Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

La Caraïbe et moi

De Bonaire à Sainte-Croix: suite

Hector Poullet

Sainte-Croix

Le fort Christiansvaern est un fort colonial danois de style français situé à Christiansted, Sainte-Croix.
Photo: Geneviève Poullet.

La traversée de Bonaire à Sainte Croix relatée par Marie-Ann d’après les souvenirs qu’elle en a gardée en tant que second du Capitaine avait été encore plus terrible pour Geneviève et moi, deux seuls autres membres de l’équipage. Geneviève était couchée sur un lit dans la cabine arrière avec un mal de mer qui l’avait anéantie. Quant à moi, pour le peu que j’ai pu me tenir sur le pont, j’ai plus d’une fois cru notre dernière heure arrivée. Je voyais venir chaque vague d’une dizaine de mètres au-dessus de nous et j’étais chaque fois certain que celle-là était la bonne, que nous allions être définitivement engloutis. Mais non, le Capitaine tenait fermement la barre et le Madoukéra obéissait, levait le nez et enjambait la montagne d’eau pour affronter la montagne suivante. Je me rendais bien compte qu’il suffirait d’un coup de barre mal placé, un peu plus à bâbord ou à tribord pour qu’on embarque des tonnes d’eau et qu’on chavire. Dans notre sillage, à la faveur d’éclairs fulgurants, j’aperçus plus d’une fois des dauphins qui nous suivaient en faisant des cabrioles et j’eus même le sentiment qu’ils applaudissaient de leurs nageoires de nous voir dans ce combat titanesque. Je suis sûr que dans tout ce fracas je les ai entendus rire de nous, se moquer de ces terriens qui avaient osé s’aventurer sur leur domaine!!!

La tempête s’est calmée sur le matin, la journée a été calme, nous avons continué notre route plus sereinement, le Capitaine pour enfin prendre un peu de repos, nous avait confié la barre en nous précisant le cap à tenir à tout prix. Ce n’est qu’à la tombée du jour que nous avons vu se dessiner à l’horizon les contours de Sainte-Croix.

Cette Ile Vierge américaine était alors le centre d’un intense trafic d’énormes tankers qui, à cause d’une raffinerie de pétrole située sur l’ile,  faisaient comme une noria avec le Venezuela. Il valait mieux ne pas se trouver sur le passage de l’un d’entre eux, il nous aurait fait couler sans même s’en rendre compte.

Geneviève allait mieux, comme nous nous rapprochions de la côte, il fallait que le Capitaine slalome pour éviter les hauts fonds en lisant sur les cartes marines très précises le Madoukéra n’étant pas encore équipé de GPS, en même temps que Geneviève du carré d’en bas lui lisait à haute voix les indications de profondeur du sondeur.

Sur presque tous ces bateaux, nous les terriens voyons une petite éolienne qui tourne et s’oriente face au vent. Nous ne nous doutons pas de l’importance de ce petit ventilateur. En fait il fournit l’électricité qui permet de recharger les batteries d’accumulateur. Ces batteries sont bien au sec dans un abri où un homme peu à peine tenir debout, elles seront sollicitées pour faire démarrer le moteur de 70 Cv quand toutes voiles affalées il faudra se faufiler dans la passe qui mène au quai pour enfin accoster. Au cours de la tempête l’éolienne avait été abimée, sa dynamo s’était désolidarisée du rotor, n’avait pas chargé suffisamment les batteries. Le Capitaine avait eu beau s’escrimer avec une manivelle, impossible de mettre le moteur en marche. Que faire pour s’approcher de l’entrée du port? Notre Capitaine eu alors une idée géniale. L’annexe!

Il n’était pas envisageable que cette annexe avec son petit moteur de 2 CV puisse ni tirer ni pousser notre bateau! Mais si on l’arrimait au milieu avec des cordages pour qu’elle soit bien solidaire du navire peut-être que l’opération pourrait réussir. L’annexe est mise à l’eau à tribord, le Capitaine plonge à bâbord avec des sangles, passe sous le bateau, ligote ensemble le bateau à l’annexe! Et miracle le petit moteur pousse lentement notre Madoukéra vers l’entrée du port!

Alors que nous avançons lentement, très lentement, nous apercevons à bâbord une barge fortement éclairée, chargée de déchets, tandis qu’à tribord un chaland lui aussi fortement éclairé poursuit sa route. Et soudain horreur! Nous stoppons in extrémis! Un câble d’acier reliait les deux et il ne se voyait pas dans la nuit!

Ouf, nous voici enfin à quai. Nous décidons d’un diner dans un restaurant du bord de mer avant de retourner sur le bateau pour une nuit de sommeil bien mérité.

Le lendemain matin une bien triste histoire nous bouleverse. Nous rencontrons sur l’appontement un couple d’une quarantaine d’années chacun. Il nous raconte que la veille leur fils unique âgé d’une vingtaine d’années est venu pécher à cet endroit avec un copain, quand brusquement sa ligne s’est tendue, un tarpon probablement, il a eu beau tirer puis laisser filer, rien à faire! Il demande à son ami de tenir la canne à pêche et lui plonge avec un couteau. Il n’est jamais remonté ! Les responsables du port alertent un bateau militaire Américain qui envoie une équipe de plongeurs, toute la journée ils ont plongé, cherché, ils n’ont rien trouvé.

Ils étaient là sur le quai, désespérés, attendant de voir si par hasard le corps n’allait pas remonter!!!

Telle a été notre arrivée sur l’ile de Sainte-Croix.

*

 Viré monté