Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

René Préval ou l’étanchéité absolue

par Saint-John Kauss

Si Jean-Bertrand Aristide fut le premier président d'Haïti à être élu démocratiquement, il fut toutefois victime d'un funeste coup d'état le 30 septembre 1991. Il passa trois ans en exil, et, accompagné des Américains, revint au pays le 15 octobre 1994 pour finir son mandat en février 1996. S’il fut le Protecteur de René Garcia Préval, l’homme à qui celui-ci doit tout y inclus sa destinée, honneur et respect ne lui furent pas rendus en temps et lieu dans les moments difficiles d’après le 29 février 2004. Combien nombreux sont les lavalassiens et aristidiens mécontents du comportement calculé de René Préval? Absent du Bicentenaire de l’Indépendance  fêté par Aristide mais boycotté par l’administration française1, on aurait dû  s’attendre à ce revirement de Préval digne de nos politiciens traditionnels. En politique, disait Duvalier, la reconnaissance est une lâcheté. Depuis lors et depuis des décennies, l’Haïtien ne se fait plus d’amis sincères. Tout contact dans ce pays devient politique, et l’Haïtien est devenu avant tout un homme politique.

Nous disions que grâce à la bienveillance du Président Aristide, René Préval était devenu, à deux reprises, Président d’Haïti (7 février 1996-7 février 2001 / 7 février 2006- à nos jours). Piloté jusqu’au bout par ce dernier, Préval a pu compléter son premier mandat sans heurt. Mais Aristide était au pays, contrôlant faits et gestes des macoutes et des partisans de Préval. Comme conclu, le pouvoir a pu être transféré à son vrai propriétaire, et le Président Préval remercié en 2001. Que de morts et d’assassinats politiques durant cette passation! Partisans duvaliériens ou lavalassiens ont été liquidés pour avoir trop critiqué le système. Le journaliste Jean Dominique ou les docteurs Hary Bordes et Lalanne, ont payé de leur vie leur immense amour  des humains et de la terre d’Haïti. Il faut aussi se rappeler que ce pays est l’un des plus glissants du monde et qu’il faut savoir se taire à temps. Même entre journalistes, éditeurs et écrivains, des comptes doivent être rendus au moment opportun. Prenons comme exemple les mésententes sociales ou littéraires entre Frankétienne et François Latour ou entre Fardin et Jean Dominique. À qui profiterait un crime?

Durant le premier mandat de René Préval, malgré quelques soubresauts politiques dignes d’un président d’Haïti, comme la fermeture de la Chambre Législative, de grandes réalisations ont été à l’ordre du jour. Traité de mendiant international, le président Préval a su nous rendre l’Aéroport International digne d’un centre pour des voyages à l’étranger. Dans le domaine de l’Agriculture, il s’est fixé des priorités. Ce n’est pas un politicien, ni un homme des médias, mais un pragmatique sans plan de départ, ni contrat social. Il exécute à la Dessalinienne les projets les plus audacieux telles la reprise des tronçons de route dans les campagnes et provinces, les routes nationales, les places publiques, les écoles rurales avec les moyens du bord. Il a repris contact  avec les Cubains, Castro et Hugo Chavez aux fins de la restructuration de notre système médical et de l’achat du pétrole vénézuélien à bon marché. Cette coopération avec les Cubains2 que la majorité de la population craignait a quand même porté fruit. Plus de 500 étudiants formés à Cuba (ELAM) et plusieurs milliers de médecins haïtiens reformés par les Cubains depuis 1998. Bien entendu, certains médecins capitalistes haïtiens ne voient pas cette association d’un bon œil. La médecine, chasse gardée d’une élite avant et après Duvalier, est de nos jours à la portée de jeunes tirés du peuple pour aider, traiter à bon escient les siens. L’Haïtien devrait à jamais enlever des méninges ce sentiment d’orgueil, de supériorité, et d’appartenance  à une classe sociale donnée.

