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La Citadelle de Fort Adélaïde

par Emmanuel Richon

La Citadelle de Fort Adélaïde
La Citadelle de Fort Adélaïde
La Citadelle de Fort Adélaïde

Construite après six années d’intenses travaux, c’est en 1840 que la citadelle fut nommée Fort Adélaïde, en l’honneur de l’épouse du roi d’Angleterre William IV, dont les majuscules du nom figurent au dessus du fronton d’entrée. Ce célèbre édifice trouve les origines de sa construction dans la fin de la période de l’esclavage et le commencement du Coolie Trade.

It was only after six full years of intensive works that in 1840 the Citadel was named Fort Adelaid, thus paying honour to the spouse of the king of England William IV, the initials of which name decorate the entry facade of the fort. This famous building appeared at the end of the slavery period and the beginning of the coolie trade.

Dominant Port-Louis, la capitale, perchée à 500 pieds de haut, sur une colline appelée "Petite Montagne", avec ses immenses murs en pierre noire, la Citadelle est visible de très loin et constitue de ce fait l'un des paysages les plus familiers de la ville. Construite après six années d'intenses travaux, elle fut nommée Adélaïde en 1840, en l'honneur de l'épouse du roi d'Angleterre, à ce moment, William IV. Ce monument célèbre est surtout intéressant en ce que ses origines et sa construction sont la plus parfaite illustration d'une époque historique cruciale pour Maurice: la fin de l'esclavage et le commencement du Coolie Trade.

Citadelle
Portail d'entrée de la citadelle, couronne et initiales
de William IV au dessus de la porte.

Des raisons qui présidèrent à la construction du fort :

Il y a souvent eu méprise quant à l'origine de la construction de ce monument historique: en effet, un doute subsiste: Plusieurs décennies après la conquête de l'île, la citadelle fut-elle construite afin de mieux pouvoir contraindre et contenir les colons français? Ou bien, fut-elle érigée dans le but de pouvoir mieux empêcher et contrer une attaque étrangère ressentie comme imminente?

Déjà au XVIIIe siècle, lorsque l'île était encore française, l'éventualité d'une attaque anglaise préoccupait les autorités administratives et en fait, les véritables fondations de ce qui deviendra beaucoup plus tard la Citadelle, furent posées presque un siècle avant que l'actuelle construction ne voit le jour. C'est en effet en mars 1743 qu'Antoine Marie Desforge-Boucher, ingénieur militaire, commença une construction sur la petite colline dominant Port-Louis. Les vestiges de ces premiers éléments furent incorporés plus tard dans les fondations posées par les britanniques en 1834 et sont situés au Sud-Est du fort.

Les défenses françaises de Maurice étaient presque toutes maritimes, la côte elle-même étant considérée inaccessible, exceptée à certains endroits précis où des fortifications furent donc construites. En 1831, lorsqu'il fut question de la construction de la citadelle, les défenses côtières avaient été presque toutes abandonnées, liquidées ou en total déclin, à l'exception des deux batteries à l'embouchure du port de Port-Louis (île aux Tonneliers et fort Blanc). On peut même dire que la plupart des canons et pièces d'artillerie avaient été démontées. Les ouvrages de défense à l'intérieur des terres étaient rarissimes: une batterie au Nord-Est de Port-Louis et une ou deux redoutes à l'entrée Sud-Ouest, toutes plus ou moins en état de délabrement notoire.

Aussi, en 1831, un mémoire relatif aux défenses militaires de la colonie constata cette carence en places fortifiées, rendant la place vulnérable en cas d'invasion éventuelle. La garnison ne pouvant se replier sur une base arrière d'ordre défensif serait vite réduite par une population devenue récemment hostile aux Anglais. Il y était dit également que la France avait toujours jeté un dévolu par trop exagéré sur cette colonie. En cas d'hostilités avec la Grande-Bretagne, il allait de soi que le gouvernement français aurait sans doute placé la reconquête de Maurice comme un objectif appréciable et plausible. Aussi fut-il préconisé d'établir un lieu de défense en vue d'avoir une base de repli, juste pour prévenir une défaite trop facile.

Les autorités britanniques acquiescèrent à l'idée qu'une citadelle bien construite aurait l'avantage appréciable d'éviter d'envoyer dans l'île en temps de paix un nombre trop élevé de troupes finalement évitable et aux coûts exorbitants. Cette fortification, par les économies considérables qu'elle engendrerait dans la durée, en évitant l'envoi de troupes supplémentaires, rallia tous les suffrages.

