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De Ouanaminthe à Dupity, une longue randonnée

Saint-John Kauss

J’ai décidé d’écrire cet article pour deux raisons: la voix de Roger COLAS (Septentrional – Les Gens du Nord) et celles des “malandrins” de DUPITY, section rurale hors de la ville de Sainte-Suzanne, laquelle n’est pas si loin des villes comme Terrier-Rouge et Trou-du-Nord. Oui, j’ai été à Dupity (long kilométrage de Ouanaminthe), non pas en touriste mais accompagné du sage docteur Jean-Marie MARCELIN ainsi que d’une quinzaine de médecins, d’infirmières, de conseillers de tous poils, du Centre Médical Univers (UCM, Ouanaminthe). J’ai été voir ces gens abandonnées après chaque élection. J’ai discuté, les yeux dans les yeux, œil pour œil, comme deux amants, comme trois complices, comme cinq acolytes, des griefs de la région. Et j’ai note et compris qu’il existe d’autres localités, pires que Dupity l’abandonnée. J’ai reçu à bras ouverts, à poitrine déployée, à corps perdu, d’un Cœur de poète, les doléances des chefs de la population, un comité de gestion de la section.

Nulle consultation du docteur Nelson, mais beaucoup de coordinations à l’avance de ce bonhomme déjà vieux pour son âge. Malgré vents et marées, il a été à Dupity, sautant ficelles après ficelles tendues le long de sa route. Il est habitué. Ce n’est plus une tragédie, cette vie de toutes les consonnes. L’administrateur de l’UCM, monsieur Joseph Robenson, un bon vieux zigue. Il voulait nous passer sa propre jeep pour y aller. Ces gens du Nord-Est, de Dupity, sont au bout de leur  rouleau. Il faut les voir, pensifs des dernières élections, la peau au ventre, de jérémiades en jérémiades, souffrant de “parololie”. Ils ont ingurgité tellement de mots et de belles paroles qu’ils se plaignent déjà des prochaines élections. Comme une femme trompée, trahie, manipulée, ils vivent à la merci des vieilles menteries. Pas de gendarmes ni de policiers, ni de commissariat dans les alentours. Pas d’école sinon une vieille bicoque nationale. Pas de dispensaire ni de médecins et infirmières. Pas d’électricité ni d’eau potable. Pas de pistes de danse ni de musiciens. Pas de pissoires ni de latrines publiques. Pas de terrains rafraichis d’arbres fruitiers ni de cueillettes de pois, de maïs ou de petit-mil. Sinon une terre rouge-brique sans espoirs et sans eau qui coule. Il n’y a rien que de jeunes hommes qui flânent, maigres jusqu’aux dents; de jeunes filles, probablement sans petits linges ni sandales au pied; de vieillards qui chassent la mort à coups de pied; de simples citoyens qui ont peur de la faim depuis trop longtemps.

Lisons:

VŒUX

                             à Nadege et à Marcien

«Voilà que les destins étouffés brillent
      Larmes promises dans nos cheveux.»
                  (Georges-Emmanuel Clancier)

 

vœux de voyage dans la main / chemins de lierre aux vasques de papillons            vacances de
l’homme aux cadastres de l’instant / d’odeur d’armoise et de silène

aux vœux d’un regard où gît le massif des illusions / pluie d’étoiles dans l’orgie douce des amants

ô jeunes épousés dans la patience du quotidien
chant d’une femme dans le silence des varechs
chant de femme paralysée à coups de dés
mais qui rêve de partager et de changer la vie

plaintes et joies dans l’absinthe des eaux / des origines aux souvenirs massus d’allégresse
métropole des larmes comme ce long fleuve blessé
d’une guitare arabe victorieuse ressassant les promesses
d’un jet d’espoirs catalans embrassant les rumeur
d’hallucinée femme de chair mais sans mesure
telle que dans l’instant qui somme de partager l’arche du poète
quand le poème dans sa mémoire élève l’amour au-delà du bonheur

voilà que deux destins évoquent leur propre marche vers la chute
dans un murmure sas fin  apaisé par la tendresse

vœux de bonheur annoncés à l’assemblée des poètes
des pages et des mots à l’attention des valets debout comme des fleurs

et tant que dure ce long voyage au van des cœurs
mais par le chant de la silène et de la campanule

il y a lieu d’ériger des pages hautes dans mes rêves démesurés
il y a lieu d’espérer des mots simples égarés de la bouche d’une jeune épousée
il y a lieu d’allonger des pages et des mots d’amour
des mots seulement des mots pour alléger et nourrir le poème

chemins qui furent le chant des promesses
de la femme de l’enfant et de l’homme enlacés
terre immobile sur le duvet des anses de lassitude
routes qui furent le chant des glycines
de la rose du poète et de la simple fortune

reverrai-je dans la ville l’anacoluthe de vos yeux noyés
tout ce qui a été dit dans la munificence des mots et des poèmes
la croix le pays l’écolier
la source l’étranger et le rire
le sel la patience le bonheur
vœux sans répit dans l’attifement  des rires et de la solitude
du poème des monts et de la femme apprivoisée
vœux de voyage et de profond bonheur
dans la justice de l’amour
dans la lecture de la main en filigrane

vœux des vivants comme ceux des visages pâles
qu’à ma gauche l’invisible et son regard félin
qu’à ma droite l’instant de l’amitié des devins
pour le passage dans l’au-delà des poètes de haute lice…

(Ouanaminthe, 21 février 2014)

Viré monté