Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

Parlez-moi de «Ouanaminthe»

Saint-John Kauss

Ouanaminthe (Wanament ou Wanamèt en créole haïtien; Juana Méndez en espagnol) est une commune haïtienne située à la frontière de la République dominicaine, dans le département du Nord-est. Elle fait partie de l'arrondissement de «Ouanaminthe» dont elle est le chef-lieu. Le nom «Ouanaminthe», dit-on, vient de l'espagnol Juana Méndez. Ouanaminthe est frontalière avec la ville voisine, Dajabón (République dominicaine), où j’ai mangé (pica pollo) et soupé à deux reprises. Les deux villes précitées sont séparées par la rivière du Massacre. La commune est peuplée de 96.515 habitants (recensement par estimation de l’année 2009). La ville est fondée à l'époque coloniale par les Français, en tant qu’avant-poste et pôle d'échange commercial avec les Espagnols d’alors. Le 18 octobre 1933, des entretiens s'y déroulent entre le président haïtien Sténio Vincent (18 novembre 1930-15 mai 1941) et le dictateur de la République dominicaine, le dénommé Rafael Leónidas Trujillo Molina. En 1937, Trujillo envoie son armée massacrer lâchement 30.000 travailleurs haïtiens, en cours d'expulsion, dans la ville de Dajabón. Depuis lors, la «rivière Dajabón» se nomme «rivière du Massacre». La commune possède cinq sections communales: Haut Maribahoux, Acul des pins, Savane longue, Savane au lait et Gens de Nantes. L'économie locale repose en partie sur le commerce et la contrebande avec le pays voisin, c’est-à-dire Dajabón. On y cultive le tabac, la pistache, et on y récolte du miel dans des ruches. Il est prévu, à Ouanaminthe, d'établir une zone franche où les avantages fiscaux seraient accordés aux industriels; ce qui inquiète les agriculteurs locaux en raison de la menace que cette industrialisation ferait peser sur leurs terres. Ouanaminthe possède de nombreuses écoles élémentaires et secondaires ainsi qu'un lycée. Citons, en guise d’exemples, l’«École Saint-François Xavier», probablement la meilleure institution d'enseignement classique de la commune de «Ouanaminthe». Fondée en 1927, cette institution a formé plusieurs générations d'étudiants. Le Collège «Univers», établissement de référence créé en 1994 par cinq Ouanaminthais, en l’occurrence Hugues Bastien, Jaccin Bernard, Maismy-Mary Fleurant, Joseph Edgard Dumay et Pierre Jean Richard. L’«Académie Primaire et Kindergarten» (APEK), fondée par Rolex Poisson et sa femme, est une école où l'éducation des enfants est assurée. Elle prend en charge l'instruction de base des jeunes enfants. Et il ne faut pas oublier les «Collège de L'Étoile, Collège Oswald Durand, Collège La Patience, Collège Malcom X» ainsi que le «Lycée Capois La Mort». On ne peut évoquer d’éducation, à Ouanaminthe, sans parler des Frères de l’Instruction Chrétienne (FIC) qui y sont présents depuis plus de 85 ans, ainsi que les Sœurs de Saint-François d'Assise et les Salésiennes.