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Sans cette construction, un nombre considérable de troupes serait nécessaire au contrôle et à la défense de l'île en cas d'attaque extérieure comme en cas d'émeutes intérieures.

Maintenant, lorsqu'on examine les préoccupations des ingénieurs lors de la construction, on note que l'aspect principalement pris en compte fut d'être capable de réduire et soumettre toute révolte des habitants. Pourtant, Cunningham déclara dans le même temps que la Petite Montagne était sans doute le lieu idéal pour empêcher ou repousser une attaque venue du Nord. Il est ainsi logique de conclure que la construction de Fort Adélaïde fut décidée dans deux buts: repousser un assaut français par surprise aussi bien émanant de l'intérieur que de l'extérieur de l'île. Mais cela n'explique pas en quoi les Anglais avaient raison de se méfier à ce point des habitants de la colonie... Au commencement de la construction à Petite Montagne, Maurice, en tant que colonie britannique, n'avait qu'une vingtaine d'années. L'île, conquise en 1810, l'avait été après l'apposition de la signature du gouverneur français au bas de l'acte de capitulation, ce dernier garantissant aux colons français le respect de leurs langue et coutumes. Les premiers gouverneurs se montrèrent soucieux de se conformer à cet esprit de tolérance, d'autant plus qu'ils avaient la rude tâche de devoir renforcer et appliquer la législation contre la Traite.

Les rapports de Sir Charles Colville comme gouverneur de Maurice à l'époque même de la construction de la citadelle reflètent l'insécurité vécue par les autorités britanniques. Le 5 novembre 1830, il note qu’un fort sentiment d'opposition au gouvernement de sa majesté continue de prévaloir ici, d'ailleurs presque personne ne s'acquitte de ses taxes. Lorsque la nouvelle des trois Glorieuses et des journées révolutionnaires de 1830 parvinrent dans l'île, les tensions existantes ou latentes furent exacerbées. Dans ses correspondances, Colville met également en garde le gouvernement de la métropole contre l'existence d'associations secrètes et armées. Les dires de Colville furent corroborés par un autre officiel britannique qui avait servi dans la colonie et qui soumit un mémorandum à ce sujet au tout début de l'année 1831. Il y rapportait que la population de Maurice comptait environ 8'000 Blancs, 15'000 Gens de couleur, et 65'000 esclaves. La garnison britannique quant à elle, avec ses trois régiments d'artillerie, totalisait un effectif de 1'200 hommes.

«Sur les 8'000 Blancs civils, seuls 100 sont britanniques et susceptibles de tenir les armes mais le reste, ainsi que toute la population libre de couleur peut être considérée comme française».

L'excitation produite par la remise en cause de leur propriété servile ne pourrait plus désormais les confiner à une neutralité éventuelle en cas d'attaque ennemie et leur coopération éventuelle contre les Anglais se devait d'être envisagée sérieusement.

La construction de la citadelle répondit donc à deux objectifs interne et externe conjugués ainsi qu'au fait non négligeable qu'elle permettrait de faire des économies en évitant l'envoi de troupes supplémentaires. Par ailleurs, en faisant supporter le financement du coût de construction aux habitants eux-mêmes, on limiterait encore le coût global.

La construction du Fort Adélaïde:

La vente de propriétés mauriciennes du gouvernement fut également un excellent moyen de financement. La budgétisation du projet fut approuvée par le Trésor dans une minute datant du 6 avril 1832, étant entendu que le coût de la fortification serait supporté par les fonds de la colonie elle-même. Il était ordonné de restreindre les dépenses totales à une limite de 30'000 £. Pour couvrir les dépenses, il était proposé de vendre trois édifices publics: Mon Plaisir, Les Moulins à blé et l'Arsenal. Cependant, il s'avéra vite, même après avoir vendus l'Arsenal et Mon Plaisir pour la somme de 3'833 £, que les coûts de leur côté seraient révisés à la hausse.

Aussi, le Lieutenant Colonel Fyers, ingénieur royal en charge des travaux, en informa la couronne afin que la mère-patrie subvienne au moins en partie aux coûts de la construction. En mai 1833, le Parlement approuva la budgétisation de 5'000£ à cet effet. Par malchance, le cyclone de 1834 détruisit et retarda une grande partie des travaux en cours.