Après la chute de Jean-Claude Duvalier, il fallait contrecarrer les macoutes et macouteaux à l’avantage cette fois-ci des dominés. D’où la première élection d’Aristide. Et encore après le premier mandat de Préval, il fallait barrer la route à Bazin, un ancien duvaliériste.  D’où la seconde élection, un peu truquée, d’Aristide. Mais après la dernière chute d’Aristide sous forme de révolte (29 février 2004), il fallait alors préparer cette fois-ci la route à Jean-Claude Duvalier ou à un duvaliériste. D’où la mission de Boniface et de Latortue (mars 2004-février 2006) qui s’est  soldée par un échec politique. Nonobstant Aristide, le peuple a préféré voter Préval qui ne fut plus sous la bannière aristidienne. Cette lecon de l’histoire nous rappelle celle des grands meneurs d’homme, positif ou négatif, comme Staline, Hitler, Mussolini ou Gandhi. Le président Aristide, même en exil, est jusqu’à aujourd’hui réclamé par ses pairs et le peuple haïtien. Et ce n’est pas pour rien qu’il est accusé sous pression des grandes puissances de “Parrain” de la drogue et d’autres silences aux fins de se retirer définitivement de la politicaillerie haïtienne.

Quand on écoute les interviews et lit les textes de l’écrivain français Claude Ribbe, on peut alors comprendre qui gouverne Haïti. Ce sont les Américains et les Français, pas même les Anglais, les Canadiens ou les Asiatiques, qui nous gouvernent, refusent ou accordent un visa d’entrée dans leur pays pour bonne conduite ou qui nous demandent de quitter le pays, notre pays qui n’est pas la Martinique ni la Guadeloupe,  comme bon leur semble. L’on a d’ailleurs fait à Jean-Bertrand Aristide. Nos présidents, à force de demander assistance et asile (1915-1934 1994-1996, 2004-2006, 2010), sont maintenant obligés de laisser le champ libre à ces deux pays précités. Le président Aristide, ne voulant pas collaborer tout en exigeant cette dette coloniale, la dette de l’Indépendance, a du quitter le pouvoir et le pays. Un complot suivi d’une campagne de diffamation, d’un enlèvement et d’une séquestration, selon Claude Ribbe, mené par nul autre que Régis Debray de la France, a eu raison de notre champion de la théologie de libération.

René Garcia Préval a pu finir son premier et finira son second mandat en tant que président. L’homme, disions-nous, est pragmatique et avant tout cornélien. Il fait semblant de n’être pas rancunier et ne s’occupe guère des critiques contre sa personne. Il  mène sa vie comme il veut et se fait une idée de la politique, sa politique. Il exécute et construit. Il n’a pas de plan d’affaire mais s’affaire à placer ses pions au-delà des apparences. L’homme  fut agronome-socialiste dans son jeune âge et n’oublie pas dans quel pays il vit. Lors de sa seconde prestation de serment, on a pu voir des duvaliéristes de tout acabit, comme Prosper Avril, se promener au Palais national. D’aucuns ont pensé et pensent encore qu’il est sans cerveau et vit d’alcool et d’eau fraîche. Détrompez-vous. Il est peut-être lent et sans violence apparente, mais il est plus malin qu’on ne le pense.

René Préval ne choisirait jamais Yvon Neptune comme Premier Ministre, ni Bernard Gousse comme ministre de la Justice, ni Jocelerme Privert comme ministre de l’Intérieur. Il n’aurait pas non plus une Armée Cannibale à son service, ni Emmanuel Wilmé, ancien bénéficiaire de l’organisation Sélavi, responsable de l’Opération Bagdad, à son actif. C’est un homme, semble-t-il, d’une froideur implacable qui se fait passer pour un démocrate passif. L’homme, enfin, est un politicien sans politique apparente.

De ces donnes politiques, Jean-Bertrand Aristide aurait beaucoup à apprendre de cet homme qu’il a formé, fabriqué, et qui l’a dépassé en malice et en sagesse au-delà des apparences. Ce n’est pas sans raison qu’il a refusé le visa d’entrée au pays au président Aristide alors que la terre entière y était. Ce visa sera délivré, en vérité, avant sa sortie en scène, c’est-à-dire avant le 7 février 2011.

                                                                       Washington, NJ, 08 mai 2010

Notes

  1. Claude RIBBE: Régis Debray en Bolivie et en Haïti (Témoignage et Réflexions), Paris, Voltaire Edition Internationale, 2010.
     
  2. Emily J. Kirk and  John M. Kirk: Cuba and Haïti, 2010.

 Viré monté