Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

La montagne rouge / 27

Troisième partie

José Le Moigne

Rouge 27

Photo José Le Moigne.

Cinquante kilomètres pour rejoindre Scrignac. C’est peu, même par des routes tortueuses. C’est peu, mais c’est très long pour les villages traversés. Les Allemands n’avaient rien fait pour tenir l’expédition secrète. Aussi, bien que rien n’indiquât qu’ils perdraient de leur temps à s’arrêter dans les hameaux, ce fût la panique totale. N’est-ce pas, un hangar incendié au passage ; un tir de mitraillette lâché pour le plaisir ; un vieillard piétiné, une jeune fille violée, rien ne pouvait s’exclure. Le bruit avait couru qu’un jour à Bolazec, une troupe en goguette avait mitraillé un troupeau. Alors, on se cachait derrière les volets clos et on ne consentait à mettre le nez dehors que lorsque la colonne, dans une levée de poussière jaune, avait quitté le territoire de la commune.

Scrignac n’avait pas attendu l’arrivée de la meute. Après une brève concertation, dès la fuite de l’escorte, on avait déserté la ville et seul le maire demeurait à son poste. Cependant, avant de fuir comme les autres, Georges Bloas, un des écervelés par qui le malheur arrivait, lui avait indiqué, comme s’il voulait par-là soulager sa conscience, l’endroit où se trouvaient les corps des officiers allemands. C’était une bien terrible charge qu’il laissait à l’édile. Le pauvre se rongeait la cervelle. Quelle attitude devrait-il adopter quand la troupe serait là? Dire? Ne pas dire? Se décharger d’un coup ou bien tergiverser?  Il n’eut pas à se tourmenter longtemps. Des bottes claquèrent dans le couloir, on enfonça sa porte avec fracas, on se saisit de sa personne.

— Où sont les corps de nos camarades?

Le maire ne faisait pas le poids et le savait. Tous ses administrés étant à présent à l’abri, il pouvait se permettre de cracher le morceau.

La chasse commença.   

La horde commença par piller les maisons puis, après s’être emparée de la gendarmerie du Huelgoat, les mains libres à présent, comme une volée de doryphores, se répandit sur les campagnes alentour. De temps en temps, histoire d’asseoir sa légitimé, Bardell faisait fusiller un ou deux prisonniers. Mais le reste du temps, certain qu’il ne le décevrait pas, il laissait à Roeder la bride sur le cou et celui-ci n’y allait pas avec le dos de la cuillère. Jours après jours, des centaines de soldats, la formation Perrot, les salopards de Daigre, sans oublier le Kommando de Landerneau, ratissaient les bois et la montagne.  Cela durait depuis plus de dix jours et si on n’y mettait pas fin, il en serait bientôt fini de Scrignac et du maquis de la montagne.  

Alors, on décida de faire appel à l’aviation.

À la pointe du jour,  le bourdonnement de l’escadrille ressembla à une montée d’orage. On s’était efforcé de prévenir la population revenue s’installer dans les maisons pillées, mais celle-ci, un peu par lassitude, un peu par incrédulité, s’était refusé à y croire. Des paras qui sautent sur la montagne, qui rejoignent le maquis ou qui contournent l’ennemi, oui, c’était plausible et attendu; mais des bombes alliées qui vous tombent sur la tête, ça, c’était inconcevable. Là-haut, dans les carlingues, comme chaque fois dans un cas pareil, on faisait le boulot.  Passer, repasser, larguer les bombes et oublier. Les états d’âme, si jamais on devait en avoir, ce serait pour plus tard, quand la paix revenue on pourrait se poser n’importe où et réfléchir. Aujourd’hui l’objectif était clair. Pilonner les deux écoles et le presbytère où les Allemands avaient pris leurs quartiers. Hélas, ce que ceux de là-haut ne pouvait pas savoir, c’est que, ce matin-là, à part quelques individus retenus par des tâches annexes, l’essentiel de la troupe avaient quitté le nid pour traquer le maquis.

La première bombe explosa sur la place. L’église Saint-Pierre vacilla sur ses fondations. À l’intérieur du sanctuaire le tabernacle trembla et la veilleuse indiquant la présence du Saint-Esprit faillit s’éteindre sur l’autel. La seconde éclata dans la rue principale, soufflant vitres et murs, faisant tinter, comme autant de sonnettes des morts, les belles assiettes exposées sur le vaisselier, celles qui ne servaient jamais, même pour les jours de fête.

La troisième commença à tuer.

Au plus fort du déluge, le gars Miniou, ce grand dadais du Bezen Perrot qui s’était engagé pour voir et dira plus tard le regretter, avait trouvé refuge dans les feuillées creusées dans les taillis en bordure du bourg. Il se pensait à l’abri. Les chiottes, tu penses, les bombes ont d’autres choses à faire que d’aller les fouiller! Mauvais calcul. Le souffle d’une bombe enveloppa les lieux d’aisance et si Braz ne fut pas tué, il n’en fut pas pour autant épargné. Il ne lui restait plus qu’à trouver un point d’eau pour se débarrasser du manteau de merde, vêtement ô combien symbolique, qui l’habillait de pied en cap.

Hélas, pas de tragi-comédie pour les braves gens du bourg. Bientôt le grondement de l’escadrille, remplacé par celui du feu rongeant les ruines des maisons, s’estompa avant de disparaître. Vingt-deux scrignacois et deux soldats allemands gisaient dans les décombres. Mais l’opération n’était pas pour autant un échec. Le soir même, l’ordre de quitter la montagne et de rejoindre le Morbihan, écartant, pour le présent et l’avenir, toute idée de vengeance, atteignit Roeder et ses complices comme un direct au foie. Une dernière fois on convoqua le maire.

— Vous avez trois heures pour sauver vos archives, dit Roeder que l’échec rendait encore plus roide. Nous ne partirons qu’après avoir brûlé l’école et votre foutue mairie.

Lorsque, après dix jours d’occupation la colonne infernale s’éloigna de Scrignac, la petite bourgade n’était plus qu’un amas de cendres d’où montait une fumée étrangement paisible. Le ciel était vif et serein. Il s’en faudrait beaucoup avant qu’elles ne soient cicatrisées, mais la montagne pensait déjà ses plaies. Elle n’était pas vaincue.

José Le Moigne

Août 2012

Première partie

boule

 Viré monté