Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

Écrire des textes
et les chanter...

par Jocelyne Béroard

 

 

 

 

 

 

Jocelyne Béroard

Un jour, dans un livre, j’ai lu une phrase toute bête qui m’a touchée: «Si tu veux écrire des livres, commence par en lire», je l’ai complétée avec «Et si tu veux écrire des chansons, commence par en écouter… de bonnes»!

Lorsque j’étais petite, je faisais déjà attention aux textes des chansons que j’aimais. Evidemment, j’ai copié, comme presque tous les teen-agers des années 60/70, les chansons de variété française qu’on entendait à la radio... Des chansons qui nous faisaient croire à l’amour et allaient de pair avec nos gros poils… Mais, il m’arrivait presque de pleurer lorsque je chantais «Adan gran siel-la» de Fernand Donatien, «Anlè monn-la» de Malavoi, «L’accordéoniste» de Piaf, «Les vieux» de Brel, «Nantes» de Barbara et bien d’autres, tant les textes me touchaient. Je me nourrissais des textes de Fernand Donatien, lisais et chantais les chansons du recueil de Léona Gabriel-Soïme «Ça c’est la Martinique».

Une des premières chansons que j’ai interprétée en public fut «An ti mizisien» dans lequel le jeu de mots, comme nous le faisons si souvent chez nous, m’amusait:

«Misié ou pa jounalis, pouki sa ou ka entérojé mwen,
Misié ou pa jij di pé, mé ou ka fè véyé mwen,
Ti misié ou pa ladwann ou lé fouyé an zafè mwen,
Alò lanné ta-la, mwen ké chwazi an mizisien,
Menm mannié i ka graté gita-la, Menm manniè i ka ba’w sa bien….»

Les textes de chansons d’Ina Césaire, ceux de Joby Bernabé en créole ou français me réjouissaient aussi et je rêvais d’en faire autant. Et, de plus en plus, sentir l’âme du pays devenait capital!

J’ai vite compris que pour exceller en écriture, il fallait maîtriser convenablement le choix des mots, la façon originale d’aborder un thème, et qu’en plus, comme il fallait en faire des chansons, nous devions faire attention aux sonorités des mots qui allaient épouser les mélodies. Lorsque j’ai commencé à chanter et écrire, il était hors de question de devenir Brel ou Piaf, mais il était important que je tente de trouver comment dire mes mots pour qu’ils sonnent et résonnent, touchent et «ensouchent». Raconter mes histoires, nos histoires, notre histoire.

J’avais 14 ans lorsque j’ai écrit mon premier texte, il rendait hommage aux marchandes de poisson, et plus exactement au "Balaou-bleu". J’étais fascinée par ces femmes qui portaient un gros panier sur leur tête depuis la ville et grimpaient le morne jusqu’à nous en hurlant "béléw-béléw", on les entendait de loin. Le texte était simple :

Gadé’y maché dan lari-a, anlè tet-li an go panyen,
Gadé’y maché dan lari-a, machann balaou blé,
I pa ni tan pou li pozé,
Balaou blé, i ka chayé,
Dé pié’y za fatidjé manmay,
Maché, maché….

et le refrain encore plus simple répétait leurs appels dans la rue: Bélé’w bélé’w bélé’w bélé’w…… quelques fois entrecoupé de Maché, maché, maché, maché…. Le second (enregistré cette fois) parlait de Ti-mal, ce jeune homme conscient de son identité, ne connaissant pas son père, mais sachant jouer du tambour. C’était sur une base reggae, musique de Curtis Louisar, fin des années 70, enregistré sur un disque d’Henry Gueydon. Lorsque je regarde ces deux textes de ma période, ante-Kassav, je souris. En fait, autour de moi, lorsqu’on parlait trop fort, on nous traitait de "machann-pwason"… et lorsqu’on parlait de tambour il s’agissait de "vié-neg". J’aurais pu être blasée, insouciante et me contenter de poésie… mais j’ai dû certainement intégrer, dès mon plus jeune âge, ce "nannan" transmis par ma mère et mes grands mères, qui me nourrira toute ma vie: les choses vraies de mon pays, de mon peuple.

