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Aimé Césaire et Alfred Marie-Jeanne

Histoire d'une filiation et d'un destin tragique

Thierry Caille

Montagne Pelée

Nuages sombres sur la Martinique (Montagne Pelée depuis la Caravelle). Photo F.Palli.

«Père, pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font»

Jésus de Nazareth sur la croix
Évangile selon Saint Jean, psaume XIV. 

                        Il est convenu pour les martiniquais qu'Aimé Césaire est un Dieu. Mais il ne possède pas tous les attributs de la divinité. Pas l'immortalité, apparemment. Césaire est mort le 17 avril 2007, c'était donc un dieu vivant.  Il ne possède pas non plus, l'infaillibilité. Césaire a été communiste, jusqu'à cette fameuse lettre à Maurice Thorez en 1956. Dès lors il fonda son propre parti le PPM. Un homme politique a besoin d'un parti, d'un appareil de parti, d'apparatchiks. Il ne suffisait pas d'aller déclamer des poèmes sur la place de la Savane, à Fort-de-France, pour changer un tant soit peu son pays, conduire son peuple martiniquais, imprégné du colonialisme et de la mémoire de l'esclavage.

                        Césaire considérait depuis fort longtemps que son pays devait être indépendant. Mais il considérait aussi que son peuple n'était pas prêt pour ce choc brutal, qui soit-dit en passant fut désastreux en Afrique. Il opta pour des formes transitoires que furent la départementalisation, puis l'autonomie. Puis les espoirs nés de l'arrivée de François Mitterand, au pouvoir en France, homme de gauche comme lui, le décida à déclarer un moratoire, dans l'espoir que François Mitterand fît les changements qui étaient nécessaires à la Martinique. Seulement François Mitterand n'appliqua, une réelle politique de gauche que 3 années, sous le gouvernement Mauroy. Il y eut cependant les lois sur la décentralisation. Puis la suite est connue, Mitterand les mains liées par les problèmes économiques, un pays de gauche dans un vaste ensemble capitaliste, les cohabitations, et la vieillesse. Aimé Césaire fut certainement déçu. Le PPM maintint pour autant le moratoire.

                        Césaire vieillissait lui aussi. Et devait penser à trouver un successeur, à son parti et à ses idées, pour ne pas ajouter à ses rêves. Que fallait-il faire? Prendre le plus fidèle, le plus proche? Prendre Pierre Aliker. Non, trop jeune le gandin, pensa Césaire. Il avait dès lors deux possibilités. La première, saborder le PPM ou trouver ailleurs un leader partageant les mêmes buts que lui. Mais où? Un inconnu, mais pas le chef d'un autre parti, idéologiquement proche. Impensable. L'appareil du parti aurait été désorienté, les électeurs aussi. Et imaginons le merdier qu'il y aurait eu dans le monde politique martiniquais, qui n'a pas besoin de cela pour se diviser, s'entre-tuer. Sagement, et sans doute, avec une lucidité écornée par l'âge, par prudence aussi, Césaire choisit de ne pas faire de cataclysme politique et choisit Serge Letchimy pour lui succéder. Le PPM, gardait son appellation contrôlée, l'appareil était sauf, les apparatchiks toujours là. Mais tout ceci ne fut que façade, ravalement du néo-PPM, dont on ne sait aujourd'hui où il se positionne politiquement, sur quelles vagues surfent ses leaders. Et à voir d'incessantes références à Césaire, on constate assez vite, que ces dernières ne sont que des sauf-conduits destinés à tromper l'électeur, servir l'ambition des anciens barons du PPM et c'est tout. Car le néo-PPM, on ne sait plus quelle est sa ligne politique, mais à l'évidence, elle n'est pas la ligne fixée par Aimé Césaire en personne, pire, elle s'y oppose. Serge Letchimy semble politiquement et surtout idéologiquement se comporter en traître voire en parricide. On peut s'interroger sur sa stratégie et peut-être plus simplement et froidement sur ses ambitions personnelles. Car pour un parti progressiste, soit marxiste sans les soviets, c'est-à-dire, anticolonialiste, anticapitaliste, virer brutalement et s'associer avec les partis classiques capitalistes et les extrémistes colonialistes, cela ne s'appelle pas de la «finasserie politique» mais de la trahison, tout simplement. Et dans quel but trahir? Je ne vois qu'une hypothèse, servir des ambitions personnelles. Soit l'exact contraire que ce qu'a toujours fait Aimé Césaire, Donc parricide! Chapeau Monsieur Serge Letchimy! Vous entrerez dans l'histoire, pour celle que vous avez écrite!

