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Trois nouvelles poétesses haïtiennes

par Saint-John Kauss

Ernest Joseph

Ernest Joseph. Carrie Art Collection

Kettly P. MARS: Feu de miel, poèmes, Port-au-Prince, sans nom d’édition, 1997; Feulements et sanglots, poèmes, Port-au-Prince, Imprimeur II, 2001.

Évelyne TROUILLOT: Sans parapluie de retour, poèmes, Port-au-Prince, sans nom d'édition, 2001; Plidetwal, poèmes, Port-au-Prince, sans nom d’édition, ni date.

Elsie Suréna: Mélodies pour soirs de fine pluie, poèmes, Port-au-Prince, Presses Nationales d'Haïti, 2002; Confidences des nuits de la treizième lune, poèmes, Port-au-Prince, Presses Nationales d'Haïti, 2003; Haïkus d'un soir, Port-au-Prince, Editorial Bukante, 2009; Tardives et sauvages, poèmes, New York, RivartiCollection, 2009.

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Kettly Pierre MARS, née à Port-au-Prince en 1958. Obtint le premier Prix du concours Jacques Stephen Alexis de la Nouvelle en 1996. A aussi publié Un parfum d'encens (1999) et Saisons sauvages (Paris, Mercure de France, 2010). Évelyne TROUILLOT, née à Port-au-Prince, part très jeune pour les Etats-Unis. Retour au pays en 1987. Travaille dans le secteur de l'Education. A publié des nouvelles, des contes, des récits jeunesse et des romans dont Rosalie l’infâme (Dapper, 2003) qui remporta en 2004 le Prix Soroptimist de la romancière francophone. Elsie SURÉNA, née à Port-au-Prince en 1956, passa son enfance aux Cayes, revint à la capitale pour ses études secondaires, puis s'installa au Cap-Haïtien où elle fréquenta la Faculté de Droit. Plusieurs séjours en Equateur, aux Etats-Unis et au Canada. Remporta le Prix Belleville Galaxie de Haïku (France) et obtint une Mention Honorable au 13e Concours International de Haïku du Maïnichi Daily News du Japon en 2009. A publié plusieurs recueils de poèmes.

Des centaines d'écrivains de l'île, ces trois nouvelles poétesses attirent notre attention. Kettly Mars, d'une sensualité enivrante que fouette la page non d'une écriture quelconque mais de celle qui s'entend une poète unique. Imaginez que cette femme poétesse n'ait guère sa plume pour écrire, mais pour chanter ce qui lui appartient désormais l'homme, son mari et leurs fantasmes. Jeu de mots dans la plénitude du brassage des corps en cybernation. Clivage des textes avec l'avidité de l'imagination, avec l'intensité de l'association des images qu'un néophyte n'aurait pas aimé. Ai-je dit sensuelle et mystérieuse par-delà des vagues de l'amour, et ce fut avec enchantement qu'on entend l'une de nos femmes de lettres chanter l'amour, son amour des épisodes intraitables de l'acte.

"Mon sein nu contre ton épaule..."

"Je vais penser à toi/jusqu'à pousser en toi..."

"Je vais vous aimer/avec ou sans vous..."

"...à l'heure où se soumet l'écume/commence l'odyssée d'un lit,/toutes voiles déployées/sur nos marées intérieures"

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Mais Evelyne Trouillot est plutôt racée et nourrit l'obsession de la plénitude, des profondeurs de la végétation d'ombres et de silence. D'ombres pour ce Paradis perdu qu'est maintenant l'île et ses chimères. Silence en bouchée double des mots démocratiques où partager la lumière n'est plus une simple parenthèse, mais l'émancipation de la pluie dans un océan de pudeur. Parle de son pays comme d'un amant aux yeux pressés par la douleur et par les boues incandescentes. Et nul besoin de s'attarder à la publication d'un autre appel, d'un autre cri, d'un autre parapluie pour son peuple...et son pays. Ses poèmes nous rappellent de loin ceux de l'aîné René Philoctète.


"Plus rien ne demeure/si ce n'est ton haleine/aux alentours de mon rire"

"Ville d'anses et de fleurs/un enfant du pays/sur la route/couche/cœur en l'air"

"Terre café brulant/d'amitié et de baisers tremblants..."

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Elsie Suréna, la plus renfermée en matière d'érotisme, fait penser à la fiancée platonique des écritures de la Rose. D'une voix grave, expéditive mais certaine, elle entreprend des haïkaï et soupesa l'importance des mots dans une épargne d'opinions qui sous-entend un caractère minimaliste dans la réjouissance des syllabes. Dans des mots familiers aux excursions d'écolière, la tâche de tout hirsute est de s'abimer dans le répertoire des rêves de l'amante qui n'a pas froid aux yeux ...des yeux de grand cauchemar distribué comme un pain généreux.


"Ta vie comme un voyage/Et mon amour le chemin refusé au passage"

"Je saigne de l'éclisse coincée/Sous l'ongle de mon pouce gauche/Et je pense à toi clou rouillé/Enfoncé droit dans mon cœur"

"J'ai les mains vides de ton corps"
                                                                  (Mélodies pour soirs de fine pluie)
 


Cependant, par la lecture des Tardives et Sauvages (2009), on retrouve une poétesse plus responsable et mature, plus dévoilée que secrète, plus généreuse de son corps face à l’amant ou l’ami de Port-Salut. Les lignes du corps, du cou, du ventre, du nombril, des lèvres, des aisselles, tout y est schématisé dans les plus simples détails. Savourons:

“J’aime le petit goût propre et âcre
De la pointe trop saillante de tes seins
……..durcit sous ma langue”
 
 
“Vertige de l’harmonique de tes mixtes relents d’aisselles”
 
 
“L’arôme anisé de ta peau
Traine encore
Entre mes draps froissés
Et garde en otage mes sens…”
 
 
“Etre ta femme douce
Et voir mon corps
Devenir
Ta patrie d’adoption”
 
 
“Ta langue joue
A lago caché
Entre mes cuisses
Et mes longues plaintes…”
 


Quel poète, quel être humain n’aimerait être à la place de cet amant voulu, de cet homme recherché sous les pluies froides de Port-Salut?

Trois nouvelles poétesses haïtiennes, trois talents, trois Isis dévoilées…

Washington, NJ, 03/05/2010

 Viré monté