Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

Mon calvaire du Vendredi Saint

Tony Mardaye
Pâques 2008

Calvaire de fort de France

Calvaire de Fort de France. Photo Tony Mardaye.

S’il y avait un jour dans l’année que j’abhorrais  un jour que j’exécrais c’était  sans conteste le vendredi le saint, jour maigre par excellence, jour d’interdits par conséquence : ne pas chanter, ne pas jouer avec le marteau, ne pas clouer, ne pas écouter la radio, c’était un jour consternant, une journée afflictive en plus d’être affligeante.

Le seul jour de l’année où ma mère nous faisait un (kako dou) chocolat à l’eau qu’elle «épaississait avec du toloman», un chocolat de pauvre, confectionné sans lait,  un liquide imbuvable  pour un enfant (en l‘occurrence moi) qu’on surnommait «djole fen» (fine bouche).

Rien à faire, ce chocolat à l’eau ne passait pas le clôturé de mes lèvres, mais il faisait le régal de mon chien, un basset quelque peu ridicule, qui se traînait là par terre au ras du sol. 

Fâché depuis le réveil, depuis que la trâlée de coqs de combat de mon père, de leur caloge avait chanté cocorico, j’entamais la journée aigri avec juste de l’eau dans le ventre,  une journée qui s’annonçait bien remplie.

Après avoir pris une douche matinale avec le tuyau d’eau glacée comme la plupart des gens à l’époque dans la cour de derrière, il fallait se rendre à l’église pour la prière du matin, puis courir là, se rendre çà et là ou de-ci delà afin d’acheter les aliments nécessaires aux  préparatifs  du repas du soir, le midi on jeûnait.

Pour le souper, pas de viande, ni de poisson, on ne consommait pas  de chair le jour où le Christ a été crucifié sur le mont Golgotha, et ce en remission de nos péchés, juste  des (marinades) accras de légumes, accras de carotte, accras de choux, même pas des accras de crevettes ou de morue, un repas végétarien, mangé avec un pain sans levain  ou avec des zakaris (un petit pain feuilleté sans levain de forme rectangulaire, un pain de pauvre qui coûtait 25 centimes quand le pain normal coûtait 75 centimes de francs), ma mère accommodait les accras avec différentes sortes de salades.

Une fois que tous les légumes avaient été achetés soit à l’épicerie, soit au marché, soit au supermarché ou partout à la fois, ma sœur et moi-même aidions notre mère à couper, nettoyer,  laver les choux caraïbes, le  giraumon, les carottes, les choux, les navets et autres, qu’elle mettait à tremper dans des bassines, afin qu’ils conservent leur fraîcheur.

On avait à peine débuté la journée, que l’heure avait défilée, que le soleil s’installait au mitan du ciel et distribuait ses rayons à tout venant, en toute impudeur, à qui veut en voilà! 

Il fallait que j’accompagne ma mère à son chemin de croix, la Martinique chrétienne chômait, les bus étaient plus que rares, les taxis, n’en parlons pas, en temps normal le tarif de la course était prohibitif, alors  le vendredi saint c’est une escroquerie pure et simple, quant à mon père, un bel homme affairé, il devait se promener dans les communes avec sa 404 blanche à la recherche d’une poule pour son coq djem...

Voilà que ma mère m’embarquait avec elle, et nous prenions la route, quittions la Cité Dillon, dépassant la rivière monsieur, passant les Eaux-Découpées pour rejoindre le quartier de Sainte Thérèse, le laisser puis  aborder le morne Pichevin  pour être en vu du calvaire où ma mère débuterait son chemin de croix, mais nous en étions encore bien loin, et nous devions marcher encore.

Une fois arrivés en bas du calvaire, à la première station ma mère  s’apprêtait à revivre la passion du Christ, comble de supplice, j’avais marché longtemps, mon ventre criait famine, j’étais aux martyres, je souffrais car j’étais déjà malade mais les médecins mettront quarante ans pour s’en apercevoir.

