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Saint-John Kauss:

Le profil réaliste d'un poète surpluréaliste

 Gabriel Charles-Antoine

Depuis Montréal, nous avons rejoint par téléphone le docteur John Nelson alias Saint-John Kauss, le poète. Né à Hinche (Haïti) en 1958, il est l'un des poètes les plus représentatifs de la nouvelle génération d'écrivains du Québec.

Il a vécu successivement du Nord au Sud d'Haïti avant de s'établir au Canada. Scientifique de formation, Saint-John Kauss a pourtant publié plusieurs recueils de poésie au cours des années 1980 et 1990. Sa poésie "a le mérite de véhiculer l'angoisse moderne, d'agiter les problèmes essentiels de notre temps, tout en gardant ses privilèges à l'art".

Saint-John Kauss figure dans plus d’une dizaine d'anthologies. Ses poèmes sont traduits en plusieurs langues tels l'anglais, le roumain, le portugais et l'espagnol.  Bref, il a tenu à nous accorder une entrevue et saisi l'occasion qui lui est prêté pour mettre fin à ce qu'on pourrait appeler l'affaire de l'Association Haïtienne des Écrivains.

Gabriel Charles-Antoine

Gabriel Charles-Antoine: Dr John Nelson, on parle beaucoup de vous à Montréal et dans d'autres communautés de la diaspora haïtienne, mais qui êtes-vous?

Saint-John Kauss: Je suis un simple poète haïtien qui travaille son écriture et qui essaie d'appréhender une œuvre totale.  Je veux aboutir à une écriture d’implosion, imbibée d'une touche sociale et humaine. Sur ce, on rejoint par là le mouvement dont je fus l’instigateur intitulé le Surpluréalisme, c'est-à-dire l'intégration de la totalité des arts et de la totalité des sens au niveau de l'écriture, aussi bien que le processus d’incorporation de la réalité (politico-sociale) qu'il ne faut point négliger. Je suis également un critique littéraire qui aime savourer d'autres œuvres créées par mes confrères-écrivains. J'admire ce que font par exemple les poètes et romanciers René Depestre et Frankétienne, les poètes René Philoctète et Anthony Phelps. En somme, tous les bons écrivains tant en Haïti que dans la diaspora haïtienne. Je suis également un scientifique muni d'une licence en Biologie expérimentale, d'une maîtrise en Nutrition clinique, d'un doctorat ès sciences - de 3ième cycle (Biochimie métabolique). J'ai effectué également des études post-doctorales en Neuropharmacologie clinique au Département de Psychiatrie de l'Université de Montréal. J'ai travaillé successivement dans différents hôpitaux et centres de recherches sur les maladies rénales, les anomalies enzymatiques du foie et sur la schizophrénie. En résumé, je suis un poète, un critique littéraire et un chercheur scientifique.

Vous êtes chercheur et poète reconnu sur qui des études littéraires sont présentement en cours dans différents milieux.  Mais depuis quand écrivez-vous?

J'ai publié mon premier livre en 1979 aux éditions Choucoune de M. Christophe Charles. Ce premier livre s'intitule CHANTS D'HOMME POUR LES NUITS D'OMBRE. Depuis cette publication, je continue d'écrire, de persévérer. Je suis emporté, comme disait l'autre, "sur les ailes de l'éloquence".

Pourquoi et pour qui écrivez-vous?

J'écris pour moi et pour tout le monde afin de satisfaire un certain besoin qui s'est manifesté dès mon adolescence. Entre 1972-1973, j'avais à peine 14 ans; je ne voyais guère le monde aussi positif qu'il l'est actuellement pour moi. D'où possiblement cette vitalité... ce grand désir d'appartenance aux choses essentielles et utiles de la vie. Personnellement, je conçois l'acte d'écrire comme un geste essentiel et très utile à ma vie. Les autres poètes diront-ils la même chose?  Ah!  je ne sais pas. Tout ce que je sais : j'écris pour moi et pour tout le monde, toutes catégories confondues.

Avez-vous déjà eu des best-sellers à l'instar du romancier Dany Laferrière?

Je n'ai pas eu de best-sellers à l'instar de Dany Laferrière. Cependant, mes livres sont quasi épuisés. Prenons par exemple, PAGES FRAGILES (1991), TESTAMENTAIRE (1993), TERRITOIRES (1995) et TERRITOIRE DE L’ENFANCE (1996), ils sont tous épuisés. À mon avis, c'est un record. Surtout quand on sait que la poésie ne se vend pas.

On dit que ce dernier, Dany Laferrière, a pris d'assaut le monde littéraire.  Qu'en dites-vous?

Dans notre milieu littéraire haïtien (à ce que j'ai compris), il faut toujours un parrain. Dès que quelqu'un arrive à déborder le cadre, à enjamber les clôtures ou les barrières, on vous accuse de tout.  Dany est un "audacieux" et un fonceur, et c'est ce que j'admire chez lui. Dany m'a toujours rappelé ce romancier américain James Baldwin. Dany est l'exemple typique du non parrainage en littérature. Moi, je n'ai jamais eu de parrain alors que, sans regrets, j'ai parrainé mon jeune frère, M. Gary Klang et bien d'autres jeunes poètes aux éditions HUMANITAS.

Certains poètes, paraît-il, une fois hors d'Haïti, ont un problème d'identité.  N'est-ce pas votre cas?

Je n'ai aucun problème d'identité parce que celle-ci n'est qu'un paramètre qui peut être varié et contrôlé par d'autres paramètres de la vie telle la mémoire. Je n'ai pas de problème d'identité, mais plutôt un problème d'intensité. En ce sens, j'aimerais que la littérature haïtienne déborde les frontières.