Et la langue créole s’est imposée. Je n’avais pas le droit de la parler à la maison, comme beaucoup d’enfants d’hier et… d’aujourd’hui. Mais mes parents chantaient avec nous les chansons traditionnelles du pays qu’on entendait à la radio en créole et ma mère relevait les expressions succulentes qu’elle entendait ici ou là et m’en faisait part. La beauté de la langue, la beauté du créole m’a été révélée par ma mère. Alors qu’une femme était traitée de vulgaire lorsqu’elle usait de cette langue dans la rue ou «en société», je découvrais que cette langue avait une richesse et une beauté, et décidai de me libérer du qu’en dira-t-on pour mieux l’apprendre et en user. Partie étudier lotbò, il ne fallait compter que sur moi seule au début. Ma graphie était «au feeling» jusqu’à l’arrivée des propositions du Gerec que j’ai adoptées sans problème. J’ai donc commencé à acheter des dictionnaires, grammaire et tous livres en créole que je pouvais trouver pour me nourrir de tournures auxquelles je n’avais eu droit qu’en gouttelettes. Il faut dire que je n’ai commencé à parler le créole qu’à l’âge de huit ans, (et en un mois!), lorsque mon père nous a inscrites, mes sœurs et moi, à l’école communale de Plateau Fofo. Au couvent de Cluny, où nous étions avant, la majorité des élèves étaient békés ou venaient de lotbò, moun pa té ka palé kréyol.

Le choix de cette langue, ma langue, ta-mwen, ne veut pas dire que je dénigre le français, le rejette ou le critique, mais le français qui, nous l’avons prouvé pendant des années, n’ouvre aucune porte que l’autre veut maintenir fermée, réveille en moi des choses qui m’ont été enseignées sans avoir un rapport profond avec mon vécu. Pour moi, Max Ransay est quasiment le seul interprète de chez nous qui réussissait en chantant en français à garder son âme créole. Je veux garder toutes les vibrations de mon âme et ma langue me conduit de suite là où il faut que j’aille. Elle me donne les couleurs, les odeurs, la position dans le temps et l’espace, me permet de connaître, retrouver mon histoire, mon moi. Ce n’est pas un plaidoyer pour le créole, mais l’affirmation que mon être vit et vibre avec cette langue qui est mienne que nous regardons s’appauvrir et disparaître sans que cela ne touche la majorité d’entre nous. La télévision qui «éduque» nos enfants, et nous aussi si nous n’avons pas une certaine vigilance, donne une conception de la vie souvent très éloignée de nos réalités. Certes on peut croire qu’on a, qu’on possède sincèrement cette culture imposée par le dominant, mais lorsqu’on se pose vraiment la question «qui suis-je?» face à son miroir, on sait dans son fondòk qu’on est riche d’un tas d’autres choses et ce sont ces choses qui me motivent, me donnent de l’assurance, annulent mes doutes, et me libèrent pour mieux écrire, mieux aimer.

Alors, mes textes respirent le chez-nous, les femmes et les hommes de chez nous, nos joies, nos peines. Et j’en parle avec fierté. La beauté du pays, les sensations, les couleurs, et la chaleur du soleil sur mon dos, non pas de façon exotique sur une plage, mais comme un bonheur que l’on reçoit, intense, revivifiant, énergisant, distillant uniquement la beauté, l’amour, l’espoir.

Avec Kassav, c’était le bonheur (et ça l’est toujours). Le créole était de mise et comme nous travaillions à la création d’un son que nous voulions «nouveau et propre» (c’est à dire bien réalisé), il était logique que nous y ajoutions des textes du même niveau. Les questions étaient quasiment les mêmes: Pour la musique: Quel rythme? Comment créer quelque chose de «nouveau»? Partir de quoi? Pour les textes: Quelle langue? On parlera de quoi?

Nous avons choisi de parler de la vie. Tous les thèmes, toutes les déclinaisons de ces thèmes, et le créole se devait d’être le plus authentique possible de même que poétique. Nous étions de la Martinique et de la Guadeloupe, le choix des mots devenait vaste et si «Avè’w doudou» sonnait mieux que «Epi’w doudou» dans une mélodie, on ne se posait aucune question. Chacun prenait ce qu’il voulait de l’autre, nous étions plus riches!

Nos textes, parlent de nous, qui sommes nous? D’où venons nous «Anba chenn-la», le nègre marron est dans «Balata bel bwa», on y rend hommage «Oti Vélo», «Eti la i yé», racontons nos voyages «Gorée…», la vie du pays «Milans», nos combats «Soulajé yo», nos amours «Ké sa lévé», «Bel kréati», «Avè’w doudou», nos fausses routes «Mwen di’w awa» «Konkibin», nos traditions «Kavalié o dam», nos départs «Mwen alé», nos retours «Mwen viré», nos douleurs «Vini séré», nos espoirs etc... Ils sont en accord avec ce que nous vivons, pensons, mangeons, subissons, faisons, espérons, offrons.

Vigilance première: «éviter les structures syntaxiques calquées sur la langue française» en évitant de traduire littéralement le français en créole, mais en recherchant les tournures originales avec des livres, dictionnaires ou simplement avec le souvenir des phrases entendues dans la rue, ou des aînés. Lorsque j’écris une phrase je me pose la question suivante: «est ce que la tournure est créole»? Car si en français il nous faut éviter de faire des créolismes, il est logique que la règle s’impose dans l’autre sens aussi, et nous avons réellement une façon précise de dire les choses.

