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À Ouanaminthe, j'ai touché la main d'un "Bredjen" assoiffé d'éléctricié

Saint-John Kauss

Lundi, mardi, mercredi 22 janvier 2014, ce fut le carnage de la société ouanaminthaise. La ville, à feu et à sang, mettait à genoux les autorités de la ville. De vieux routiers et menteurs des anciens régimes haïtiens, des duvaliéristes et des lavalassiens de belle date qui se positionneraient, bon retour dans les coulisses du pouvoir. Le peuple de Ouanaminthe ne veut plus, parait-il, avoir affaire avec ces “gangs” au pouvoir. Les comités des communes, des sections et quartiers furent et sont mobilisés en ce sens. Deux ou trois mandats, et les mandataires (députes et sénateurs) disparaissent dans la nature et politique port-au-princienne.

OUANAMINTHE D’HIER ET D’AUJOURD’HUI

La ville actuelle de Ouanaminthe qui est plus d’une vingtaine de kilomètres, fut un petit village bien tranquille que ma mère adora ainsi que ses anciens amis d’enfance, les Fleurant et Theodore. Vers les années ’60, on ne parlait que du colonel Buchet, du général Cantave ainsi que du president Paul E. Magloire, lesquels se donnaient pour tracasseries de frustres le renversement du président François Duvalier, en passant par Dajabon et Ouanaminthe. Toute une épopée, faiseuse d’histoires du major Lherisson, défenseur du duvaliérisme, a été construite sur Ouanaminthe, ville frontalière assise près de la rivière Massacre et de la belle ville dominicaine Dajabon. Ce village d’une centaine de familles, en sus d’une petite-bourgeoise remontant à la colonie Saint-Dominguoise (Dumay, Bastien, Fleurant, Beaubanoir, etc.), demeure aujourd’hui le théâtre de violentes manifestations et d’une vive tension entre les forces de l’ordre et sa population. Confusion, disent certains. Dépression, répliquent les autres. Des barricades enflammées dans plusieurs quartiers de la ville, notamment à Gaillard (la fameuse), Mapou, Calvaire, Sanse, Route de la Douane, Duraud (alias Diro), Canari (nan Dilè), Morne Coucou, etc.). Des pierres et des tessons de bouteilles ont été lances dans tous les sens, de l’Est à l’Ouest, et ce durant trois jours. Des agents de l’UDMO intensifiés d’éléments de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah), ont fait des leurs dans plusieurs quartiers sensibles de la ville, précisément dans Gaillard (banlieue nord de la ville). Des ministres lourds, comme celui de la Défense (sans armée) et celui de l’Intérieur (sans macoutes), ont été envoyés par Port-au-Prince pour calmer les ardeurs, mais vainement. La ville de Fort-Liberté (Fort-Dauphin) y était de la pression. Toutes les activités ont été paralysées: commerce, transport en commun, école, zone franche, hormis la contrebande et la prostitution.

REVENDICATIONS LOCALES ET FRONTALIERES

Il n’y a pas seulement l’électricité qui a provoqué tout ce tohu-bohu dans une ville si paisible comme Ouanaminthe. Il y a aussi la pauvrete des gens du pays et le changement spontané des statuts sociaux. Le paysan ne plante plus. Le jeune paysan vend ses terres acquises par héritage pour s’acheter une HAOJIN, la motocyclette à la mode dans la région du Nord-est. D’où les accidents sauvages a chaque coin de rue et les pieds casses de toutes sortes. Le chômage ainsi que l’oisiveté des lieux et des jeunes ont rallume les passions vers la Révolution. D’aucuns disent que le président Martelly a trop de plages vers la mer. D’autres, qu’Ollivier et Sophia Martelly ont trop d’argent sans même travailler. Tout ceci nous fait penser que l’histoire des économies haïtiennes est un perpétuel recommencement.