Parmi les personnalités célèbres de la commune (source: Wikipédia, 2013), on peut citer: René Théodore (1941-2003), enseignant et homme politique haïtien, dirigeant du Parti unifié des communistes haïtiens (PUCH); Jean Alfred, ancien député du Québec; Jean-Baptiste Bernard de Vaublanc, officier de l'armée française; Jean-Baptiste Dureau de la Malle, littérateur distingué, traducteur de Tacite, Salluste et Tite-Live, né à Ouanaminthe (Saint-Domingue) le 27 novembre 1742, décédé le 19 septembre 1807 au domaine de Landres à Mauve sur Huisne (Orne) en France, inhumé au cimetière du Père Lachaise à Paris, fils de Laurent Dureau, capitaine de cavalerie au Fort Dauphin, et d'Élisabeth Sauvage sa troisième épouse. Il entra à l'Académie Française la 3 octobre 1804; Benoît Joachim, célèbre auteur de l'essai "Les racines du sous-développement en Haïti" (Prix Deschamps 1979); Pépé Bayard, célèbre musicien haïtien et créateur des fameuses chemises "Pépé Bayard"; Harry Germain Jean-Louis, auteur du premier ouvrage sur l'histoire de la ville de Ouanaminthe: "Panorama historique de Ouanaminthe" (1986); Ernest Philogène, auteur d'un essai sur l'histoire de la congrégation des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée à la paroisse Notre-Dame de l'Assomption de Ouanaminthe; Bernard Némorin, prêtre, docteur en philosophie, professeur et auteur de plusieurs ouvrages dont le "Profil de l'homme total dans l'Émile de Rousseau"; Aviol Fleurant, avocat, né à Ouanaminthe et frère de Maismy-Mary Fleurant, exerçant en Haïti; Nesmy Manigat, universitaire de renom, économiste, directeur de l'ONG «Aide et Action pour les Caraïbes et l'Amérique Latine»; Maismy-Mary Fleurant, avocat, défenseur des droits de l'homme et écrivain, auteur du recueil de poèmes intitulé "Les semences de l'espoir" (Montréal, CIDIHCA); mon cousin Hugues Bastien, ingénieur, fondateur de l' «Institution Univers Chrétien d’Haïti» et de «Univers Centre Médical» à Ouanaminthe, ce dernier étant actuellement dirigé par le docteur et chercheur John Nelson, écrivain de renommée internationale; Charles Joseph Charles, prêtre et  écrivain, auteur de plusieurs ouvrages tels "Haïti, un diamant dans la boue "(…) et  "A la fois prince et mendiant" (...); Edris Fortuné, artiste-peintre de renommée, cinéaste diplômé à Ciné Institute (www.cineinstitute.com), poète et diseur; Rolenx Poisson, normalien supérieur, informaticien, théologien et pasteur très apprécié des chrétiens. Il est aussi présentateur d'émissions évangéliques à Ouanaminthe; Gracia Fils Fleurant, poète, mathématicien, orateur; Péguy Jean, journaliste ouanaminthais, actuellement à la Radio Signal FM de Port-au-Prince; Mimose Pierre Beaubrun, alias Manzè, chanteuse et cofondatrice du groupe-racine Boukman Eksperyans, épouse de Théodore Beaubrun Junior, ma cousine Lòlò; Simon Luc-Charles, dit Don Simon, artiste-chanteur, journaliste, publicitaire et cinéaste. Auteur de la musique titrée "Welcome to Ouanaminthe", des enfants,  principalement, font grande partie de ses fans; Lévy Prophète, philanthrope, restaurateur de la place publique de Ouanaminthe; Julien Willintz, universitaire, diplomate, philosophe/politologue, poète, coordonateur de «Réveil Nord-est» (RENE); Darcelin Mackenson, massothérapeute, technicien en sport, professeur, coordonnateur provincial, est l'un des représentants du Comité Olympique Haïtien (COH) au sein du programme scolaire "Sport pour la Paix et le Développement", à Ouanaminthe. C'est dans ce contexte qu'est né le Prix Académie Ouanaminthe, Institution sociale qui tient à récompenser, chaque année, les artisans du changement et du développement durable.

…….
tous mes amis sont partis et je les regarde dans la nuit à deux yeux              dans la nuit à cent crimes à neuf cent mille lieues d’ici                       équipages de poutres d’homme roulés dans leur faim que nourrit le fil à plomb
printemps             tout ce jeune âge de l’enfance et ses tours de Babel           bouleau des parquets de soleil dans les cheminées          sumac de mousse et de terriers              caravaniers d’avant-garde et sifflets entre les doigts
enroulement nu de vos mains au gré des pucelles jusqu’à ce que le sourcier des soifs et des sources agite les mollets de vos corps allongés sous la supervision des os entés à l’arbre de vie

                                                                                                                                       (Sentinelles)

Sur la route nationale no 1

Le 15 octobre 2013,  j’ai quitté Port-au-Prince en enjambant la route de l’aéroport, direction Nord du pays. Dans l’autobus de la compagnie «Sans-souci», grandiose initiative, je contemplais le macadam des pneus à brûler. L’odeur des pneus du pauvre vendeur dénommé Pè Lebrun. Le chauffeur franchit la route neuve, question d’éviter «Cité Soleil» et ses délinquants. Il faut mettre le cap sur Titanyen, le célèbre cimetière à ciel ouvert d’autrefois, devenu un champ de constructions d’État diverses. Il faut enfin tourner à gauche du poste de police de Titanyen  pour arpenter la route qui mène vers Montrouis, Cabaret, Arcahaie ou Casale des Polonais. Des champs de bananes, des travailleurs – têtes à la baisse qui ne répondent point aux salutations des voyageurs. On dirait des «zombis» au travail. On ne sait jamais en Haïti. Tout ce qui brille n’est pas toujours de l’or dans ce foutu pays d’inventions suprêmes.

