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La banane antillaise une affaire d’Etat ?

Tony Mardaye

Musa

Dans la pensée coloniale ou occidentale, la banane congrue dans ses représentations picturales à l’homme noir, au Nègre, à l’Afrique, aux Antilles. Probablement, Joséphine Baker, à son corps défendant, a contribué  à la formation de ce cliché naguère,  sans doute à cause de sa tenue de scène composée d’une ceinture de bananes, dont les affiches, (devenues depuis des icônes et objets de collection) reproduites à foison imprégnèrent  l’esprit des français. Bien sûr sans méconnaître le rôle des films et bandes dessinées, telles que Tarzan, Zembla purent jouer dans l’imprégnation de cet imaginaire.

La dernière grande campagne de promotion de la banane antillaise de 2005, où des champions de bonne volonté de notre communauté, se prêtèrent au jeu en promouvant une banane, dont le slogan fut: «banane de Guadeloupe et de Martinique rien ne peut la battre», à notre sens, contribue à la perpétuation de ces préconçus  avilissants.

C’est une appréciation toute personnelle, et pas forcément partagée par tous.  Le 30 octobre 2005, Corinne répondant à mes propos lors d’un échange  amical sur un forum écrivait: «Oui mais Tony, en même temps, je ne comprends pas trop! C’est bien nous les nègres qui produisons la banane. Donc pas de surprise d’association d’images pour moi.

Il est vrai que de ce que j’ai vu du site m’a fait un effet bof! Compte tenu des enjeux, simplement faire des photos-montage avec banane incrustée, je trouve que ça fait djôbeur…..petits moyens! ... et l’iconographie n’est pas plus attractive non plus.»

Les éléments dépréciatifs conduisant à la  formation des préjugés raciaux est l’association sans conteste  du singe mangeant une banane, dont l’image se substitue au Noir mangeant la banane. 

Les racistes y ont vu comme une analogie, une proximité. Toutefois, ils n’eurent pas besoin de la banane pour qu’au 18 e siècle, le Nègre soit  considéré par certains naturalistes ou philosophes comme étant plus proche du singe que de l’homme (de l’homme blanc, cela va de soi!).

«Leurs yeux ronds, leur nez épaté, leurs lèvres toujours grosses, leurs oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la mesure même de leur intelligence, mettent entre eux et les autres espèces d'hommes des différences prodigieuses. Et ce qui démontre qu'ils ne doivent point cette différence à leur climat, c'est que des nègres et des négresses transportés dans les pays les plus froids y produisent toujours des animaux de leur espèce, et que les mulâtres ne sont qu'une race bâtarde d'un noir et d'une blanche, ou d'un blanc et d'une noire.» Voltaire: A propos des races humaines t,1.

L’homme noir fut ravalé au rang de bête, qualifié de meuble  au sens juridique du terme afin de permettre son inclusion dans le cheptel  pour être vendu comme du bétail, puis il devint  un instrument (attaché à la terre), faisant de lui un immeuble par destination. L’association entre le Noir et la banane, laisse croire qu’il y a une longue histoire entre les deux et d’aucuns pensent que le bananier est endémique soit de l’Afrique soit des Amériques.  Les plus audacieux se risqueront à proposer l’Inde. D’après les  chercheurs: «Le bananier est originaire de l'Asie du Sud Est (Chine). Aux Philippines, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, en Indonésie, on le trouve encore à l'état sauvage. Il a ensuite migré vers la péninsule Indienne, l'Afrique de l'Est et les îles du Pacifique.»

La banane, rappelons est le fruit du bananier, de ce que l’on considère comme étant la plus grande herbe du monde.  Sa présence tardive aux Amériques, son introduction ne se faisant que lors de la colonisation du nouveau monde aux 16 e siècle. Tout ceci ne sont que des hypothèses, d’historiens, de géographe et d’agronomes.

