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«Truth and Justice Commission»

«Komite Diosezin 1er Fevriye»:
justice pour les Créoles!

La Vie catholique 21-23 mai 2010

«Komite Diosezin 1er Fevriye»: justice pour les Créoles!

Des faits, des analyses et des recommandations. C’est ce qui figure dans le document d’une quinzaine de pages que le Komite Diosezin 1er Fevriye, représenté par le père Jean-Maurice Labour, Jimmy Harmon et Danielle Palmyre, a déposé devant la Commission Truth and Justice, le 12 mai dernier. La Vie Catholique vous en propose un aperçu.

La déposition des membres du Komite restera probablement un des grands moments de la Commission Truth and Justice. C’est devant un Alex Borraine attentif, entouré de ses commissaires (Parmaseeven Veerapen, Vidya Teeluck et Benjamin Moutou) que les représentants du Komite ont, à tour de rôle, présenté leur document. L’assistance était, elle, constituée d’autres membres du Komite et de la presse.

La première partie du document commence avec l’historique du Komite et donne les raisons de cette démarche auprès de la Commission. Puis suit la genèse de l’engagement de l’Église auprès des Créoles, de la confrontation de l’Église au «malaise créole», à l’utilisation du kreol dans la liturgie, en passant par le Synode.

À bas la discrimination!

Le document offre aussi une analyse de quatre périodes de l’histoire: la colonisation française, la colonisation britannique, la période pré-indépendance et post-indépendance, et montre comment les Créoles ont souffert d’injustice, ce qui a laissé des séquelles. Pour chaque période, huit champs sont étudiés et leur impact examiné: la politique, la législation, l’Église, la culture, l’économie, l’emploi, l’éducation, l’accès aux terres et le logement.

Chiffres à l’appui, le Komite aborde la question de la discrimination à l’encontre des Créoles, notamment via le système de recrutement qui les pénalise. Une discrimination basée sur les noms, l’apparence physique et le lieu de résidence. Résultat: le pourcentage de Créoles dans les instances décisionnelles varie entre 5 et 15 %... alors qu’ils représentent 30 % de la population.

Fort de ces constatations, le Komite estime qu’il faut rectifier le tir dans le système et les mentalités, en agissant concrètement. Par exemple, «transformer le système politique, social et économique», qui produit des inégalités et relègue le Créole au bas de l’échelle. Combattre le communalisme à travers une reconnaissance de la culture, de l’héritage créole car, le mauricianisme ne peut se faire sur un déni. Établir une politique de recrutement non discriminatoire, qui empower les Créoles afin qu’ils puissent accéder aux hautes sphères de la politique, de l’économie et de l’éducation.

Recommandations

Créer un forum, un espace de dialogue intercommunautaire pour contribuer à la réconciliation nationale, telle est la première recommandation du Komite. Dans une saine confrontation, académiciens, praticiens et société civile pourraient s’y rencontrer.

L’accès aux archives a aussi été un point soulevé. Le Komite recommande à toutes les institutions qui détiennent des documents historiques traitant de l’esclavage et des immigrants indiens d’en faciliter l’accès au public.

Il estime, par ailleurs, que le rapport final de la Commission devrait identifier les obstacles qui empêchent la mobilité sociale des Créoles. Cette recherche des responsabilités n’est en aucun cas une démarche punitive, tient-il à souligner, mais plutôt un outil pour trouver le moyen de réparer les injustices du passé et du présent.

Aux institutions ayant des responsabilités directes ou indirectes par rapport à l’esclavage et aux travailleurs engagés, le Komite demande des excuses publiques.

Sur le plan des réformes, le Komite préconise celle de l’institutionnel et de l’éducation. Cette équipe souhaite, par exemple, qu’il y ait des procédures légales contre la dissémination de déclarations racistes, que les magistrats en cour de district, les juges et les officiers de police soient formés afin d’éviter le délit de faciès et que les droits de toutes personnes soient respectés. Mais aussi qu’il y ait plus de transparence dans les exercices de recrutement, tant dans le public que le privé.