J’aime Saint-Marc, la ville,  et ses petits manoirs, ses rues anciennes et son bord-de-mer, ses magasins et habitants d’une autre race, le président Nissage Saget (19 mars 1870 -12 mai 1874) et ses valets. Partout des hôtels, dans les montagnes d’à côté; des villas rosées qui n’en finissent plus, aux multiples clins d’œil; des enfants de riches diasporas ; des plus pauvres qui veulent aussi partir, laisser le pays pour revenir meilleurs. Trop près des Gonaïves, en passant par L’Estère, Pont-Sondé et Villard des morts, il y a toujours un enterrement d’un juge, d’un avocat, d’une femme adultère ou d’un amant perdu. Possibilités d’une relation louche ou d’un mauvais jugement. Des planteurs de riz, dans cette zone rocambolesque à risques, qui ne parlent pas aussi aux voyageurs étrangers.

…..
mois de mai / mois d’été                 seins farouches aux bouts durs en quête d’une consolation rapide de / par l’aimé et le profane épuisé d’énervement                  mois ouvert sur les dalles et la mosaïque des passions de feuilles torturées durant l’hiver                mois de seins de hanches et de jambes plus longues que l’habitat des mages
été des cerceaux de l’enfance des courses de gamin et des jeux de marelle               des contes tirés sous la tonnelle des filles inhabituelles sur la piste d’élus           mois de chants et de poèmes à la naissance des mousses et des fesses doubles

                                                                                                                                       (Sentinelles)

Gonaïves, toute une ville perdue dans la tracasserie des eaux qui ont renversé l’étale des morts. Que dire de toutes expéditions forcées, de jacasseries d’esprits défunts, de messes contre la gouvernance, de livraisons d’armes de haut calibre, de soulèvements tertiaires des classes sociales de la dernière récolte. Les maisons et rues dévorées par les cyclones, les ouragans et autres calamités d’un temps extraordinaire. Les sentinelles effrayées, nos loas endormis, n’ont rien vu arriver.

Entre La ville d’Ennery, patelin de Toussaint Louverture, Limbé des Castera et L’Acul-du-Nord des Lafayette, il faut parcourir les mornes Pilboreau, véritable mât suifé en tours de piste. Plus il faut atteindre le sommet de la montagne, plus la ville de Plaisance, véritable repaire des aisés colons d’autrefois, demeure certaine. Salut à Toi, Ô Plaisance de mes jeunes heures et de mes maladies inconnues! J’ai caressé le vent, dévoré le temps pour ne pas être là-bas, au Cap-Haïtien à l’oral. Ville aimée de mes études sophistiquées au Collège Notre-Dame. Ville de mes historiques vacances, de chaque brique regardée avec attention, de chaque maisonnette supposée cache-cache de rebelles saint-dominguoises. Hélas, ce n’est plus la ville propre d’autrefois sous les auspices d’un Claude Vixamar. La ville a grandi et pris le large.

…..
automne              des forêts permanentes                 porte-bonheur de tous ceux qui espèrent la naissance de l’orme et du genévrier imaginés dans la solitude des gestes et de nos amours                dans le son froid des pluies de province et de la prochaine récolte
ce mois de frisquet qui encourage l’intransigeance du cormier           vastes jours ouvrables aux caresses des orchidées             perpétuelles messes chantées pour le miracle et l’audace de posséder la femme
hiver                     des races sans engrais                 des capitales blanchies par les copeaux de neige                  à la pénible sensation d’habiter les corps d’ancêtres durs qui maîtrisaient le bois de chauffage                   dans la connaissance des femmes ignares que l’on ordonne

                                                                                                                                      (Sentinelles)                                                                                 

Et si Ouanaminthe ne m'était pas conté

…je choisirais entre Quartier-Morin, Limonade, Terrier-rouge, Trou-du-Nord ou Fort-Liberté, des communes valables mais qui n’ont vraiment rien en commun que d’appartenir au roi Christophe Henri (17 février 1806 - 8 octobre 1820). Quartier-Morin des Magloire (Paul-Eugène, 6 décembre 1950 - 6 décembre 1956) n’est plus une bourgade. Modernisée, elle est un grand village de lettrés et d’hommes politiques, encore partisans du Général Magloire. Limonade qui est resté un petit village, possède cependant la plus jolie université du pays, à la fine pointe. Décentralisation oblige. Quant à la ville compétitive de Fort-Liberté, prière de porter le nom de ces familles d’antan: Calixte, Félix, Prophète, Manigat, Nelson, Lamothe ou Charles-Pierre. Leur Faculté de Droit est la plus brillante du Nord-est.

Mais pourquoi ma mère se plaint toujours qu’elle ne soit accouchée de son premier né à Ouanaminthe? Pourquoi Hinche, alors que je ne connais rien de cette région du Plateau central? Et elle aussi. Le hasard? Un jour, je serai en pouvoir et en mesure de tout expliquer.