Ensuite, éviter de condamner en utilisant le «Yo di, yo fè…» mais, s’intégrer, s’inclure dans la démarche de réparation, avec le «nou». Ne pas laisser l’autre qui reçoit le texte dans le désespoir, mais lui offrir une lueur ou un chemin vers une solution positive.

Un texte éduque, répare, apaise, élève et devrait permettre de grandir sereinement. Être actif et participer efficacement demande une certaine intelligence dans le propos et surtout une vision non polluée par toutes les idées reçues, idées inculquées pour nous maintenir dans le désamour de nous même, et ainsi mieux nous dominer. L’exemple est notoire dans une chanson qui a alimenté un eksétéra de polémiques «Neg mové»! Car comment rêver d’un changement lorsqu’on affirme cela?

Dernièrement, en écoutant «Mami yo» de Soft, je souriais à la phrase qui me ramenait à mon enfance «Engra ja fin manjé, engra-la ja fondé an fanmi, i pa touvé tan pou di’w mèsi…» Combien de fois nos grands mères nous ont traités d’ingrats? C’était leur façon de réclamer leur part d’amour. J’ai eu envie de crier merci pour qu’elles l’entendent!

Les sources des thèmes peuvent être variées. Jean Philippe a souvent utilisé des proverbes ou expressions populaires pour alimenter ces thèmes: «Ti kochon di manman’y, poukisa djol-ou long kon sa, Manman-an réponn li tanto tanto ou kay wè mon fi…» ou encore «Lanmori ki ni (pou) manjé, lanmori ki ni jòdiya, Lanmori ki ni manjé, viann sé pou dèmen maten…». Des textes qui informent sur les choses de la vie du pays. Son «Pazapa» fait écho au texte de Césaire «Un pas, encore un pas…». Bref, il faudrait des heures pour décortiquer les plus beaux textes des chansons de chez nous…

Tout peut-être point de départ du moment que nous installons le texte dans notre vécu, notre culture, la plus belle chose que nous avons à raconter à l’autre. Ce sont nos mots, et avec notre langue, ils nous parlent directement, mais si on traduit les textes, il ne s’agit que de la vie, ils deviennent universels. Ils ne sont pas universels uniquement lorsqu’ils prennent les choses de l’autre pour qu’il s’y reconnaisse, en oubliant qui nous sommes, mais avec la simple conscience que nous sommes des hommes et des femmes comme les autres. Et nos histoires sont des histoires d’hommes et de femmes qu’on peut retrouver partout avec des déclinaisons différentes. Ces tournures différentes sont liées à la culture et véhiculées par la langue, et une traduction pour être belle et adaptée ne se fait jamais littéralement mais en pleine connaissance de l’autre langue, des tournures, des expressions, des proverbes et traditions. Simplement parce la culture d’un peuple, son histoire, ses émotions et sentiments sont liés à sa langue et ne font qu’un. Nul besoin de dire tout ce qui meurt avec une langue qui disparaît…

Une amie qui voulait la traduction de «Bon appétit» m’a mise dans l’embarras. J’ai fini par lui proposer «Pa angwé», qu’elle a eu du mal à accepter… peut-être parce que trop violent. Mais dans le passé, les assiettes n’étaient pas suffisamment remplies pour qu’un souhait de bon appétit soit de mise, alors que le peu dans l’assiette avec notre humour habituel devient «pa angwé épi’y» qui oblige à manger lentement pour que ça dure longtemps. C’est ma façon de penser ma langue et vivre dedans.

Pour finir, je vais dire quelques mots sur ma façon de travailler. Dès que j’ai une idée, je la note sur le bout de papier que je trouve, j’ai des boites de brouillons que je re-fouille de temps en temps. Je me suis aussi concoctée un dictionnaire de «boutamo», rimes, en français. J’en avais un pour la langue française et j’ai donc fait le mien en créole, histoire d’avoir sous la main une tjolé de mots qui m’aident souvent à compléter une idée plus qu’à faire la rime! Dans ces mots bon nombre sont oubliés ou peu utilisés, alors de temps en temps j’en ressors comme: tankou, flòkò, fifiné, chaltouné… et mon dictionnaire favori est celui des néologismes proposé par Raphael Confiant. J’y ai trouvé les kaptèson (radio), madounisay et autres suggestions enrichissantes. Dans sa préface, il dit tenter de "ré-enclencher les processus de créativité lexicale au sein du créole", moi je lui dis merci.

boule

2000 Pawol-Nef Kréyol par Raphaël Confiant et Serge Colot.

 Viré monté