Pour le secteur éducatif, le Komite demande, entre autres, à ce que l’histoire et la culture créoles soient enseignées, de même que le kreol morisien, «en tant que langue héritée des ancêtres esclaves».

Il convient aussi de revoir le curriculum et les manuels qui proposent une vision négative du Créole, éliminant ainsi les préjugés et les stéréotypes. L’équipe soutient l’idée de bourses régionales (comme le propose le ministère de l’Éducation) en vue de démocratiser l’accès à l’éducation et à la mobilité sociale.

Réparations

Les réparations ne doivent pas se limiter à l’aspect financier, estime le Komite. Mais aussi culturellle, économique et politique. Sur le plan culturel, il s’agit par exemple, de promouvoir et d’enseigner l’art et la musique créoles. De créer une fondation qui supporterait les efforts des Créoles dans divers secteurs.

L’Église doit également poursuivre son travail d’inculturation et une Mission Kreol lancée pour l’évangélisation et la promotion de la culture créole.

S’agissant des réparations économiques, le Komite recommande une compensation pour ceux qui ont été dépossédés de leurs terres, un soutien global aux éleveurs de porcs et aux pêcheurs pour qu’ils deviennent des entrepreneurs.

Enfin, sur le plan politique par exemple, le terme «population générale» devrait être remplacé par «Créole» dans la Constitution et le Best Loser System remplacé par une procédure plus «proportionnelle» pour une meilleure représentation des composantes de la société mauricienne. Ainsi, mauricianisme finira par rimer avec égalitarisme…

Danielle Palmyre, membre du
«Komite 1er fevriye»

«Lutter pour la cause créole,
c’est lutter pour l’équité»

 

 

Sans langue de bois, Danielle Palmyre, théologienne et membre du Komite Diosezin 1er Fevriye, explique la démarche du groupe auprès de la Commission Truth & Justice: une étape logique dans leur engagement auprès de la communauté créole. Une quête de justice, un devoir de chrétien, un acte citoyen.

Le «Komite» a déposé devant la Commission «Truth & Justice» la semaine dernière. Pourquoi cette démarche?

Danielle Palmyre

La Commission a été créée pour entendre les Mauriciens. Et le Komite rassemble des Mauriciens à part entière, qui ont à cœur l’histoire du pays, particulièrement celle des Créoles.

Depuis son lancement en 1985, le Komite a entrepris de nombreuses actions: célébration de l’Eucharistie - avec des thèmes porteurs - chaque 1er Février, activités dans la cadre du Festival Kreol, lancement de CD de cantiques en kreol…

Il y a eu aussi un travail de réflexion sur la place du Créole dans la société, sur notre rôle en tant que Mauriciens, Créoles et catholiques. Nous estimons avoir mené une réflexion suffisamment poussée sur le sujet et avoir de quoi déposer devant la Commission: nos constatations, préoccupations, recommandations.

Nous voulons ainsi partager notre lecture de l’histoire. Être la voix de tous ceux que nous côtoyons. Mais aussi, travailler à l’unité nationale.

Or, pour y arriver, nous sommes convaincus qu’il faut découvrir la vérité, rétablir la justice. Pour ce faire, il faut assumer toute l’histoire de Maurice. Celle qui est connue est malheureusement racontée de manière trop partielle et… partiale.

Justement, votre document est bien élaboré, bien ficelé. Comment l’avez-vous préparé?

C’est l’aboutissement de longues années de labeur. Il y a eu tout un travail de réflexion. Le Komite a aussi élaboré beaucoup de documents internes. Nous avons ainsi préparé un condensé de tout ce que nous estimons important à dire.

L’Église s’engage aujourd’hui auprès des Créoles pour que ces derniers aient leur place dans la société. Or, cela n’a pas toujours été le cas. Comment expliquer ce changement?

On a ici l’impression que l’Église est un bloc monolithique, qui ne change pas. Or, elle évolue avec l’histoire de l’humanité depuis 2'000 ans, avec le temps, avec les gens qui la composent. L’Église, c’est un rassemblement de millions de communautés. Et là où elle vit, l’Église s’engage.

