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Baudelaire à Maurice

Emmanuel Richon chausse les «souliers de la liberté»

Sedley Assonne Port Louis, 11 septembre

Emmanuel Richon, exégète de Charles Baudelaire, a proposé mardi, au Centre Charles Baudelaire, une lecture nouvelle de l'œuvre de l'auteur des Fleurs du mal. Il a animé une conférence intitulée Charles Baudelaire, ou "les souliers de la liberté".
Le poète a débarqué à l'île Maurice en juin 1841, trois mois avant que le prêtre spiritain Jacques Désiré Laval ne foule le sol mauricien. Il est symptomatique que ces deux Français se soient tous deux pris d'amour pour les Noirs. Mais si le père Laval ne retournera jamais en terre natale, Baudelaire n'aura passé que trois mois chez nous.
Ce n'est certainement pas Emmanuel Richon qui nous contredira sur le fait que la Jeanne Duval de Baudelaire pourrait bien avoir été une esclave affranchie. Il le subodore d'ailleurs dans le magnifique ouvrage "Belle d'abandon" qu'il a consacré à Jeanne Duval.
Emmanuel Richon se signala très tôt à son arrivée à Maurice avec "Les poèmes mascarins de Charles Baudelaire", un livre composé des poèmes de Baudelaire traduits en créole grâce à la complicité de Vimala, son épouse d'origine mauricienne.
Fasciné par l'auteur des "Petits poèmes en prose", Emmanuel Richon n'a eu de cesse de montrer que le séjour mauricien, voire indianocéanique, puisque Baudelaire a aussi séjourné à l'île Bourbon (La Réunion), a été capital dans l'écriture des "Fleurs du mal". Paru en 1857, le livre vaudra à son auteur d'être condamné pour outrage aux bonnes mœurs. Plusieurs poèmes du recueil sont interdits et Baudelaire doit payer une amende.
Pourtant, comme l'écrit Pierre Jean-Jouve, "Baudelaire est une origine. Il crée une Poésie française après des siècles de fadeurs et de discours. Sa création annonce la grande mutation des valeurs, du rationnel à l'irrationnel, du prosaïsme de la pensée au mystère de l'invention".
Curieusement, autant la critique française parlera abondamment de Baudelaire, autant elle oubliera systématiquement Jeanne Duval, la compagne de Baudelaire. Elle l'a accompagné jusqu'aux derniers moments de sa vie. Mais il était "politically incorrect" à l'époque de dire que le poète était amoureux d'une Noire.
Dans son "Baudelaire ou la modernité poétique", Dominique Rincé n'accorde qu'une ligne à Jeanne Duval: "Jeanne Duval disparaît probablement à Paris la même année", en 1871.
Comment peut-on "disparaître" à Paris en 1871, alors qu'il était connu que le plus grand poète français vous fréquentait? D'ailleurs, la critique évoque plus souvent Marie Daubrun et Appollonie Sabatier et omet de citer la Duval.

Charles Baudelaire et la nostalgie de Tamarin

Le Mauricien, 17 août 2007

Le Dictionnaire toponymique de l'île Maurice proposé par la Société d'histoire, va dans son prochain fascicule à sortir en septembre, comporter un nouveau paragraphe consacré à Charles Baudelaire, à propos de la région de Tamarin. Cette initiative vient à sa manière faire écho au cent-cinquantenaire de l'œuvre maîtresse du poète français, Les fleurs du mal, dont de nombreux poèmes et vers ont été inspirés par son séjour mauricien.
La rubrique consacrée à Tamarin dans le Dictionnaire toponymique de l'île Maurice, va prendre cette fois outre ses indications géographiques et historiques, une tournure littéraire. Les auteurs vont, dans la prochaine édition, citer les vers de Baudelaire qui ont pu lui être inspirés par cette région du Sud-Ouest. Ainsi, Tamarin est présenté comme le seul endroit où le poète français a pu sentir la sensation de «... la houle qui m'enlève» évoquée dans La chevelure. Les mots «tamarins» et «tamariniers» reviennent à plusieurs reprises dans Les fleurs du mal. L'ajout cite aussi un extrait du poème La Vie Antérieure qui évoque la baie de Tamarin en ces termes:

«Les houles, enroulant les images des cieux,
Mêlaient d'une façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.
C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs.»