Vous avez été lauréat du Prix de Poésie Air Canada décerné par la Société des Écrivains Canadiens (S.E.C.) en 1991.  Vous avez été déclaré meilleur poète de votre génération, et traduit en diverses langues. Que vous reste-t-il à réaliser à 39 ans d'âge?

Effectivement, j'ai été l'un des lauréats du Prix Air Canada décerné par la Société des Écrivains Canadiens en 1991.  En outre, les différents articles parus dans les revues et journaux d'Haïti et de la diaspora haïtienne m'ont souvent déclaré "meilleur poète de ma génération"; ce qui rejoint ce vieux dicton: "On récolte ce qu'on a semé" (sa-w fè se li w-wè).  Bien entendu, ces distinctions me créent forcément des jaloux.  En dépit de ces hostilités et de certaines épreuves possibles, il faut s'y adapter.

Vous avez fondé une Association en l'occurrence "l'Association Haïtienne des Écrivains" de connivence avec M. Josaphat Large et M. Gary Klang afin de promouvoir la littérature haïtienne à l'étranger.  Qu'en est-il exactement de cette association?

L'Association est toujours vivante, elle n'est pas du tout dissoute. C'est une association (comme vous l'avez dit) qui a été fondée de connivence avec MM. Gary Klang et Josaphat Large. Pour plus de détails, c'est plutôt M. Gary Klang et moi qui avons fondé cette association. M.  Josaphat Large y fut ensuite intégré pour être responsable des dossiers de l'extérieur (Floride) puisqu'il vivait à l'époque à Orlando. Croyez-moi, nous avons déjà 80 membres mais nous n'avons aucun sou puisque, à part huit membres qui ont payé leur cotisation, je n'ai reçu que des fiches d'inscription. Je ne suis qu'un simple secrétaire, l'archiviste du secrétariat général basé à Montréal.

Mais il est bruit que vous avez décerné le dernier Prix de l'année 1997 de l'Association à votre propre frère. Est-ce vrai?

Moi, je dirais non. Vous savez, les gens parlent beaucoup, surtout les dissidents. Je n’ai pas donné de Prix littéraire à mon frère. J'ai procédé l'année dernière de la même façon pour Jan Mapou. Ce dernier avait été choisi par moi, et dans le cas de mon frère je l'ai suggéré aux autres. J'avais choisi l'année dernière Jean Mapou pour le travail qu'il fait à Miami étant donné qu'il n'a pas une œuvre forte. J'ai toujours persisté sur son travail de démarcheur, de vendeur de livres rares, d'homme de théâtre, d'organisateur de forums et de colloques, etc.  J'ai lu quelque part qu'il a eu ce Prix pour son dernier livre intitulé D. P. M. - Kantè. Ce qui est faux! J'avais choisi Jan Mapou l'année dernière pour d'autres raisons, c'est-à-dire pour le travail qu'il fait là-bas, pour l'émancipation de la littérature haïtienne aux États-unis. En ce qui a trait à mon frère, j'ai suggéré sa candidature à d'autres confrères. D'ailleurs, j'ai encore en ma possession les télécopieurs et des lettres où j'ai consulté les confrères siégeants. Vous savez, cela fait près de neuf mois depuis que Gary Klang et moi, nous ne communiquons plus. En ce qui concerne Josaphat Large, il demeure jusqu'à maintenant introuvable.

M. Saint-John Kauss... le Prix qu'on a décerné à votre frère, paraît-il, a soulevé tout un tollé de protestations dans la communauté haïtienne de Montréal.  Que dites-vous à cet effet?

Quelles contestations! Il y a, bien entendu, des mains jalouses et des bouches malfaisantes derrière beaucoup de rumeurs. Car mon frère refuse jusqu'à maintenant la parution de textes de certains écrivains dans sa revue PRESTIGE et son journal PRÉSENCE à cause de leur faiblesse d'écriture. De plus, mon frère est un "bohème", jovial, célibataire, et un tombeur de dames. Tout cela ne l'a pas aidé vis-à-vis de ces secteurs qui jalousent son Prix et ses succès. D'ailleurs, Valentino a eu la semaine suivante une "plaque émérite" de la part de la Revue Soleil des Îles pour le travail de jeune journaliste qu'il fait à Montréal.  Par conséquent, au prochain Prix de l'Association en 1998, je ferai signer une "formule de consentement" à tout confrère siégeant au Comité afin d'éviter un autre virage "politique" de 180 degrés.

Connaissant Valentino Nelson alias Saint-Valentin Kauss, ce dernier méritait-il cette distinction?

Quiconque travaille d'arrache-pied comme mon frère (Saint-Valentin Kauss) mériterait ce prix. C'est un rude travailleur. Il a publié six recueils de poésie, a fondé une revue prestigieuse où tous les écrivains haïtiens voulaient paraître. Maintenant, il dirige le journal PRÉSENCE. Quoi de plus... Il n'a pas 60 ans, ni 70 ans.

M. Saint-John Kauss, pour mettre fin à cet entretien, dites-nous quels sont vos projets d'écriture?

Je n'ai pas de projets d'écriture. Je n'ai jamais eu de projets d'écriture. Des projets d'édition?  Vous savez, j'ai deux anthologies de poèmes totalisant les 650 pages chez un éditeur depuis deux ans.  J'ai un manuscrit déjà terminé sur mon bureau intitulé PAROLES D'HOMME LIBRE de 110 pages. C'est un recueil de poésie. Je dois également publier l'ensemble de mes articles de critiques littéraires parus dans Haïti en Marche et ailleurs. Le titre de ce livre est déjà choisi: LE MASSIF DES ILLUSIONS  (Éloge de la Poésie Haïtienne). Dans ce dernier, vous aurez sans aucun doute ma réponse à Josaphat Large.

Propos recueillis par
Gabriel Charles-Antoine

Viré monté