                        Un certain Alfred Marie-Jeanne, maîtrisant mieux le créole que le grec ancien, martiniquais, maire de Rivière-Pilote, a fondé un parti, le Mouvement Indépendantiste Martiniquais, le MIM, qui prônait à ses débuts, purement et simplement l'indépendance de la Martinique dans des meetings au public modeste, populaire et dans lesquels, naturellement, leur leader s'exprimait à 80 % en créole, dans une tenue peu orthodoxe pour un grand chef politique, un maillot gris souris. Mais voilà que ce parti, sous les propos charismatiques de son leader, prit de plus en plus de poids au sein du peuple martiniquais qui finit par porter son leader, Monsieur Alfred Marie Jeanne, aux plus hautes charges, député de Martinique et Président du Conseil Régional de la Martinique. L'homme est passé d'une idéologie idéaliste à la réalité du pouvoir et a compris, comme Césaire l'avait compris qu'il faudrait un phase transitoire, l'autonomie, sur le chemin de l'indépendance, la PENSEE EXACTE d'Aimé Césaire. Pour parvenir au faîte du pouvoir Alfred Marie-Jeanne, possédait une arme, dont il a d'ailleurs fait usage, une fois parvenu au pouvoir, une INTEGRITE ABSOLUE. Et des qualités de volonté, de droiture, d'obstination, de travail sans relâche et enfin de fidélité envers ses engagements initiaux, envers les martiniquais qui l'ont porté au pouvoir et qu'il n'a jamais trahis. Aujourd'hui, l'homme doit être amer, de tant de trahisons autour de lui, les partis amis idéologiquement, du moins et pire de se voir critiquer, insulter, voire humilier, parfois dans la bassesse. Mais que l'on se rassure. Monsieur Alfred Marie Jeanne a essuyé d'autres coups, et quoi qu'il arrive, quoi qu'il ait dit (en créole bien sûr), il restera le combattant qu'il a toujours été, fidèle entre les fidèles à ses rêves qui sont exactement les mêmes que ceux d'Aimé Césaire, l'indépendance de la Martinique, dût-on comme le pensait aussi Césaire passer par une voie intermédiaire qu'est l'autonomie. Et Alfred Marie Jeanne ne quittera son combat que lorsque la mort l'emportera.

                        Trois conclusions s'imposent à l'énoncé de ces deux vies politiques, dont la seconde est toujours en cours. Le pouvoir change non les hommes, leur idéal, mais les méthodes, par de nécessaires adaptations aux contraintes de la réalité, qui s'opèrent avec le temps et l'évolution du milieu politique et de la situation du pays.

                        La seconde conclusion, probablement la plus choquante pour certains, la plus spoliante sans doute pour ces derniers est que Monsieur Alfred Marie-Jeanne est le FILS NATUREL POLITIQUE  d'Aimé Césaire. Désolé de dire cela pour certains qui touchent déjà l'héritage, mais il y a, pour eux, captation d'héritage. Inutile de dire leurs noms. Désolé de vous dire cela à vous aussi martiniquais, que je n'ai vu qu'une seule fois, UNIS, FIERS, TRANSFIGURES, au stade Dillon, pour célébrer les obsèques d'Aimé Césaire.

                        La dernière conclusion, la plus grave, est que dans quelques jours vous allez voter. Ce sera «oui» ou «non». Si en votre âme et conscience vous votez «non» et que vous êtes les plus nombreux à le faire et bien la mémoire de ce jour mémorable où  vous vous êtes sentis UNIS, FIERS, TRANSFIGURES, ce jour des obsèques d'avril 2007, pas si loin au fond, se transformera à jamais en un cauchemar qui viendra vous hanter, celui d'avoir enterré Aimé Césaire, comme on le faisait, autrefois, la nuit, sans sacrements, à la dérobée, sans personne, pour les défunts sans croyance ou accusés de sorcellerie. Ou bien vous verrez dans vos hallucinations nocturnes un stade Dillon, désert, balayé par le vent, avec, au milieu de la pelouse, insolite, dans un silence assourdissant, le cercueil d'Aimé Césaire, simplement posé sur le sol, sans une seule fleur, pas même un hibiscus, ou alors une couronne d'épine.

                        Et parfois, la nuit, vous aurez, brutalement réveillés par ces cauchemars, parfois en sueur, parfois, vous aurez honte de vous .....

Thierry Caille
4. Janvier 2010

Viré monté