Ce même texte fait aussi allusion aux grottes basaltiques que le poète a pu y découvrir.

Cressonville révélée en 1968.

Charles Baudelaire avait 20 ans quand son beau-père, le général Aupick, le fait embarquer sur un navire qui part pour Calcutta en juin 1841, pour l'éloigner des milieux littéraires qu'il fréquentait déjà. Le jeune homme n'ira pas au-delà de Maurice mais il en ramènera une grande part de son inspiration... l'exotisme, la sensualité, la nostalgie d'un paradis perdu, les couleurs vives et la présence enivrante de la mer.
En octobre 2001, la Société d'Histoire de Maurice dévoilait une stèle à Cressonville, entre Mare-aux-Songes et la route de Tamarin, qui témoigne précisément de son séjour dans la région. On peut encore y lire le texte qui suit : « En ces lieux séjourna Charles Baudelaire, vécut La Dame Créole et naquit Madame de Lesseps ». Il y est également précisé que La Dame Créole n'est autre que son hôtesse, Mme Autard de Bragard, et que la fille de cette dernière, Hélène, devint ensuite l'épouse de Ferdinand de Lesseps.
Charles Baudelaire a, en effet, été accueilli par M. et MmeAutard de Bragard pendant son séjour mauricien en septembre 1841. Comme l'a rappelé Raymond d'Unienville lors du dévoilement de la stèle, on a longtemps cru que Gustave Adolphe Autard de Bragard, à la fois planteur et avocat, résidait alors aux Pamplemousses. Cette erreur remonterait à la
publication de 1921 qui avance aussi qu'il était magistrat du district de Pamplemousses, alors que les magistratures de district n'ont été créées qu'en 1850.
C'est finalement le spécialiste de la littérature mauricienne Jean Urruty qui fait pour la première fois, allusion à la résidence des Autard de Bragard à Cressonville, dans son livre publié en 1968, «Le voyage de Baudelaire aux Mascareignes». La même année, on apprend dans une publication de Guy Rouillard sur les domaines sucriers que l'avocat planteur a quitté Pamplemousses en 1840. En 1974, il réapparaît dans la liste des propriétaires de Cressonville de 1842, avec toutefois la précision qu'il était déjà en possession de ce bien. Il n'existe aujourd'hui plus de trace de cette plantation, au sujet de laquelle le poète évoque aussi une étendue d'eau.

A une dame créole

Charles Baudelaire s'est sans doute également rendu dans la maison port-louisienne de l’avocat, qui est aujourd'hui l'étude des avoués André et Georges Robert, leur famille possédant ce lieu depuis 1948. C'est le seul lieu dont il reste une trace physique à la rue Georges Guibert, l'ancienne rue des Tribunaux. M. Autard de Bragard avait également une demeure, dans une rue aujourd'hui disparue, entre le musée de l'Institut et le bâtiment du Trésor.
Mais au-delà de ces péripéties notariales, les investigations de la société d'histoire ont surtout permis de mettre en lien des lieux que le poète a vu et la nostalgie qu'il en a plus tard exprimé dans ses vers, et qui prennent alors un sens plus évident. Il ne fait guère de doute qu'il n'aurait pu voir à Pamplemousses les tamariniers auxquels il fait allusion à plusieurs reprises, pas plus que les grottes basaltiques, en revanche nombreuses à proximité de Cressonville. «A une Dame Créole», le poème dédié à Louise Marie-Antoinette Autard de Bragard, fait mention des arbres de la région de Tamarin dans une première version. Ainsi, "dans un retrait de tamarins ambrés » est devenu par la suite «sous un dais d'arbres tout empourprés» (source: dictionnaire biographique 2000). Cette première strophe du célèbre poème était …:

«Au pays parfumé que le soleil caresse,
J'ai vu dans un retrait de tamarins ambrés
Et de palmiers d'où pleut
sur les yeux la paresse
Une dame créole aux charmes ignorés.»