Bref, je viens d’une famille d’anciens et de nouveaux notables de «Ouanaminthe», cette ville-frontière, notamment les Bastien. Arrière-petit-fils d’un consul partisan et ami des Théodore (président Davilmar, 7 novembre 1914 - 22 février 1915) du temps des Cacos, je m’hasarde aujourd’hui à séjourner au bercail. Selon l’arbre généalogique de la famille-côté paternel, un certain monsieur Nelson de Fort-Liberté (Fort-Dauphin), du temps de la colonie saint-dominguoise,  fut-ce l’homme qui émergea et qui a fait émerger cette lignée du major Luc Nelson. Nous avons eu des fous doux comme des médecins, des militaires comme des éducateurs, des administrateurs comme des écrivains (Chambeau Nelson, ?-1880), des avocats-politiciens comme des commerçants. Cette famille, que Dieu nous soit témoin, s’est si éparpillée qu’on la retrouve aujourd’hui, surtout à Camp-Perrin, au Cap-Haïtien (mère de Maître José Rodriguez), à Cabaret, aux Croix-des-bouquets, à Jacmel et finalement à Petit-Goâve (mère de Dany Laferrière). Pour en finir, lisons et apprécions ce poème:

                  Passages

                               à mes grands-parents

«Mais le poète, errant sous son massif ennui,
Ouvrant chaque fenêtre aux clartés de la nuit,
Et se crispant les mains, hagard et solitaire,
Imagine soudain, hanté par des remords,
Un grand bal solennel tournant dans le mystère,
         Où ses yeux ont cru voir danser les parents morts.»

                                                                                                 (Émile Nelligan)

 

passé ô passages                    que disent les signes des plus belles saisons  ----  mangles arrachés à la source des présages
sur quel pied danser aux grandes dérogations de ce monde quand ce n’est pas nous qui contrôlons la soif du crotale et l’alignement des tertres dérisoires
destinée au seuil de la folie des hommes        à la veille des grandes manifestations pour la levée des chiffres et des fétiches
guidez-moi ô Maîtres des passes d’eau              vers l’au-delà des lianes et du gluten  ---  par là-haut dans l’impatience des femmes et du lichen jusqu’à l’absurde ravissement de corriger les chartes de l’ère nouvelle
passé ô passages sur la chaussée des morts sans irriter l’étranger
au bal de la plus haute autorité à venir             poètes aux médaillons de constat et aux acquis en dot d’écritures  ---  chefs de cabinets des langues sous les remparts de la parole
je vous imagine de là-haut dans les murènes du poème à relire
passé ô passagers des stèles et du burgau             grands interpellateurs et protecteurs de promesses faites aux filles d’autres races qui sont aussi des femmes en pleine lactation
conduisez-moi dans la mémoire des lieux et dans la salle des solstices inaugurant les répliques du sel et la prudence des onagres                                                                      ---  vers l’au-delà des femmes et des chiffres mathématisés sous les délices du terrier aux bouges de nos égarements                  en toutes châsses et dans le meilleur délai accordé au rebelle civilisé
l’âme aux sistres des sept signes de l’humain                 de l’atome aux sources d’un âge nouveau                      au sanctuaire de l’Illuminé qui écrivit tant de poèmes partagés dans l’authenticité du songe
la mort avec son peuple de terriens        l’amour à l’oreille d’une seule femme                       et le poète aux nœuds de ses soucis et dans ses mots en toutes langues impose la narration de l’inédit au gîte de sa belle
passé ô passagers des hautes messes sur la chaussée des morts sans irriter l’Ancêtre
au métissage des peuples qui n’existent plus / qui n’ont jamais défrayé la chronique en hauts lieux               nous notons ce grand souci des hommes d’autrefois de sourire dans les soutes à poèmes            sur le chemin des chantiers de l’insoupçonnable conteur d’histoires et maître de cérémonies
maître de céans et gardien des sceaux de l’hôte occulte qui parle au vent
nous notons encore la plénitude de leurs conjurations publiques     des rituels aux pelletées du doigt sans demander d’office      de leurs interdictions aux grands accomplissements de l’homme grâce au métier d’Enchanteur
poètes qui fascinent à la coupée des présages et à la franchise de leurs droits d’aînesse
poètes inconsolables sur l’étendue des aires que nul n’ignore quand ce n’est qu’aux fiançailles de l’antiphonaire ---  les mots sans chair d’une écriture nouvelle attestent de l’homme frappé d’aphasie et de son chant d’affluents
poètes intransigeants au buffet des grandes failles où les forceries des vivants font défaut       où la sécession de l’humain n’est que signe d’intempérance
ô passé / ô passagers des hauts lieux en signes de présages …

 

Laval, 28 décembre 2013

Viré monté