Pourquoi ne pas construire des petits parcs industriels ou des usines à Sanse, Dosmont, Morne Coucou ou dans la zone de l’Aviation civile (Avyason)? Pourquoi ne pas essayer de concurrencer, en beauté, la ville de Dajabon et même Puerto-Plata ou Santiague, comme disent les Haïtiens de la frontière, en lieu et place de ne construire que des terrains de football? Les jeunes Haïtiens de cette zone rêvent plutôt d’universités (d’annexes de l’Etat), de collèges, de lycées, de propretés des rues et des places publiques, d’électricité et d’eau potable (enfants souvent atteints de parasites). Certaines rues et impasses, adjacents aux grandes allées et boulevards de la ville de Ouanaminthe, devraient être acoquinées ou pavées d’adoquins, comme plus ou moins à Fort-Liberté. En attendant, les plus jeunes de la ville ne font que les rues a motocyclettes. Les paysans des communes avoisinantes, répète-t-on, vendent  tout pour avoir une Haojin. Aucun cochon noir à l’horizon. Les Disco-clubs, les boites-de-nuit et putains, les motels, les motocyclettes, pullulent a Ouanaminthe. Les maladies sexuellement transmissibles également. Dans 99% des quartiers, on ne parle guère, comme a Jeremie ou a Jacmel, de bibliothèques, de poètes, d’écrivains ou de Dany Laferriere (connais pas). On parle plutôt de Juana et de Marijuana. On s’interroge sérieusement sur l’avenir de Ouanaminthe face aux prochains gouvernants, députes et sénateurs. On s’inspire beaucoup du “Collège chrétien Univers” de Maitre Hugues et de Maitre Djo Dumay. On ne parle que des prochaines élections et des acteurs potentiels.

LES JEUNES, LA NUIT

La majorite des jeunes filles de moins de 23 ans ont deux ou trois enfants a nourrir. Des clubs, la nuit, comme “La Patience-Disco”, “Le Refuge”, “Ideal”, “Oasis’, “El Rinconcito”, “Canari Plaza”, etc., font partie des meilleurs sites a frequenter. Bien sur, il y a “Plaisir gourmand”, “Majestic”, pour les bourgeois. Mais pour feter tard et dangereusement, il faut aller ailleurs. Dans les bars, clubs ou boites-de-nuit, ou les dephases et marginalises de la societe font des leurs (alcool, sexe, fumee de cigarettes ou de marijuana). Mezanmi, il faut davantage plaider en faveur de la creation d’un espace dans la ville ou les jeunes pourront developper leur talent à travers, par exemple, le theatre, le chant, la danse ou la poesie. Lisons alors:

 

SENTINELLES

              à Pascal T. Augustin
                    et pour André Morissette

                        « Je suis une main qui pense à des murs de fleurs… »

                                                                        (Paul-Marie Lapointe)

tous mes amis sont partis et je les regarde dans la nuit à deux yeux              dans la nuit à cent crimes à neuf cent mille lieues d’ici                       équipages de poutres d’homme roulés dans leur faim que nourrit le fil à plomb
printemps             tout ce jeune âge de l’enfance et ses tours de Babel           bouleau des parquets de soleil dans les cheminées          sumac de mousse et de terriers              caravaniers d’avant-garde et sifflets entre les doigts
enroulement nu de vos mains au gré des pucelles jusqu’à ce que le sourcier des soifs et des sources agite les mollets de vos corps allongés sous la supervision des os entés à l’arbre de vie
mois de mai / mois d’été                 seins farouches aux bouts durs en quête d’une consolation rapide de / par l’aimé et le profane épuisé d’énervement                  mois ouvert sur les dalles et la mosaïque des passions de feuilles torturées durant l’hiver                mois de seins de hanches et de jambes plus longues que l’habitat des mages
été des cerceaux de l’enfance des courses de gamin et des jeux de marelle               des contes tirés sous la tonnelle des filles inhabituelles sur la piste d’élus           mois de chants et de poèmes à la naissance des mousses et des fesses doubles
automne              des forêts permanentes                 porte-bonheur de tous ceux qui espèrent la naissance de l’orme et du genévrier imaginés dans la solitude des gestes et de nos amours                dans le son froid des pluies de province et de la prochaine récolte
ce mois de frisquet qui encourage l’intransigeance du cormier           vastes jours ouvrables aux caresses des orchidées             perpétuelles messes chantées pour le miracle et l’audace de posséder la femme
hiver                     des races sans engrais                 des capitales blanchies par les copeaux de neige                  à la pénible sensation d’habiter les corps d’ancêtres durs qui maîtrisaient le bois de chauffage                   dans la connaissance des femmes ignares que l’on ordonne
saison des amants à la tâche pour la synthèse de la chaleur d’aimer au vent des phrases possédées par la femme                   saison de la douleur de l’homme agité contre les mantes de l’amour                         myrtilles de l’amitié des petits enfants crayonnés pour la prochaine saison des cigales
tous mes témoins sont partis et je les réclame dans la nuit à deux yeux dans la nuit à deux cent crimes dans l’altitude des morts                fleurs d’homme contrarié qui m’ont accompagné dans la métropole des mages                 passagers plus que prophètes dans mes livres et dans mes rémissions aux nœuds coulants
… car il y eut aussi des hommes dans ma vie ajustés aux nids des oiseaux

(Ouanaminthe, 31 janvier 2014)

Viré monté