DOMINIQUE BELLIER

Le Baudelaire d’Emmanuel Richon

Week End, 16 septembre 2007

Dans le cadre du 150e anniversaire de la publication des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, le public est convié à une série de manifestations, dont des conférences. Celle donnée par Emmanuel Richon mardi dernier au CCB ("Baudelaire et les souliers de la liberté") a abordé la thématique des pieds nus, marqueurs identitaires de l'esclavage. Elle avait, entre autres objectifs, de présenter des sujets non abordés autour de Baudelaire.
Outre ce que l'on connaît déjà: Baudelaire, poète maudit, condamné pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs (Les Fleurs du Mal), Emmanuel Richon nous apprend que les Fleurs ont aussi été interdites pour des raisons racistes. Le conférencier a exposé ce que les critiques et exégètes ont pu dire de mal de Jeanne Duval, la maîtresse de Baudelaire, sans la connaître. Il souligne que l'engagement de Baudelaire ne peut se dissocier de sa vie et qu'il s'est obstiné dans ses choix au point d'être rejeté par tout le monde. "Baudelaire voit dans la marginalité une rédemption. D'une certaine façon, il a choisi ce camp des gens déchus."
Richon fait ressortir que Baudelaire a été le premier à chanter sa femme noire à Paris. Il rappelle que le poète a séjourné 18 jours à Maurice et que l'on connaît très mal son séjour dans l'océan Indien. Le souvenir d'une esclave fouettée se profile dans "A une Malabaraise": Baudelaire ne fait aucun doute sur sa servitude et sa condition, nous dit Emmanuel Richon. Il cite d'autres poèmes: "La Belle Dorothée", "A une Madone", pour illustrer la thématique des pieds nus et la proximité avec la femme.
Emmanuel Richon a donné d'autres exemples pour démontrer comment Baudelaire a été marqué par son voyage aux Mascareignes. Voyage auquel on ne s'est pas intéressé en France. Une conférence pour dire qu'il existe des aspects en friche de l'œuvre de Baudelaire, surtout de l'alchimie par laquelle les fleurs de la poésie vont éclore de la dégradation. Il fait ressortir la non-reconnaissance de Jeanne Duval et cite des exemples de racisme (critiques de journalistes, amis, etc.) à la mort de Baudelaire. Il n’y a pas eu de réelle réhabilitation, dit-il.

Nouvelle saison des fleurs

L’Express, 17 septembre 2007

"Les fleurs du mal", 1857-2007, 150 ans après, Emmanuel Richon choisit de braquer les projecteurs sur un aspect précis de l'œuvre de Baudelaire. Le rapport entre "le fait historique des souliers de la liberté" et ses choix de vie, ses choix d'écriture.
C'était cette semaine dans le cadre de la série de manifestations organisées pour marquer l'anniversaire de la parution des "Fleurs du Mal". Pour ne pas piétiner les fleurs, expliquons d'abord la symbolique des souliers de la liberté.
Emmanuel Richon s'appuie sur l'ouvrage éponyme d'Alain Romaine, sorti en début d'année.
Où il explique qu'au "jour de l'émancipation (...) l'aube trouva tous les hommes debout et chaussé. 30 000 paires de souliers neufs inauguraient l'ère nouvelle ; car plus encore que le parasol, plus que le chapeau (.. .), les souliers symbolisaient pour eux l'entrée en possession de leur nouvel état social".
Si à Maurice l'abolition a lieu en 1834, dans la France de Baudelaire il faudra attendre 1848. Son œuvre est déjà tracée bien avant l'abolition. Un décalage comblé en quelque sorte par le voyage de neuf semaines entreprit en 1841 par Baudelaire, alors tout juste âgé de 20 ans.
Contredisant Sartre qui a vu dans le destin de Baudelaire, "un échec patent, l'absence totale de prise de position", Emmanuel Richon s'est attaché à démonter à quel point "la question de l'esclavage se trouve en filigrane dans ses pages littéraires (...) conçues avant l'abolition".
Une étude basée sur deux textes en particulier: A une malabaraise et un extrait du Spleen de Paris intitulé La belle Dorothée. De quoi illustrer combien le poète "fut ancré dans son siècle, qu'il avait su faire des choix cohérents, audacieux, et les assumer jusqu'au bout. En bref que la `vérole' dont il était atteint ou la `négresse' qu'il côtoya durant 27 ans (...) donnèrent à sa vie un destin à caractère exemplaire que l'on peut rétrospectivement considérer comme hautement politique et engagé".
Empathie avec des femmes à la condition servile. Emphase sur leur beauté, notamment celle de leurs pieds nus, plutôt que sur "les stigmates de l'univers meurtrissant du travail aliénant". Les exemples ne manquent pas dans ces deux textes pour montrer la lucidité du poète dans son "choix positif, éthique autant qu'esthétique (qui le) séparent des moralisateurs aux jugements négatifs et dénonciateurs purement circonstanciés".