Évidemment, comme toute institution historique, l’Église s’est trompée. Elle n’a pas dénoncé ou lutté contre l’esclavage. Elle a eu tort et elle l’a reconnu. Il faut dire aussi qu’à l’intérieur même de l’Église, il y a toujours eu des voix prophétiques contre cette pratique barbare. L’Église est une des rares institutions à avoir demandé pardon. À Maurice même, feu le cardinal Margéot et Mgr Piat l’ont fait à plusieurs reprises.

Il faut voir tous les aspects de la chose. L’Église a changé. À Maurice par exemple, les Créoles ont pris plus de place. C’est donc normal aujourd’hui qu’elle pose la question créole.

Mais n’y-a-t-il pas là un risque que d’autres composantes de l’Église se sentent marginalisées?

Peut-on dire de Martin Luther King qu’il n’aimait pas les Blancs, qu’il avait une vision sectaire? Il luttait pour un besoin du moment au nom de sa foi. De même, lutter pour la cause créole, c’est lutter pour l’équité. N’est-ce pas là une cause à laquelle tous les catholiques peuvent adhérer?

Moi, qui ne suis pas une Black American, j’ai adhéré à la cause de Martin Luther King. Moi qui ne suis pas une indienne, j’ai adhéré à la cause de Gandhi. La lutte pour la justice, pour moins de discrimination, n’est-ce pas l’affaire de tout le monde?

L’Église est celle de tous les catholiques. Pour autant, nous ne devons pas l’empêcher de travailler pour les Créoles, une communauté où se trouvent les personnes les plus pauvres.

En tant que catholiques, nous ne devons pas nous limiter à aller à la messe. Nous devons descendre sur le terrain et militer pour une cause juste. Si, par exemple, les sino-mauriciens étaient persécutés à Maurice, toute l’Église aurait dû, là aussi, lutter pour la justice. Je crois que les catholiques n’ont rien à perdre dans ce combat, mais tout à gagner.

Cette démarche pour que les Créoles aient enfin la place qui leur revient ne risque-t-elle pas d’engendrer des frictions communales?

Revenons à Martin Luther King. Quand il s’est engagé pour les Noirs, on l’a accusé de vouloir mettre le pays à feu et à sang. Mais en réalité, c’est la société américaine qui exerçait une violence terrible sur les Noirs: racisme, injustice, discrimination…

Dans notre société, il y a du racisme, de l’injustice, de la discrimination à l’égard des Créoles. Tout cela constitue une violence sociale. Ce que nous voulons, c’est enlever tout cela.

En Amérique, ce n’est qu’alors qu’il y a eu plus de paix. Car, il n’y a pas de paix sans justice. Ainsi, lutter pour la justice, c’est donner plus de chance à la paix. Il ne faut surtout pas faire de ceux qui sont engagés dans cette démarche les bourreaux de la société. Nous sommes des pacifistes. Nous voulons lutter avec les armes de la parole, de la loi.

Nous ne sommes pas contre les autres communautés. Nous pensons d’ailleurs qu’il y a, dans d’autres communautés, des personnes de bonne foi qui comprennent notre lutte.

De plus, l’une de nos recommandations, c’est la création d’un lieu, d’un espace de dialogue où toutes les composantes de la société mauricienne pourraient discuter, partager. Nous croyons que c’est ainsi que se construira l’unité nationale. Or, à ce jour, nous faisons tout en parallèle… si ce n’est en opposition.

Je crois par ailleurs que l’identité mauricienne se construit avec tout ce que nous sommes. C’est un travail d’inclusion. Or, une société qui se respecte ne peut pas accepter qu’une partie de ses membres vive dans la pauvreté extrême ou subisse le racisme et des comportements discriminatoires. La grandeur de notre nation se mesurera à sa capacité à mettre en œuvre une vraie justice sociale dont pourront bénéficier tous les Mauriciens sans exception.

Martine Théodore-Lajoie

 Viré monté