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Le brasier bleu

José Le Moigne

Froissart 72

Je me souviens de toi
avec
ce parfum des saisons
qui t’habillait si bien

Les gens parlent
et les mots sifflent à leur bouche
ainsi que des machettes
à la brosse des cannes

Ils disent que les racines
ont donné rendez-vous
au soc de l’araire
mais ils ne savent plus
comment nommer la sève

Je me souviens de toi
envoutant de ton ombre
les buissons d’aubépines

Tu portais en ces temps
des robes éphémères
et ta peau orchestrait
l’opéra de tes yeux

Je te donnais pour gîte
les mangles et les orbes
et tu me devinais
gravissant la colline
pour croquer avec toi
des poires de Saint-Jean

Alors je parlais bas
mots-silence où la ville
disait ses exigences
et bientôt le soleil
brisait l’essouchement
des terres affleurées

Le bruit violent des autobus
sur la travée des douves
indique la muraille
là s’élevait la barbacane
et je te vois sourire
dans l’oppression des meurtrières

Ici se terrent les nommés
ils reprennent en chœur
les cantilènes obscures
pulsion de l’après-dire
où je me tiens aussi
inscrivant le mépris
dans la furie de ma lignée

Je ne sais pas si le printemps
s’ouvre à l’espace
des mots qu’ils t’ont donnés
je t’apporte
je t’apporte
l’or végétal des orchidées
arrimant mon désir
à tes pétales fauves

Je me souviens de toi
pierre d’angle abandonnée
dans l’entrelacement
des jours et des nuits

© José Le Moigne
In «Froissart 72»
Spécial Nord et Belgique
Hiver 1994-1995

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