J’accompagnais ma mère à ce calvaire, perché sur l’un des mornes de la ville de  Fort De France, les cloches des églises se sont tues le vendredi saint et nous montions  péniblement la côte, nous arrêtant à chaque station,  priant et allumant un cierge, cela durait une éternité, une souffrance sous un soleil de plomb, un soleil qui faisait taire les oiseaux.

Comme une procession, une longue file de personnes  nous accompagnait, nous faisions corps avec la masse, nous nous noyons dans la foule. Les femmes en majorité, la tête attachée, vêtues de blanc ou de noir le plus souvent, elles égrenaient un chapelet d’une main, tenant la bible dans l’autre, les yeux pénétrés de leur foi, elles étaient comme obnubilées, parfois sans mesure, elles priaient fort, elles se donnaient en spectacle.

La ferveur débordait du lieu, elle s’imprégnait à  nos corps, à notre âme. Plein de dévotion, un homme traînait une lourde croix,  et je me demandais quel péché commis expiait-il ainsi, pour s’infliger une telle souffrance?

Et nous montions…

Les arbres se dénudaient, les flamboyants étincelaient de leur floraison,  tout était rouge comme le sang du Christ  qui avait coulé ce jour, même la lumière dans un ciel haut avait des irisements rubescents, il faisait tellement chaud sur le calvaire, que les insectes si bruyants habituellement silencaient.

Seuls des papillons  voletaient autour de nous,  on en trouvait partout, des  jaunes, des blancs, des blanc et noir. Parfois, ils s’amoncelaient sur des arbrisseaux défeuillés, et donnait à voir comme une composition florale.

La lumière exténuait,  la chaleur éreintait, j’étais harassé lors de cette montée. Puis enfin, ma mère ayant fait son chemin de croix, parcouru les treize stations, nous redescendions du morne, prenant un autre chemin, car elle s’arrêtait auprès d’un arbre,  que nous appelons kas (canéficier), un arbre gigantesque qui porte des fruits d’une longueur de cinquante centimètres à un mètre de long, dont la ressemblance avec un étron n’est pas surfaite, et dont l’odeur du fruit a tout des fèces, il s’en dégage une fois la coque ouverte des émanations excrémentielles.

Je ne sais pour quelles raisons, il en tombait de l’arbre au moment où nous arrivions et ma mère choisissait celui qui nous servirait de laxatif ou de purgatif tout au long de l’année.

La tisane que nous redoutions tant, faisait son effet, elle nous vidait les intestins et chassait les vers solitaires, mais étant donné que tous les enfants étaient purgés au même moment, il va de soi qu’il y avait une rude concurrence entre ma grande sœur et moi-même pour l’occupation des toilettes et quelques prises de becs dues à l’urgence du besoin...

Cassia fistula
Le kas dans la main, nous rentrions par un autre chemin, qui passait près de chez son père avec lequel, il n’y avait pas  de communication, ne lui disant plus bonjour depuis de nombreuses années déjà. Mais je suspectais que ma mère s’inquiétait de cet homme, que je n’ai pas connu, elle me l’a montré plusieurs fois lorsque nous étions près de marché aux poissons, il devait avoir ses habitudes dans un bar du coin, mais ce fut toujours de loin, à bonne distance,  je n’ai pas souvenir de son visage.L’autre chemin nous amenait au sein des quartiers populaires, nous circulions entre les cases  faites de tôle  et de bois et non sur les routes ou les rues goudronnées, nous cheminions dans les traces et nous étions empreints de l’humeur du jour, des lieux et de sa musicalité.

Nous rencontrions des paquets d’enfants débraillés nu-pieds, tête grenée  courir dans les chemins étroits en terre battue avec leurs raras (crécelles) en faisant un boucan d’enfer. Ils s’approchaient de nous et tournoyaient leur instrument, vous obligeant à porter la main à vos oreilles afin de vous protéger de la bruyance, de ce crissement particulièrement irritant.

Vers les 17 heures nous étions à la maison, ma mère commençait à préparer ses plats, ma sœur et moi l’aidions à grager les choux, les carottes, râper le giraumon, faire les marinades  de légume et à 19 heures nous mangions, sans viande, avec un pain sans levain…

Tony Mardaye

Viré monté