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Par ailleurs, en 1837, un facteur déterminant accrut de manière bien indirecte le coût de la construction: en effet, l'afflux d'argent induit par l'apport monétaire considérable dû à l'Acte d'indemnisation des planteurs, occasionna un accroissement considérable des besoins de tous les établissements sucriers de l'île en hommes et matériels, cela à travers tout le pays, provoquant une pénurie de main d'œuvre et une hausse artificielle des prix. Une somme de deux millions de £ avait été effectivement payée aux propriétaires d'esclaves en "compensation" à l'Acte d'abolition. Fyers fit donc acheminer à Maurice des tailleurs de pierres et des maçons de Bombay. Le coût final de la citadelle fut donc en réalité de 45'269 £, soit près de 14'000 de plus que prévu initialement.

Le problème de trouver des ouvriers appropriés et compétents ne fut pas le moindre. Maurice sortait de l'esclavage. Beaucoup d'apprentis furent affectés à cette construction, prisonniers de l'Inde... mais il parut évident que cela ne suffirait pas et qu'une main d'œuvre supplémentaire importée de l'Inde serait nécessaire. En juillet 1833, Fyers disposait de 100 prisonniers à Petite Montagne, ceux-ci ne percevaient aucun salaire. En 1834, à la suite du cyclone, ces mêmes hommes durent être affectés à la réfection de toutes les infrastructures détruites et Fyers fut contraint d'arrêter le travail sur le chantier de la citadelle, attendant le retour des prisonniers. Ce n'est qu'en 1837 que Fyers reçut l'autorisation de réemployer des détenus sur le chantier du Fort Adélaïde.

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Déjà en 1831, afin de pouvoir recruter des professionnels plus qualifiés, Fyers envoya à la garnison du Cap de Bonne Espérance, un détachement de cinq maçons et trois briquetiers sortis du corps royal des Mines, afin d'y sélectionner cinquante hommes aptes à contribuer efficacement au chantier à Maurice. Ainsi, du Cap comme de Maurice même, quelques soldats servirent de manière limitée à la construction de la citadelle. Par ailleurs, quelques esclaves libérés et quelques apprentis servirent aussi mais comme ils se trouvaient rarement qualifiés, il fallait les former au préalable.

En fin de compte, Fyers fut contraint de faire venir d'Inde artisans libres et manœuvres. Ainsi, 70 maçons et le même nombre d'ouvriers furent amenés d'Inde en 1837. Bien que l'ordonnance l'autorisant à le faire datait de 1831, il ne s'y résigna qu'à cette date. L'année suivante, en 1838, 29 tailleurs de pierres, 38 maçons supplémentaires et 70 ouvriers arrivèrent en provenance de Bombay. En 1840, ils étaient environ 109, certains étaient retournés en Inde, d'autres morts, d'autres encore furent renvoyés dans leur pays. C'est ainsi qu'on peut donc affirmer que la construction de la citadelle témoigne des débuts de l'engagement et de la fin de l'esclavage.

En ce qui concerne la construction elle-même, c'est le Lieutenant Colonel Cunningham, ingénieur au service de la royauté qui dressa les premiers plans de ce qui deviendrait la citadelle. Redoute oblongue surmontée de 4 casemates de canons de 24 sur sa façade surplombant la ville, quatre autres canons sur la transversale opposée dominant la crête de la Petite Montagne. Quatre autres dominaient les flancs. La construction peut abriter 1 officier, 2 capitaines, 5 sous-officiers et 192 hommes de troupe, des stocks pour trois mois, des réserves d'eau de 40'000 gallons, un magasin de 280 barils de poudre.

Le travail débuta en mai 1833. Fyers apporta quelques modifications au plan d'origine: on construisit donc en plus une batterie de mortier et des cellules de confinement.

C'est en 1835 à proprement parler que le travail de construction de la citadelle débuta réellement.

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Déclin de la citadelle: dans le même temps où le fort Adélaïde fut construit, les raisons qui avaient présidé à sa construction n'avaient plus lieu d'être. Dans un tel contexte, nul doute que les autorités anglaises ne furent guère enclines à terminer totalement les travaux. Le nouveau climat d'opinion qui prévalut alors à Maurice, à la fin des années 30, contrasta du tout au tout avec les turbulences du début de la décennie. L'éventualité d'une guerre avec la France s'éloignant et les rapports avec les colons s'étant notablement améliorés, la citadelle perdait sa vocation. D’ailleurs, suite au blocus de la période napoléonienne, la France n’avait plus besoin de sucre, ayant converti plusieurs département du Nord de l’hexagone à la culture betteravière.

A partir de 1851, les coups de canons du matin et du soir scandant la journée furent les seules fonctions militaires affectées à la citadelle, qui dès lors, entama une longue décrépitude.

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