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La montagne rouge 17

Les celticards

Extrait

José Le Moigne

— Les celticards m’emmerdent! beugla Ferrand en coupant avec rage.

Targaz acquiesça en silence. Il acceptait comme nécessaire les exercices militaires, les parades et autre maniement d’armes, mais quelle idée de leur coller, aux périodes de repos, des cours obligatoires de breton littéraire. Il était bretonnant de naissance et comprenait mal pourquoi on voulait le forcer à réapprendre sa langue maternelle. Évidemment, entre la manière de parler en pays Vannetais, du Léon ou bien en Cornouailles, il existait toutes sortes de nuances, mais, depuis des siècles, sans faire de gros efforts, on arrivait à s’accorder. C’était là l’essentiel et tout le reste lui passait au-dessus de la tête.

Le vrai plaisir, c’était de se grouper autour de la TSF et d’écouter Aman Roazon-Breiz, une radio en langue bretonne que dirigeait Ropartz Hémon. Targaz n’avait jamais quitté la Bretagne et, si ce n’était quelques parisiens en vacances, d’ailleurs le plus souvent des enfants du pays, il n’avait jamais croisé personne qui ne soit pas breton. Il était né et il avait grandi dans un espace clos. Pourtant, avec les autres gourds qui n’en savait pas davantage que lui sur le monde, il se réjouissait d’entendre Youen Drezen tempêter sa chronique où il mêlait avec adresse le racisme et le sport: «n’eo ket c’hoazh-a-benn a sozhun a zeu e vo gwelet morianed, Ploniz, pe baotred brizh-livet ar Sav-Heol o tont da gemer, war dachennoù ar vro, perchennoù ar sportoù dilezet gant ar Vretoned yaounk. Dalc’homp peg, paotred yaounk, ha sport dezhi ken no foeltro! — Ce n’est pas demain la veille que l’on verra des nègres, des Polonais ou les gars basanés du levant, venir saisir, sur les terrains de sport de notre pays, les perches des sports qu’auraient abandonnés les jeunes bretons. Tenons bon les gars, et du sport à en faire péter!»

Targaz, arrivait à penser, qu’un jour de Bleun Brug, le recteur de Scrignac aurait pu prononcer ces mots. Alors, tout lui semblait d’une clarté évidente. Comment douter. La France était cette putain cosmopolite qui, depuis des siècles et des siècles, n’avait d’autre souci que de bouffer, avec un appétit sauvage, les libertés bretonnes. Ainsi, le Bezen où il côtoyait avec le même bonheur des intellectuels comme Le Maître, Gouez ou Le Maoût et des garçons aux origines aussi modestes que les siennes, devenait-il, au fil des combats que l’on vivait au coude à coude ou dans l’intimité virile de leur casernement, cette famille unie malgré les différences qu’au fond il n’avait jamais eue. Ils avaient en partage la haine des bolcheviques qu’ils étendaient aux maquisards et, même si leurs motivations n’étaient pas toujours de celles qui puissent s’avouer, l’esprit grégaire soudait ces hommes jeunes triés sur le volet. Ensemble, rien ne pouvait les effrayer.  À peine avaient-ils reformé les faisceaux qu’ils brûlaient dans découdre.

©José Le Moigne 2013

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