Aux Antilles françaises, la «banane entrait dans l’ordinaire des esclaves» tout durant la période esclavagiste, mais sa culture en vue de sa commercialisation, d’introduction récente, ne démarrant que vers 1922 en Guadeloupe avec trente  tonnes produites et vers 1925 la Martinique produisit neuf tonnes.

Toutefois, dès le début du XX e siècle, des tentatives avaient été faites par la Compagnie Générale Transatlantique, puis réitérées après la première guerre mondiale de 14-18, mais le démarrage  réel ne se produira que  vers 1928, et ce pour plusieurs  raisons. 

Mais tout d’abord,  dès le milieu du XIXe siècle, la banane consommée en France provenait  principalement des îles Canaries, une banane  ayant transité par les ports anglais, bordelais ou dieppois, et plus tard vers 1910, par les  ports du Nord de l’Europe et des USA.

Toute une filière bananière est déjà implantée et un circuit  économique déjà bien organisé. Les distributeurs et les murisseurs  ayant établi des relations  préférentielles de longue date avec les producteurs canariens.

Dans un tel contexte concurrentiel la banane antillaise, émergeante,  a  logiquement peu de chance de s’imposer sur le marché français, mais l’interventionnisme  étatique  en modifiera la donne.

En effet, suite au cyclone de 1928, la plantocratie antillaise obtient du gouvernent le relèvement des droits de douanes sur les importations, une mesure qui renchérit le coût des marchandises provenant de l’étranger  et favorise les productions nationales. 

Ce choix protectionniste découle directement des théories de Friedrich List, qui prônaient un «protectionnisme éducatif» une doctrine  visant à protéger les industries naissantes. 

La production décolle aux Antilles françaises, le paysage se modifie et une diversification des cultures industrielles est proposée à l’omniprésence monoculturale cannière. La sole bananière accroît de manière notable ses surfaces notamment à la Basse-Terre en Guadeloupe et dans le Nord de la Martinique.

Si dans un premier temps cette mesure permet le «take off» de l’industrie bannière antillaise, la crise économique des années 30 grèvera l’avantage compétitif obtenu  par le relèvement des taxes douanières, ce dû aux dépréciations et dévaluations monétaires de la livre anglaise et de la  peseta espagnole, entre autres.

Un décret sera pris en décembre 1931, afin de limiter l’entrée des bananes canariennes, jamaïcaines ou américaines sur le territoire français. Une mesure qui «inaugurera» le contingentement en matière commerciale.

Remarquez cette proximité entre la plantocratie coloniale et l’État. Elle se manifestera en permanence et ce durant des décennies. Il y a comme une consanguinité, une  parenté entre les deux acteurs, se retrouvant dans une même communauté d’enjeux financiers et politiques.

En 1932, une taxe spéciale prise sur les importations de fruits frais. Taxe rétrocédée aux commerçants coloniaux sous forme de prime à l’exportation.

Après la seconde guerre mondiale, la banane antillaise occupe la  presque  la totalité du marché, d’autant que des restrictions seront imposées à la banane canarienne.

De 1950 à 1960, la banane connaîtra une forte expansion, même si elle était en crise à partir de ces années,  à cause de la concurrence  due à de nouveaux entrants sur le marché,  du cyclone Besty qui en 1956 détruisit les bananeraies guadeloupéennes, ajoutons à ceci la cercosporiose qui attaqua les bananiers.

«Les causes de la crise, outre celles déjà énoncées, résident aussi dans l'augmentation des coûts de production consécutifs aux premiers traitements aériens des plantations, et surtout, aussi, dans les premiers effets sociaux de la départementalisation qui commence à se faire sentir en terme de salaires et de charges sociales. Également, cette période est marquée par l'adoption du carton. Une innovation qui nécessitait la mise en place d'infrastructures spécifiques, des stations d'emballage, de nouvelles conditions de découpe des régimes et de remplissage des boîtes…»
La production se modernise, les surfaces consacrées à la banane double (4000 ha en  1956 elle passe à 8000 ha 1960), la production antillaise générale passe de 363 000 tonnes en 1955 à 685 000 tonnes en 1960.»

