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Port-Louis capitale du patrimoine

Sedley Assonne
Le Matinal, Port-Louis, 29 août 2007

Saint James
Les politiciens en ont pris pour leur grade lors de la conférence ayant pour thème "La presse et le patrimoine" organisée par la mairie de Port-Louis. Les cinq intervenants, Yvan Martial, historien, Jugdish Joypaul, journaliste, Reza Issack, lord-maire, Emmanuel Rchon, restaurateur, et Rama Valayden, ministre, se sont tous appesantis sur la nécessité de transcender la politique politicienne pour pouvoir sauvegarder ce qui doit l'être.

Paradoxalement, si Reza Issack et Rama Valayden sont membres de deux partis politiques, tous deux ont trouvé les mots justes pour dénoncer la politique "qui détruit le patrimoine humain et culturel". Le lord-maire, lui-même journaliste et directeur du "Star", a justifié la tenue de cette conférence "car toutes les mairies membres de l'Association internationale des maires francophones organisent des activités autour du patrimoine. Nous ne pouvions rester indifférents. Car le passé, c'est nous, mais aussi nos parents et ces flots de souvenirs qui gisent dans les maisons, les rues, et qui donnent une idée de ce qu'est Port-Louis".

"Pas de langage partisan"

Il dira que "la presse a un rôle à jouer pour transmettre les valeurs de cette histoire. Et Port-Louis doit devenir la capitale du patrimoine, car à chaque coin de Port-Louis, il y a une pierre qui vous parle et un arbre qui vous regarde". Jugdish Joypaul, figure très connue de la MBC, a mis en exergue les carences de la station nationale pour la préservation de ses archives audiovisuelles. "L'Etat doit encourager la culture du respect de l'héritage. Il faut établir une carte du patrimoine du pays et mettre en relief les plus beaux sites. Ainsi, des films d'époque montrant la victoire de Dev Virahsawmy aux partielles de Triolet, dans les années 70, les premières années du MMM et les premières élections de 1967, sont autant d'images qu'il faut sauver de l'oubli. Mais ils sont mal stockés", devait déplorer Ce qu'il faut saluer du message des intervenants, c'est qu'ils n'ont pas tenu un langage partisan. Tous ont su s'élever au-dessus des clivages politiques pour ne retenir que l'essentiel: les politiciens passent, mais le patrimoine reste. Et il importe de le préserver. Ainsi, n'importe quel travailliste présent dans la salle aurait sûrement eu des frissons quand Yvan Martial a raconté comment, pour Rs 3'000, il a pu acheter "toute la collection du journal Advance, soit 40 ans d'histoire du Parti travailliste". Mais où étaient donc les "rouges" purs et durs quand l'encanteur vendait un trésor composé des écrits de sir Seewoosagur Ramgoolam (Thumb Mark II), Marcel Cabon, Malcolm de Chazal, Jean Erenne, Herrvé Masson et tant d'autres? Être politicien, ce n'est pas seulement animer des meetings, mais aussi s'occuper des affaires de la cité. Et la préservation du patrimoine relève d'un des devoirs primordiaux du politicien, quel que soit son parti politique.

Rama Valayden a aussi tiré la sonnette d'alarme "sur les jugements du judiciaire. Ils étaient empilés n'importe comment dans dès cours de justice. Mais je les ai sauvés de la disparition. Je souhaiterais récupérer l'échafaud qui se trouve à l'arrière de la Cour suprême". Il devait saluer la presse "qui a joué un grand rôle dans l'immortalisation des écrits sur les Grands procès" et relaté qu'avec Rs 1,1 million "j'ai pu rénover l'ancien tribunal situé en face de la Cour suprême et devenu aujourd'hui le Centre des droits humains. Pourtant, il était question de démolir ce lieu!"

Le ministre de la Justice a donné la garantie à Yvan Martial "qu'une loi arrive en janvier prochain. On ne pourra plus raser des maisons ou couper des arbres. Bien sûr, il y aura débat sur la propriété mais, en fin de compte, nous devons faire comprendre qu'il importe d'avoir une licence culturelle avant de détruire". Il a aussi demandé au lord-maire "d'enquêter sur la disparition des bancs en fer forgé qui se trouvaient au jardin de la Compagnie, du collier mairal, qui relate toute l'histoire de la franc-maçonnerie à Maurice, entre autres témoignages que des gens ont sciemment volés, comme ces pierres et bois en teck qui se trouvaient dans l'ancienne prison de la capitale".

Emmanuel Richon, Français et Mauricien d'adoption, aimant sa langue maternelle et la nôtre, devait regretter que la presse "ait choisi d'escamoter la restauration de la cathédrale. Tant d'ouvriers se sont dévoués pour ce grand moment, et arrivé le grand jour; la presse accorde sa Une à autre chose". Il rappelle ainsi que "des graffitis qui se trouvaient sur la façade de La Citadelle, et qui se voyaient depuis Cassis, ont été enlevés sans que cela n'émeuve la presse. Pou-tant, ces graffitis racontaient également une histoire".

Tout comme cette langue créole qu'il a fait sienne. Le restaurateur s'est demandé pourquoi il n'y a pas une Maison du séga : "Où se trouvent le chapeau de Ti Frer, son triangle? Le patrimoine, ce n'est pas que les maisons. C'est aussi la langue, la musique, etc. C'est pour cela que j'affirme qu'il faut que la statue d'Adrien d'Epinay reste à sa place, car il faut qu'il y ait la trace du bourreau". Un vœu qui trouvera écho chez Yvan Martial, qui s'était battu pour que des tombes de chasseurs de marrons soient préservées en face de l'hôpital Candos, mais en vain. De même, Emmanuel Richon a conseillé de garder "les petites plaquettes en porcelaine bleue qui se trouvaient sur les bancs réservés à l'époque de l'esclavage. Il faut les préserver, comme preuves d'une époque, et qu'on puisse les montrer à nos enfants".

Lui-même victime d'une opération "lev pake ale" sous l'ancien régime, Emmanuel Richon a fait dire aux intervenants qu'une telle opération doit cesser. Surtout si les personnes concernées ont des compétences. Ce qui a fait dire à Reza Issack que "tous ceux qui peuvent aider à embellir et sauver le patrimoine peuvent lev pake vini. Il ne faut pas que la politique s'accapare du patrimoine". Yvan Martial dira sa tristesse que les compétences d'un homme comme "Philippe Lahausse de Lalouvière ne soient pas reconnues par l'actuel régime. Je souhaite que cette erreur soit rectifiée". Une conférence salutaire à plus d'un titre. Et qui en appelle certainement d'autres. Reza Issack a promis de faire de Port-Louis le centre des débats.

Photo: Cathédrale St James

Viré monté