation en cassaves ou encore en farines pour nourrir toute la communauté.

Aujourd’hui encore le manioc est une affaire de femmes. C’est l’héritage que nous ont transmis ceux qu’on appelait les Caraïbes, et il l’a été par les femmes aux femmes.

Il arrive certes que des hommes donnent un coup de main à gratter les tubercules, les grager, presser la pâte pour extraire l’acide cyanhydrique poison et récupérer la fécule, dite mousach, mais l’opération la  plus pénible, la plus délicate, la cuisson dans la chaleur de la platine, manier la  karèt et le râteau pour que la farine se déhydrate sans brûler, ce sont les femmes maitresses à manioc qui le font.

Quelle jeune fille d’aujourd’hui accepterait un travail si ingrat? Aussi les «platines», cassaveries ou maniocreries, ferment-elles les unes après les autres.

Le Département, la Région ou la Commune de Capesterre Belle-eau a pourtant fait le nécessaire pour offrir au 18 maitresses à manioc des environs, un lieu, bien équipé, bien situé, bien fréquenté, pour qu’elles continuent leur activité, et continuent à faire vivre leur famille, rien n’y fait. Elles se désolent: il n’y a pas la relève! A plus ou moins long terme ce lieu emblématique du matrimoine et de la tradition caraïbe fermera comme les autres l’ont fait à Goyave, Petit-Bourg et ailleurs.

Seule Germaine dans les hauteurs de l’ilet Pérou semble tirer son épingle du jeu. Elle organise depuis plus d’une décennie des dégustations, repas de cassaves, deux fois par semaine pour les touristes. L’affaire semble assez rentable pour  passionner ses enfants et même ses petits-enfants. Mais au prix de quel effort! Quel courage, quelle énergie! Qu’il pleuve ou qu’il vente, Germaine tel un capitaine sur un bateau, est aux commandes, elle fait sa présentation de l’activité et sa démonstration sur place. Les clients satisfaits assurent, de bouche à oreille, la publicité….

Merci Germaine! Grâce à cette vraie maitresse à manioc, nous pourrons peut-être encore manger des cassaves pendant une génération. 

Pressage de la pâte pour extraire l’acide cyanhydrique (poison) et récupérer la fécule.

 

Sur Potomitan

Manihot esculenta, manniok, tubercules alimentaires.


Viré monté