"La littérature est pour lui une prostitution"

Critique sévère de Bernardin de Saint-Pierre, Emmanuel Richon l'oppose à Baudelaire. Reléguant l'auteur de Paul et Virginie au rang de "moralisateur à souhait mais n'en tirant aucune leçon, prétendument contre l'esclavage mais ayant accepté pour son bénéfice personnel la domesticité servile durant son séjour à l'île de France".
Le conférencier fait cependant la part des choses. Baudelaire est "loin de la dénonciation tonitruante". Ce qui pourtant n'est pas incompatible avec la position du poète dans La Belle Dorothée. Prose où Dorothée l'affranchie s'en va nu-pieds. Se prostitue et entasse piastre sur piastre pour racheter sa jeune sœur de 11 ans à son maître. Le conférencier ne se privera pas de rappeler que l'une des plus fréquentes déclarations de Baudelaire est que la littérature est pour lui une prostitution. Sans omettre une mention de Jeanne Duval, sa "femme".

Mine GROËME-HARMON

A une malabaraise

Tes pieds sont aussi fins que tes mains, et la hanche
Est large à faire envie à la plus belle blanche;
A l'artiste pensif ton corps est doux et cher;
Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair.
Aux pays chauds et bleus où ton Dieu t'a fait naître,
Ta tâche est d'allumer la pipe de ton maître,
De pourvoir les flacons d'eaux fraîches et d'odeurs,
De chasser loin du lit les moustiques rôdeurs,
Et, dès que le matin fait chanter les platanes,
D'acheter au bazar ananas et bananes.
Tout le jour, où tu veux, tu mènes tes pieds nus,
Et fredonnes tout bas de vieux airs inconnus;
Et quand descend le soir au manteau d'écarlate,
Tu poses doucement ton corps sur une natte,
Où tes rêves flottants sont pleins de colibris,
Et toujours, comme toi, gracieux et fleuris.
Pourquoi, l'heureuse enfant, veux-tu voir notre France,
Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance,
Et, confiant ta vie aux bras forts des marins,
Faire de grands adieux à tes chers tamarins?
Toi, vêtue à moitié de mousselines frêles,
Frissonnante là-bas sous la neige et les grêles,
Comme tu pleurerais tes loisirs doux et francs,
Si, le corset brutal emprisonnant tes flancs,
Il te fallait glaner ton souper dans nos fanges
Et vendre le parfum de tes charmes étranges,
L'œil pensif, et suivant, dans nos sales brouillards,
Des cocotiers absents les fantômes épars!

Emmanuel Richon, une carrière dans l'art

Emmanuel Richon est l'auteur de deux ouvrages publiés aux éditions l'Harmattan en 1993 et 1999: "Les Poèmes Mascarins" de Charles Baudelaire et "Belle d'Abandon", Jeanne Duval et Charles Baudelaire, portrait. Autre ouvrage paru en 2000 aux éditions Sham's à la Réunion, Charles Baudelaire dans l'océan Indien, ouvrage accompagné d'un CD.
Né le 26 juillet 1959 à Paris. Il fut chef de l'atelier de restauration du musée de la Marine à Paris, puis responsable de l'ensemble des collections de 1982-1995, avant de restaurer. Envoyé en mission de coopération muséologique avec le Mauritius Institute à Maurice en 1993. Entre 2001- 2002, il s'est occupé de la restauration de l'ensemble de la collection d'œuvres du Blue Penny Museum. Auparavant il a été coopérant du ministère français des Affaires étrangères en mission officielle auprès du ministère mauricien des Arts et de la Culture, de 1997 à 2001, il s'est occupé de la restauration du musée de Mahébourg.

Viré monté