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Hamilton GAROUTE ou le vent des cavernes

Saint-John Kauss

Hamilton Garoute, né à Jérémie (Haïti) le 12 janvier 1920. Il y fit ses études classiques jusqu’au baccalauréat. En janvier 1939, il entra à l’Académie Militaire d’Haïti et fut reçu officier en juillet 1941. Il passa la plus grande partie de sa carrière en province.

De son mariage avec Odette Paret, il a eu deux fils: Robert et Hans.

En 1945, Hamilton Garoute avait publié une plaquette de vers libres, Jets lucides, préfacée par son ami d’enfance et camarade de promotion Paul Laraque.

Colonel et membre du Haut État-major des Forces Armées d’Haïti, il fut mis à la retraite en novembre 1960, au cours de la grève des étudiants contre le gouvernement de François Duvalier. Arrêté en 1963, il a été depuis lors porté disparu. Poèmes posthumes: Vent de caverne et Locomotive.

 

VENT DE CARVERNE

Soirs bleus d’épousailles de lune et de Silence
Où  je comptais pour mille
Ou prodige de ferveur j’étais la synthèse ou
Suis-je simplement la synthèse.
Me voici marqué d’une éternelle venance
Stigmatisé d’émois

Mes yeux de chat. L’amour est source de miracles
Est-ce miracle. Mes yeux  ne t’ont point découverte
Ma chauve-souris m’a dit des pas qui n’étaient pas tes pas
Mon chien a flairé des chairs aucune ne fut ta chair
Et les chiens de rire et les chiens
Me jugèrent et les chiens
Me condamnèrent et me clouèrent au poteau d’exécution
Comme si la reine du ciel m’était interdite
Qui pendait pourtant à la l’oreille du palmier
Comme si je n’avais plus droit à la nuit
Comme si je ne pouvais plus attendre au bord de la nuit
Les chiens firent feu sur moi
Mais je renais du feu
Je suis l’Ariel qui ne meurt pas
L’amour est source de miracles
J’ai reparu dans le chant du coq
Et dans la première étoile du matin
Je redresse mon drapeau de bataille sur le grain d’aube
Et je reprends ma course portée par le vent
Ah ce beau pays
Ma course est pleine de mon pays
Pour les cheveux d’or de la sécheresse
l’huile du soleil dans la brosse du vent
La terre a soif où la savane s’interrompt de bœufs noirs,
Ma course est riche, ma course d’aube ou de pitié
Ma course a toutes les couleurs
Elle sent le benjoin l’ambre et le jasmin et s’absente
Dans la ronde des fleurs
Ma course est pleine de chevelure d’émeraude
De ma mère première
pourquoi ces sursauts dans ma course
toi tu es au centre de toutes choses
Avec tes yeux de saisons
Avec ta chevelure à peau d’anolis
Avec ton corps de toutes les argiles
Est-ce toi qui a mis ce chapeau d’azur à ma course
Pour saluer la plaine fertile
(Mais ce champ de cannes qui engraisse ton usine toi
ce champ sera demain le tapis vert de la table du juge
Toi gros et gras ricanant dans la tour.
Ce champ aura demain des vagues de règlements de comptes
Et la vague brisera le roc)
Ma course est pleine de rires sources dans la source
Où palpitent des corps d’ébène que lèche
L’ombre des palmes
Ah que n’ai-je la chaude langue du soleil
Sur ces mamelons de seize ans se mirant dans l’azur
Mais je tourne je tourne c’est le vent qui tourne
Et ton nom ressurgi dans la parole du vent
Est source de clarté
Sais-je seulement ton nom toi de tous les pays
J’attends de te connaître dans le miracle de l’eau

 

Tu es belle comme un palmier de lune
Ton sourire libère un vol de colombes
Et  je t’attends je hume ta venance
Quand le pas de la nuit ronge la médaille du ciel
Il y a des pas de défaillent il y a
des aubes qui renaissent
Tu passes comme un défi plus vite que l’éclair
Et tu te nommes Inaccessible
Mais prends garde
regarde ma main blessée qui tentait de te prendre
Qu’est-ce qu’une main blessée si le sang qui coule
A connu l’émoi de ton regard
Prend garde
Les pattes du chat noir tissaient du velours
Sur  ta chair endormie
Douce comme l’eau calme t’en souviens-tu
Eh bien dans ta chevelure de vent du nord
Dans ton rire de raz-de-marée éparpillé d’étoiles
Dans tes yeux de pierreries
Dans ta fuite éperdument dérisoire
C’est toute ma joie de chat qui éclate ce soir
J’épouse la flaque qui t’a captée
Et ce nuage qui ondule module me caresse
(A moi de rire maintenant
chiens mes frères qui m’avez fusillé
Aboyez criez hurlez)
Ma main blessée cette main même
Arrose de cette eau tes pieds roses
Ma sirène
Tes pieds fatigués de courir
Ma sirène
Car le sang de la sirène
C’est ton sang c’est mon sang
Les vignes d’étoiles fleurissent déjà pour nous
Nous tordrons le cou au bouc rebelle blanc de la lune
J’ai vu l’orgueil des pyramides
Humilié dans la transcendance du point
Comme je vois dans notre maison d’eau
L’univers rassemblé et confondu en toi.

 

                        (in Conjonction, no 194, avril 1992)
 


 NAUFRAGE

Mon épave en errance
Sans phare
Nuit
Mon dos est le tambour des baguettes du ciel
Effarement
Ma détresse sans perspective
Absence d’horizon où fumée
comme serpent aérien
Tout mon être à la merci des éléments
Ciel ciel
Un brin d’azur
Puisque je vais sombrer
Mais toujours l’immense plomb
Toujours l’immense nuage noir
Personne à ma rescousse
Et j’ai peur de toi Grand Dieu

                  (in Conjonction, no 193, avril 1992)

3.1.2012

Viré monté