En 1976, la  Martinique expédiera 215'000 tonnes net au total et la Guadeloupe 130'000 t brut. 

Depuis, la production de banane fluctue, même si elle reste la première activité agricole en Martinique, néanmoins sa culture décline et est contestée par les écologistes.

L’Europe la maintient sous perfusion grâce au «préférentiel» accordé au pays de l' A.C.P, un régime transitoire. Mais l’opposition des étasuniens est forte. C’est une culture menacée par les multinationales américaines qui voient dans ces aides et des subventions déguisées et qui s’apparentent à leurs yeux à une distorsion de concurrence. Ce, faisant l’objet de règlements dans le cadre des  «instances mondiales» de l’OMC ou de discussions entre les Etats-Unis et l’Europe…

En 2007, qu’est-ce que l’on retire de cette culture aux Antilles françaises, Martinique et Guadeloupe?

Le constat n’est pas brillant, l’utilisation massive de pesticides, d’herbicides dans  la culture de la banane a pollué les terres de nos îles et ce pour plusieurs siècles. Elle a empoisonné les sols,  contaminé les eaux et la chaîne alimentaire, rendant impropre la consommation des racines (ignames, patates douces, les ouassous, etc.) les sources, les rivières, les terres sont contaminées, les Antilles françaises font face à une catastrophe écologique majeure, un scandale sans précédent.

Le nombre de cancer de la prostate est en forte croissance, les cas d’infertilité sont sans précédents, toutes les femmes enceintes, tous les enfants de la Guadeloupe sont contaminés, en fait la culture de la banane tue ou tuera dans un avenir proche.

L’État français semble prendre conscience du désastre sanitaire, qu’il a contribué à provoquer aux Antilles françaises, en accordant des dérogations de produits interdits en métropole, mais utilisés en Martinique et en Guadeloupe, sa responsabilité, comme celle des bananiers est engagée.

Les bananiers antillais de leur côté, disent que tout est réglé, tout va pour le mieux: «Les producteurs antillais, qui réclament une "véritable" étude scientifique de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFFSA), se sont "insurgés" contre ce rapport qui n'a pas selon eux "de contenu scientifique".

«Je m'étonne du tapage sur ce dossier qui a été réglé au mieux de l'intérêt général», a indiqué de son côté Jean-Charles Bocquet, directeur général de l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP). Comme d’habitude en pareil cas, ils feront des enquêtes referont les enquêtes, se renverront la balle, puis le temps passera, les victimes mourront et au bout de quelques années, seront indemnisée une infime partie, les restants ou les survivants.

Chacun se congratulera, se félicitant d’avoir rendu justice aux victimes, puis dira qu’il a tenu compte et pris les dispositions afin que cela ne se reproduise plus. Bien sûr jusqu'au prochain scandale.

Mais dans cette affaire, les responsabilités sont multiples, et j’en veux particulièrement à nos élus ceux à qui nous avions confié la destinée de nos îles qui n’ont rien fait, soit par omission, par négligence, soit par incompétence, et quand ils ont eu l’occasion d’agir, ils ont fait passer leurs propres intérêts avant celle des populations.

Dean 2007

Champ de bananes complètement détruit par le cyclone Dean. © Photo matinikphoto.com

Quoi qu’il en soit, le cyclone Dean, donne l’occasion de repartir sur de nouvelles bases, à nous de la saisir, mais il serait souhaitable que les associations écologistes lancent une pétition auprès de la population pour demander la dépollution des sols, des rivières et des systèmes lagunaires, l’interdiction des pesticides et herbicides chimiques, une grande enquête épidémiologique  pour connaître les effets de ces pesticides sur les populations qu’une unité se fasse sur cette question et soit portée par un comité  d’experts  composé de douze personnes, dans chacune des deux îles.

Septembre 2007

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